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Retour vers Saint-Pierre et Miquelon

  • 1230 Vagabond a Nuuk©EB
  • 0942 Vagabond traverse la mer du Labrodor©France Pinczon du Sel
  • 1900 Vagabond St Johns
  • 1159 Rencontres pendant escale a Saint-Jean de Terre-Neuve©EB

Arrivés à Nuuk à 18h avec les photographes le 6 septembre, Eric et moi repartons vers Saint-Pierre dès 15h le lendemain : on ne laisse pas passer un créneau favorable pour gagner du sud.

Il porte, le vent, et avec vigueur : dès la sortie des îles, la houle formée balance notre coque sans ménagements. Pointes à 8 nœuds, mais les estomacs ne sont pas à la fête et le repos difficile. En deux jours nous prenons une belle avance. Le troisième, repas et repos, nous revivons. Eric et moi nous relayons tranquillement pendant 48h de calme égaillées par la visite de nombreux dauphins et par des voûtes célestes scintillantes, où filent autant d’étoiles que de satellites.

Les côtes de Terre-Neuve se dessinent enfin au loin, puis le vent revient, mais de face. Le cyclone Lee est annoncé, notre créneau météo s'en trouve serré. Nous forçons les moteurs en espérant passer, mais le résultat n’est pas brillant : les impuretés du gasoil bien brassé encrassent les filtres et font caler à répétition les moteurs. Vers minuit par vent et houle de face, dans une brume poisseuse, l’entrée du port de Saint-Jean nous fait de l’œil. Elle est déjà presque derrière nous lorsque nous décidons d’opter pour repos et sécurité, alors notre sillage marque un tournant à plus de 90° qui nous offre l’abri.

L’escale tombe en fin de semaine, nous avons donc la chance de pouvoir effectuer un véritable pèlerinage dans les bars à cessions irlandaises où nous avons joué avec les Celtic Cods l’automne dernier !

Après un dernière étape de 36 heures nous retrouvons enfin Léonie et Aurore sur le quai de Saint Pierre !


Séjour photo

  • 0940 Baleine Ilulissat©EB
  • 1518 Retour a bord de Vagabond en annexe©Marc Querol
  • 1657 Stage photo avec Christian Morel©EB
  • 0941 Amarres a terre Uiffaap Qeqertanngui©EB

Dans le port encombré d’Ilulissat Vagabond trouve asile à couple de la Louise et c’est toujours un plaisir de retrouver son capitaine, Thierry Dubois.

En quelques heures, nous passons de la science à la photo : trois grenoblois, Ludivine, Marc et Christian rejoignent notre Christian Morel, animateur de ce séjour photo, et de Saint-Pierre nous arrivent Jessica accompagnée d’Amaury, son fiston de 8 ans aussi vif que perspicace et attentif !

Bien sûr le site de départ met la barre haute : les baleines ne manquent pas d’ajouter à la magie de l’imposant front de glaces. Cependant l’idée étant de redescendre vers Nuuk, il faut bien quitter ce décor pour retrouver les îlots et villages éparpillés le long de la côte.

La météo n’est pas idyllique. Il faudra ajuster vitesse et escales en fonction des coups de vents, savoir apprécier les nuances de gris et capter les instants lumineux. La nuit nous offre tout de même une magnifique pleine lune dite bleue (en fait rouge) et quelques aurores boréales. Les navigations de nuit, indispensables pour parcourir la distance dans le temps imparti, se font par quarts de deux, ce qui permet de bons moments de partage et offrent aux photographes l’occasion de découvrir cette ambiance particulière.

Une escale nature à l’abri de la houle, dans une mini passe, puis une escale entre trois îlots dont celui du village d’Itilleq, toujours pour s’abriter du vent de face… L’ancre de Vagabond y a la courtoisie de ne déraper qu’une fois tout le monde rentré à bord, après visite du village et pêche aux moules. Sur l’épaisseur d’algues qui semblent tapisser les fonds, re mouiller correctement n’est pas simple. Un jeune pêcheur groenlandais tente de nous aider, puis nous offre un char de sa pêche (omble arctique). Le lendemain il nous en offre sept de plus et nous raconte ses chasses au caribou ! Eric s’est d’ailleurs vu offrir café puis caribou frais la veille. Les souvenirs refont surface chez certains habitants qui se souviennent de Vagabond en escale chez eux, 9 ans auparavant, avec Léonie et Aurore toutes jeunes !

