Départ en musique, par Marc Givry
5 juillet 2023, Saint Pierre et Miquelon
Mercredi 21 heures, c'est beau la musique, mais il faut y aller.
L'air est frais, mais pas glacial, 9 degrés environ. Toutefois un peu humide. Disons franchement humide. Un beau brouillard dont Saint-Pierre nous a gratifié depuis une bonne semaine. Un temps parfait pour ne pas chercher au loin un horizon qui un jour aurait été bleu. Juste se concentrer vers le bas pour gratter la coque du navire échoué à marée basse pour lui passer sa belle robe d'antifouling d'un noir du plus bel effet. Ce noir profond qui devrait rejeter les algues, repousser les abysses et peut être attirer les baleines ou les sirènes.
Pour les hauts, on se contentera de quelques retouches de rouge et de blanc. Pour redonner au navire sa flamboyance d'antan, il faudrait tout refaire mais le brouillard local n'incite guère à la besogne et puis cela ferait peut être trop neuf, voir trop pimpant pour un vaisseau qui bourlingue depuis plus de vingt ans dans l'Arctique.
Je me souviens, il y a vingt ans en 2003 nous étions au Kamtchatka. Le vaisseau était au milieu de son grand tour. Il avait fait son passage du Nord-Est, il allait entamer son passage du Nord-Ouest. Ayant réussi brillamment ses deux examens de passage, les divinités boréales décidèrent qu'il pouvait demeurer en ces lieux.
Muni de ce viatique, notre fier vaisseau n'a depuis plus quitté le Grand Nord. Avec 12 hivernages, au Svalbard puis au Nunavut, en mettant le navire au service d'une soixantaine de programmes scientifiques, notre vaillant équipage est resté fidèle à son projet d'origine : offrir une base logistique pour la science polaire.
En 2007 une Léonie est venue compléter l'équipage, puis une Aurore en 2009, mais le navire n'a pas changé de cap pour autant : glaces un jour, glaces toujours.
Et cette année, même si les filles sont allées goûter les délices estivaux de notre chaude métropole, il faut y retourner. La science ne saurait attendre et ce qui nous attend pour la première mission de l'été au Groenland, c'est du sérieux. Voyez le titre du projet : « Protero-Litho2 dans la province magmatique de Gardar ». Mais il est sans doute trop tôt pour en parler. Alors attendez un peu et si vous continuez à suivre ce blog, peut être que des sources généralement scientifiquement bien informées vous en diront plus.
Mais il est 21 heures et il faut y aller. Pourtant la musique était belle. Pour notre départ, le bord avait été envahi par le groupe de musique irlandaise les « Celtic Cods » (dont font partie France et Eric), les morues celtiques en bon français, un nom fait pour ravir le petit fils de morutier que je suis. Et donc trois violons, trois flûtes, une mandoline, une guitare, un accordéon et aussi un tambourin celtique, qu'il faut appeler bodhran, nous avaient offert une belle aubade. Pardon une magnifique sérénade, puisque c'était le soir et que l'aubade est réservée à l'aurore du matin.
Et après « Au bord de l'eau » de Rémi Geffroy, un morceau qui m'émeut toujours, nous larguons les amarres. Avalés par le brouillard, nous entendons de plus en plus loin une flûte qui joue «Cape Clear », une mélodie qui nous raconte l’île de Cape Clear, cette vigie impuissante d'hier devenue temple de mémoire, ses larmes de longue date séchées au vent. Joyau retrouvé de la splendeur océanique, elle cherche toujours ses enfants faméliques dans un repli de l'horizon.
C'est beau la musique, mais il faut y aller.