Toujours courant entre deux coups de vent, cherchant de nouveaux abris sur notre route, nous finissons par entrer dans un mini fjord très haut et étroit : ici, avec un amarre à terre de chaque coté en plus de l’ancre, nous étalons tranquillement les 40 nœuds de vent (50 au dehors) et la pluie battante.

Afin de parvenir à Nuuk avant les avions de nos amis, il nous faut repartir pour une nuit de quart… plus hasardeuse que jamais : ne pas s’écarter de la ligne de sonde qui passe entre une multitude de cailloux, dans la houle, le vent et la nuit. Mais surtout, il y a ce passage vraiment serré plus au sud. Nous y parvenons de nuit, la grand voile toujours plaquée au mat par vent arrière. La houle est canalisée par les îlots mais le courant est fort et la marée haute. Malgré notre vigilance, deux personnes dehors avec des torches afin de mieux voir, Vagabond heurte l’entrée du passage. Rien de grave, il y a toujours ce tapis d’algues. Mais l’étrave est déviée et nous manquons de grimper sur la cote rocheuse. - Marche arrière toute ! Puis - marche avant ! - mais un autre rocher surgit dans le phare ! Finalement, c’est en travers et la poupe en premier, portés par vent et courant, que nous traversons la passe. Adrénaline garantie.

Comme pour nous réconforter, le plus beau matin du monde s’ensuit dans ce que l’on nomme les Alpes de Maniitsoq. Photos à gogo, lumières plein les yeux et repos au fil des canaux intérieurs précèdent notre arrivée à la capitale.

Resteront les photos et les souvenirs imprimés dans nos mémoires.


Mission coralline

  • 0720 Christian Jochen et Jean observent echantillons coralline©EB
  • 1731 Jochen et Eric plongeurs Akunap Nuna collecte coralline©Jean Perrin
  • 0753 Eric et Jean apres une belle plongee©France Pinczon du Sel
  • 1408 Prelevements eau de mer baie de Disko©EB

Eric et moi remontons jusqu’à Nuuk afin de retrouver Jochen, pour qui nous collectons depuis 2015 de la coralline, cette fameuse algue calcaire marqueur paléoclimatologique. Cette fois, son équipe est familiale : Martina sa compagne, Citlali et Krista ses deux filles. Christian notre ami photographe et Jean, autre ami plongeur, viennent compléter notre équipage. L’idée est avant tout de récupérer des instruments de mesure posés en 2019 sur de bons sites de coralline pour un an. C'était avant le Covid... Que sont devenus ces instruments ?

Le site le plus proche de Nuuk ne s’avère pas des plus simples : il faudra 3 plongées pour parvenir à nos fins ! A la première, le courant est trop violent pour les plongeurs et la bouée censée servir de repère coule, emportée à l’horizontale. A la deuxième plongée synchronisée avec l’étale de courant le soir même, la visibilité devient rapidement insuffisante pour les plongeurs et la sécurité depuis la surface s’en trouve hasardeuse. Le lendemain matin enfin, à l’étale de basse mer, nos plongeurs trouvent sans peine l'instrument qui a enregistré la température et la luminosité pendant 4 ans (3 ans de bonus) ! Avec les échantillons de coralline collectés près du capteur, des corrélations précises vont pouvoir être réalisées à l'université de Toronto.

Quatre jours de navigation plus tard vers le nord, sur le deuxième site. Photographe, femme et filles sont à terre, Jochen suit les opérations à la jumelle depuis Vagabond, les deux plongeurs sont sous l’eau et le vent monte, fort. Depuis l’annexe, tout en veillant sur les plongeurs difficiles à repérer dans le clapot, inquiète, je surveille Vagabond tirant sur son ancre en direction des cailloux tout proches… Les plongeurs remontent, le précieux capteur est retrouvé ! Nous repartons rapidement puisque le vent nous pousse, toujours au nord.

De navigation de nuit entre les cailloux de la route intérieure en passages houleux à l’extérieur, nous avançons rapidement jusqu’à Sisimiut où nous stoppons quelques heures afin de laisser passer grosse houle et coup de vent. C’est l’occasion pour Christian de se recueillir pour la première fois sur la tombe de Kampé, son défunt grand ami groenlandais. Julien, un ami français qui a vécu longtemps ici nous retrouve au port : il est aujourd’hui guide sur un paquebot de passage que nous visiterons, en plus d'une bonne douche offerte.

Après quelques pêches aux moules et à la morue entre les îlots semés sur la route ainsi que les derniers prélèvements d’eau effectués, nous finissons par apercevoir une fine ligne blanche auréolée de clarté : c’est le bouclier d’Ilulissat qui grossit, grossit pour devenir cette muraille d’énormes icebergs à touche touche que nous laissons défiler sous nos yeux. Le spectacle est toujours somptueux. Le carnet de croquis de Citlali, étudiante en art, s’en enrichit encore et ne cesse de nous ravir. Au delà de tout espoir, les 5 instruments de 2019 ont été retrouvés, mission 100% réussie !


Gardar épilogue

  • 0830 Longue reparation de la trinquette©EB
  • 1802 Tarte aux camarines et aux myrtilles©EB
  • 0835 Lecture qui interpelle©EB
  • 2059 Renne ile Tuttutooq©EB

Pour refermer notre belle page sudiste au cœur de Gardar, je vous livre ici tous ces petits riens qui sèment souvenirs et odeurs, qui animent l’ambiance du bord.

Vagabond sillonne une nature prodigue : outre les carpaccios de morue lorsque le poisson emplit déjà le congélateur, combien de fois avons nous plongé les bras dans les algues pour remonter des ventrées de moules. Au menu encore, tartes ou coulis de myrtilles et camarines, agrémentés de quelques graines de genévrier; de quoi ravir nos papilles.

Mais c’est l’esprit qui est comblé, au fil de petits déjeuners philosophiques informels lancés le plus souvent par Laurent; et quelle chance, parce que c’est lui le chef et il ne s’assombrit pas d’un léger retard sur le terrain. Fous rires face à la couverture du livre de Jordan, notre géologue anglais : « Entouré d'idiots ». Qui, nous ? Ou comment alimenter les fameux petit déjeuners : pourquoi, si souvent, nous ne nous comprenons pas ? Question de fonctionnements...

Au mouillage à Tuktutok (tuktu : caribou en inuktitut), un caribou surmonté de bois surdimensionnés, chef de la petite bande qui le suit, se découpe sur le ciel d’un soir, puis de tant de soirs. En effet, l’île se révèle héberger un élevage. On y trouve des enclos en entonnoirs jusqu’au bord de l’eau, puis les tas très blancs de bois enchevêtrés là où les bêtes ont fini le voyage.

Marc n’a pas évoqué les heures passées à recoudre la trinquette, muni comme il l’était de toute sa panoplie de voilerie. Ni du Foehn, ce vent fort et chaud venant de l’Est qui nous a poussé à bonne vitesse sur 20 milles jusqu’à la sortie d’un fjord.


Gardar

  • 0746 Laurent explique mission geologique a Jacky©EB
  • 1353 Laurent explore environs de Sidlisit©EB
  • 1319 Jordan echantillonne©EB
  • 0946 Observations de dykes pres de Sidlisit©EB

Gardar, la province magmatique qui fait rêver les tectoniciens et les magmatologues se trouve au SW du Groenland, dans l’ancien territoire des Viking.

On peut passer dans cette région sans rien remarquer, mis à part une végétation luxuriante (pour le Groenland) et un réseau de fermes très actives (avec élevage de moutons, notamment).

Mais la province de Gardar est un trésor. Ici, il y a un peu plus d’un milliard d’années, et pendant des dizaines de millions d’années, le continent du futur Groenland subit des forces en traction qui entraînent la fusion du manteau terrestre(1).

Dans le cas du Gardar, le magma est injecté dans des fissures verticales (ou dykes) dont la largeur est hors-norme au niveau mondial, depuis le début de l’histoire de la Terre (jusqu’à 1000m alors qu’ils sont en général larges de quelques mètres).

Et ce n’est pas tout : la composition minéralogique et chimique des roches magmatiques produite est étonnante, pour les spécialistes du sujet(2). Ces magmas viennent-il réellement de la fusion du manteau sous-lithosphérique, comme c’est le cas dans les zones en extension plus récentes ou de la fusion (partielle) de la lithosphère elle-même ?

Outre les dykes géants, des volcans ponctuaient cette région, dont on ne voit aujourd’hui, après érosion, que les grands réservoirs magmatiques. Certains géologues ont comparé le Gardar au grand rift Est-Africain, où l’extension est marquée par un effondrement par failles accompagné de l’injection de filons (de faible épaisseur) et qui est également ponctué de grands volcans. Nous ne le pensons pas; ce rift, si on peut l’appeler ainsi, est unique dans sa structure et ses éléments.

Les continents au Protérozoïque moyen (l’âge du Gardar) avaient-il les mêmes propriétés mécaniques que les continents actuels ? Si la réponse à cette question est négative, qu’est-ce que cela peut nous apprendre sur la vitesse du refroidissement permanent de la Terre depuis sa formation ?

Telles sont certaines des questions auxquelles le programme Protero-Litho2 (2023-2025), soutenu par l’IPEV (Institut Polaire Français) se propose de répondre, avec l’aide logistique et la chaleur humaine du Vagabond, le vecteur préféré au Groenland du porteur du programme scientifique.

(1) enveloppe de roches situées sous la croûte et dont la partie la moins profonde constitue, avec la croûte, la lithosphère, matériau des plaques tectonique.

(2) leurs teneurs en éléments chimiques dits « incompatibles » est très forte, constituant un potentiel économique très fort, aux conséquences environnementales difficilement évaluables.


Au royaume de Gardar , par Marc Givry

  • 1627 Bateau de croisiere et elevage de moutons pres de Igaliku©EB
  • 0632 Avec Eloise au petit-dej a Igaliku©EB
  • 0740 Observation d un ours depuis Igaliku©EB
  • 1321 Marc se protege des moustiques a la pause picnic©EB

26 juillet 2023, Igaliku,

Nous sommes au royaume de Gardar, mais ce n'est pas un royaume. Peut-être juste un paradis pour moutons. Pour touristes aussi maintenant. Bien entendu, loin de moi l'idée de comparer les touristes et les moutons. D'ailleurs, numériquement parlant pour l'instant ici les moutons gagnent encore.

Certes l'UNESCO a classé le palais épiscopal de Gardar au patrimoine mondial de l'humanité attirant de ce fait les multitudes touristiques. Ce fut en effet le siège d'un évêché de 1126 à 1377, à la belle époque des Vikings. Construite à partir de 1126 la cathédrale fut dédiée à Saint Nicolas, le Saint Patron des marins, un patronage qui ne pourra que vous plaire.

Question multitudes humaines, tachons de raison garder. L'hiver il doit y avoir une vingtaine de résidents permanents, l'été une quarantaine et quand un croisiériste mouille dans le fjord au maximum cela se compte en centaines. Ces chiffres indicatifs nous ont été communiqués par Eloise la cuisinière du Bydgehotel d'Igaliku. Le chiffre des croisiéristes elle le connaît bien, car quand un navire est annoncé elle se doit de préparer des dizaines de cafés gourmands. Mais pas plus de repas du soir que d'habitude. En effet si le croisiériste est gourmand il est aussi prudent car il revient toujours à son bord avant le repas du soir. Avant que les loups ne descendent de la montagne car on n'a pas dû lui dire qu'il y avait pas de loups ici. Des ours peut être, mais on en parlera plus tard.

Ceci dit les croisiéristes ont peut être tort de ne pas profiter de la cuisine du soir d'Eloise, délicieuse je vous le garantis. Eloise est en fait une cuisinière bourlingueuse patentée. Voyez son pedigree : formation hôtelière de haut niveau à Grenoble, professeur de cuisine dans un lycée hôtelier pendant 15 ans, cuisinière à Crozet pour un hivernage dans les terres australes, la cuisine est pour elle un moyen de voyager, si possible au frais sous les hautes latitudes, tout en revenant parfois au pays de ses ancêtres, à Gresse en Vercors, où au cimetière sept générations lui tendent les bras.

Mais revenons à nos moutons. Suivant un éleveur rencontré, il serait 18 000 chaque année à rejoindre l'abattoir de Narsaq. Juste pour une ferme, la ferme d'Ipiutak, Henning le nouveau fermier, qui a remplacé l'an dernier Agathe et Kalista des amis de France et d'Eric, nous a indiqué une production de 400 agneaux. Et il a décidé de s'agrandir.

Donc ici, les moutons ça va, les touristes ça va, les moustiques ça va (mais je n'en parlerai pas trop de peur de me laisser aller à quelques excès). Pour les ours je n'en dirai pas autant. Tout d'abord, ils ne sont pas très nombreux. Et s'il y en a un, c'est qu'il s'est trompé. En général, les ours descendent le long de la côte est, mais ils devraient s'arrêter bien avant le terminus des glaces. Et quand ils ont raté le dernier arrêt, ils n'ont plus qu'à remonter vers le nord par la terre. Mais leur parcours sera semé d’embûches. Lors de notre séjour, un ours fut annoncé et tout le village fut alerté. L'information était exacte et nous le vîmes qui parcourait tranquillement la grève puis les montagnes en direction du nord. Nous apprîmes plus tard qu'un autre ours avait été abattu le matin même à Qassiarsuk.

Donc nous sommes au royaume de Gardar, paradis des moutons, des touristes, et pas des ours. Paradis futur des géologues que nous venons d'embarquer ?

Mais pour eux Gardar n'est pas un royaume, juste une « province magmatique qui expose un système de rifts intracontinentaux datés du Protérozoïque moyen ». Pour votre gouverne, nous allons dorénavant nous promener dans une période qui doit dater d'un bon milliard d'années. Un chiffre qui me donne le vertige et vous comprendrez aisément que je doive me retirer discrètement de ce blog, pour laisser aux vaillants et savants géologues le soin de continuer.

Ami lecteur, mon semblable, mon frère (ou amie lectrice...) que j'espère par ces quatre épisodes diverti, qui que tu sois je te salue.

Marc, Groenland, juillet 2023


Chronique des aventuriers modestes, par Marc Givry

  • 0545 Approche cote Groenland©Marc Givry
  • 0747 Iceberg dans la brume sud Groenland©Marc Givry
  • 1707 Pangaea et Vagabond a Narsaq©EB
  • 1744 Retrouvailles avec Mike Horn©EB

17 juillet 2023, Narsarsuaq toujours,

Je viens de me rendre compte que dans ce récit décousu, je ne vous avais pas raconté comment nous étions arrivés ici. Pourtant un blog se devrait d'être chronologiquement ordonné.

Donc reprenons. Nous sommes partis de Saint-Pierre en musique par une nuit brumeuse et une mer plutôt clapoteuse. S'en suivi une traversée dans le brouillard mais avec une mer assez peinarde, un peu de vent et de mer vers la fin (merci aux approches du Cap Farewell) et une arrivée superbe, les icebergs et le soleil étant au rendez-vous.

« Les familles heureuses n'ont pas d'histoire », c'est ainsi que débute Anna Karenine, le roman de Tolstoi. Mais pour moi les traversées heureuses sont pleines d'histoires.

Tenez, par exemple, rappelez vous, avant de partir nous avions refait le noir de la carène du navire pour attirer les baleines et les sirènes. De sirènes point ne virent, mais des baleines que si. Ayant annoncé avec beaucoup d'aplomb « troupeau de globicéphales à bâbord », je fus repris par un « c'est pas des globicéphales, c'est des lagenorhynques à flancs blancs de l'Atlantique». Bien fait pour moi, la prochaine fois je dirai « Cétacés en vue, famille des Delphinidae, animaux de tempérament grégaire, se déplacent en troupeaux importants ».

Et puis à l'arrivée nous sommes tombés dans l'histoire, l'histoire de l'Aventure avec un grand A. En effet à Narsaq après quelques zigzags dans les glaces, nous nous sommes amarrés à côté d'un grand voilier. Impressionnant, plus de 30 mètres de long, gréé en ketch, son grand mat qui fait bien 35 mètres domine de sa majesté tout le port. On m'explique, presque avec vénération, qu'il s'agit du célèbre voilier P. qui appartient au non moins célèbre M., l'Aventurier avec un grand A, connu dans le monde entier pour les exploits hors du commun qui ont fait de lui un demi dieu, disons un héro puisqu'il est resté mortel. Mais pour le moment notre héro n'est pas mort. Peut être qu'Athéna la Déesse aux yeux pers veille sur sa destinée, comme je l'espère elle veille aussi sur la notre.

L'équipage, plutôt sympa, qui veille sur ce fleuron maritime, nous explique que M. n'est pas à bord mais qu'ils ont de quoi bien s'occuper. En effet, leur navire est un studio de production vidéo ambulant et leur raison d'être est d'informer la terre entière des exploits en cours. Il ne touche peut être pas la terre entière (laissons au Pape ce privilège Urbi et Orbi), mais au moins les millions de « followers » qui doivent être rassasiés régulièrement. Pour assurer ce festin médiatique, les groupes électrogènes tournent en permanence et nous sommes rassurés par ce ronronnement constant qui nous indique que l'aventure ne s'arrête jamais.

M., l'Aventurier avec un grand A, nous le rencontrerons à l'aéroport lorsque nous irons chercher les géologues. En fait c'est un pote à France et Eric. Ils se connaissent depuis au moins vingt ans. Ils se sont croisés en Alaska, eux allant vers l'est sur Vagabond, lui allant vers l'ouest sur un kayak à balancier.

Vingt ans après, les tailles des navires se sont inversés, le petit navire est devenu bien grand, mais la taille de Vagabond est toujours la même. Le tour de taille a même un peu diminué, les chocs dans la glace ayant fait plus de creux vers l'intérieur que de bosses vers l'extérieur (mais rassurez vous pas de perforations fatales, bien que parfois on ait eu peu chaud).

Le symbole des Chartreux c'est une croix posée sur une sphère, qui signifie « la Terre tourne, la Croix demeure ». Si j'étais prof d'art plastique, je donnerai bien à mes élèves le sujet suivant « la Terre tourne, Vagabond demeure » avec en prime « Traduisez la devise en latin ».

Pour finir ce récit décousu, je voudrai vous citer une dédicace. Sur un livre offert par ses amis à l'architecte Mario Botta, il y avait ceci « Mario, on t'aime, non pas pour ce que tu es devenu, mais pour ce que tu es resté ».

Vagabond, on t'aime pour ce que tu es resté : modeste.


Aigles, baleines, pécheurs, par Marc Givry

  • 0529 Aigle sur iceberg Narsarsuaq©EB
  • 0754 Baleine a bosse Narsarsuaq©EB
  • 1721 France peche la morue pres de Qassiarsuk©EB
  • 0746 Jacky France et Laurent©EB

16 juillet 2023, Narsarsuaq,

Je ne vous le cacherai pas, nous sommes au Groenland.

Nonchalamment mouillé au fin fond d'un fjord. Sous la ligne de flottaison, des morues, beaucoup de morues. Au dessus de nos têtes, des aigles, pas mal d'aigles.

On dit aigle mais pour faire sérieux il faudrait dire « Pygargue à queue blanche » (ou Haliaeetus albicilla pour faire savant). Toutefois comme les anglais disent « White-tailed Eagle », pour faire simple on dira juste aigles pour parler de ces volatiles à queue blanche. Effectivement, les queues sont bien blanches alors que le reste du plumage de nos aigles est brun sombre tacheté, du moins pour les plus grands. Les plus petits ont un plumage brun tacheté sur le dessus et brun crème rayé sur le dessous avec une queue blanchâtre. Les traités scientifiques nous expliquent que les grands sombres sont des adultes et les plus clairs des jeunes, mais au lieu de « jeunes » les traités disent « les immatures ». Comme je pense que notre belle jeunesse si mûre de nos jours n'aimerait pas se faire traiter d'immature j'éviterai d'employer dorénavant ce mot.

Mais matures ou pas, si nous sommes ici, c'est qu'on nous a filé l'info : il faut être là, au fond du fjord à la fin de la marée montante, bonne pèche garantie, aigles en prime. Pour la pèche, ça va, on a déjà sorti quelques belles morues lorsqu'un pécheur avec qui nous avons discuté nous en offre une deux fois plus grosse que les nôtres. Fair play (ou tentés par une boulimie morutière) nous acceptons le présent et dorénavant notre consommation à venir de protéines iodées est assurée.

L'info sur les morues et les aigles était bonne mais il manquait encore un ingrédient au spectacle du jour : les deux baleines à bosse qui vont venir faire leur numéro, soufflant leur jet puissant, respirant deux ou trois fois, puis plongeant pour sonder en mettant leur queue à la verticale.

Au fait, j'y pense, je ne vous ai pas dit qui nous avait donné cette info d'être au fond du fjord entre aigles et morues à la fin du montant. C'est un « bon gars » comme on dit chez nous en Savoie. Et ça, je peux me le permettre car Jacky est un Savoyard d'origine, mieux un Mauriennais et encore mieux un Modanais, un habitant de Modane ! Électricien de formation, il est depuis belle lurette au Groenland, d'abord au nord vers l’île de Disko puis ici autour de Narsaq où il a créé et développé une belle entreprise de transport et de logistique nommée Blue Ice. Bien qu'ayant passé la main et vendu sa boite, il continue avec Birgitte, sa compagne danoise, à bourlinguer activement dans ces parages. Alors, merci Jacky, merci Birgitte, la Savoie vous est bien reconnaissante !

Mais cessons cette nostalgie des alpages.

Je ne vous le cacherai pas, nous sommes bien au Groenland.


Départ en musique, par Marc Givry

  • 1314 Carenage Vagabond devant Hangar a sel de Saint-Pierre©Marc Givry
  • 2007 Celtic Cods depart Vagabond©EB
  • 2038 Celtic Cods depart Vagabond©EB
  • 2100 Depart Vagabond Saint-Pierre©Rachel Robert

5 juillet 2023, Saint Pierre et Miquelon

Mercredi 21 heures, c'est beau la musique, mais il faut y aller.

L'air est frais, mais pas glacial, 9 degrés environ. Toutefois un peu humide. Disons franchement humide. Un beau brouillard dont Saint-Pierre nous a gratifié depuis une bonne semaine. Un temps parfait pour ne pas chercher au loin un horizon qui un jour aurait été bleu. Juste se concentrer vers le bas pour gratter la coque du navire échoué à marée basse pour lui passer sa belle robe d'antifouling d'un noir du plus bel effet. Ce noir profond qui devrait rejeter les algues, repousser les abysses et peut être attirer les baleines ou les sirènes.

Pour les hauts, on se contentera de quelques retouches de rouge et de blanc. Pour redonner au navire sa flamboyance d'antan, il faudrait tout refaire mais le brouillard local n'incite guère à la besogne et puis cela ferait peut être trop neuf, voir trop pimpant pour un vaisseau qui bourlingue depuis plus de vingt ans dans l'Arctique.

Je me souviens, il y a vingt ans en 2003 nous étions au Kamtchatka. Le vaisseau était au milieu de son grand tour. Il avait fait son passage du Nord-Est, il allait entamer son passage du Nord-Ouest. Ayant réussi brillamment ses deux examens de passage, les divinités boréales décidèrent qu'il pouvait demeurer en ces lieux.

Muni de ce viatique, notre fier vaisseau n'a depuis plus quitté le Grand Nord. Avec 12 hivernages, au Svalbard puis au Nunavut, en mettant le navire au service d'une soixantaine de programmes scientifiques, notre vaillant équipage est resté fidèle à son projet d'origine : offrir une base logistique pour la science polaire.

En 2007 une Léonie est venue compléter l'équipage, puis une Aurore en 2009, mais le navire n'a pas changé de cap pour autant : glaces un jour, glaces toujours.

Et cette année, même si les filles sont allées goûter les délices estivaux de notre chaude métropole, il faut y retourner. La science ne saurait attendre et ce qui nous attend pour la première mission de l'été au Groenland, c'est du sérieux. Voyez le titre du projet : « Protero-Litho2 dans la province magmatique de Gardar ». Mais il est sans doute trop tôt pour en parler. Alors attendez un peu et si vous continuez à suivre ce blog, peut être que des sources généralement scientifiquement bien informées vous en diront plus.

Mais il est 21 heures et il faut y aller. Pourtant la musique était belle. Pour notre départ, le bord avait été envahi par le groupe de musique irlandaise les « Celtic Cods » (dont font partie France et Eric), les morues celtiques en bon français, un nom fait pour ravir le petit fils de morutier que je suis. Et donc trois violons, trois flûtes, une mandoline, une guitare, un accordéon et aussi un tambourin celtique, qu'il faut appeler bodhran, nous avaient offert une belle aubade. Pardon une magnifique sérénade, puisque c'était le soir et que l'aubade est réservée à l'aurore du matin.

Et après « Au bord de l'eau » de Rémi Geffroy, un morceau qui m'émeut toujours, nous larguons les amarres. Avalés par le brouillard, nous entendons de plus en plus loin une flûte qui joue «Cape Clear », une mélodie qui nous raconte l’île de Cape Clear, cette vigie impuissante d'hier devenue temple de mémoire, ses larmes de longue date séchées au vent. Joyau retrouvé de la splendeur océanique, elle cherche toujours ses enfants faméliques dans un repli de l'horizon.

C'est beau la musique, mais il faut y aller.