Un entre deux plein de rencontres
Une fois Laurent reparti, nous ne sommes plus que trois à bord, Pierre, Eric et moi pour 18 jours, avant l'arrivée de l'équipe suivante. C'est assez étrange de vivre ce rythme moins trépidant qu'à notre habitude quand les missions s’enchaînent et que le temps semble manquer ! Mais nous n'avons jamais hiverné au Groenland et sommes heureux pour une fois d'avoir du temps afin de rencontrer, de vivre mieux au diapason de ceux qui nous entourent.
Pierre en profite, à la manière d'un impressionniste-reporter, pour capturer ambiances, témoignages ou scènes de vie, tous ces ingrédients du réel qui plantent le décor et apporteront des suppléments d'âme à son documentaire.
Pour commencer, une date, incontournable : le 21 juin, fête du Groenland et solstice d'été ! Au programme, entre autres, concours de chasse au phoque le matin, remporté en 9 minutes et 15 secondes après le départ des speed boats (le deuxième chasseur revient seulement au bout de 1 heure et 9 minutes !), puis pique-nique géant dans le vallon au pied de la montagne, où poissons et phoques sont partagés et cuits sur place, avec scène extérieure et groupe sonorisé. Un Woodstock groenlandais !
Nous connaissons Ivalo depuis deux ans. Elle est en charge de la culture à Narsaq et c'est elle qui a organisé les festivités du 21 juin. Cette fois elle nous propose de nous joindre à un kaffemik presque au fond du fjord Ikersuaq, en l'honneur des 45 ans de son frère Aka qui y tient la ferme de Kangerlua. Arrivés la veille au soir en louvoyant parmi les glaces (sans oublier un belle escale plongée sous glace et aquarelle sur glace), nous le découvrons avec son fils Saamik, affairés à faire redescendre le petit drone qui leur sert à rassembler les moutons ! Elisa, sa femme, nous invite tout de suite à partager le repas. Le lendemain, 3 speed boats chargés de cousins et amis ainsi qu'un quad de voisins fermiers (de l'autre coté de la montagne) débarquent dans une ambiance joviale. Assis par terre ou sur ce qui s'y prête dans la coquette maison, rires et conversations se mélangent aux jeux des enfants autour d'une ronde de plats qui n'en finissent pas de se recharger; agneau local, mattak en sushi ou gâteaux de toute sorte... Dehors ça blague, ou joue au frisbee sous le doux soleil d'été... Bien que Vagabond soit plus lent, Ivalo est ravie de rentrer à Narsaq avec nous, accompagnée de ses deux petites filles et sa future belle fille, Gigi, enceinte jusqu'aux dents; professeure de géologie à Narsaq, elle apprécie les falaises que nous longeons et n'est pas avare de commentaires tant sur les opportunités de travail ici que sur la question brûlante des mines dans les environs...
Deux semaines plus tard, nous sommes invités au mariage de Gigi et Nanoq, le fils d'Ivalo ! Célébration dans la petite église qui trône sur une butte du village avant d'aller fêter l'événement chez Ivalo où nous rencontrons aussi sa famille plus citadine, venue de Qaqortoq ou de Nuuk.
Peu avant, l'église nous avait montré le visage du drame. Nous avions participé dans la tristesse et le recueillement à l'enterrement d'un père et de son fils. Avec sa fille de 8 ans, désormais en fauteuil roulant, ce père les conduisait vers Qassimiut en speed boat parmi les icebergs et la brume, et ce qui arrive malheureusement trop régulièrement arriva : le bateau percuta un haut fond sans doute à grande vitesse. Seule la fillette fut retrouvée vivante le lendemain, grelottante sur la berge... Pour ces funérailles, tout le village se rassemble et se soude dans la douleur.
Plus tard, en compagnie de nos amis Birgitte et Jacky, nous décidons d'aller rendre visite à l'une des fermes les plus isolées de la région, Eqaluitilua, aussi éloignée qu'enclavée par sa barrière d'icebergs. Une fois à l'ancre, nous prenons le temps de déjeuner à bord avant de nous rendre à terre. Le fermier arrive alors très vite à notre rencontre, nous invitant à venir prendre un café... sa mère, qui a vécu une bonne partie de sa vie ici, qui a construit l'exploitation avec son mari, a déjà confectionné un magnifique gâteau pour notre arrivée ! Récits de cette installation, de la vie au fil des saisons, photos, dessins, tannage... pas d'oisiveté. La présence de Jacky change tout : au Groenland depuis plus de 30 ans, il parle groenlandais et surtout, communique par radio depuis longtemps avec les habitants de cette ferme sans ne les avoir jamais rencontrés ! Eux sont en train de basculer de l'élevage de moutons à la culture de pommes de terre ! Et de même que leurs "voisins" de fjord, pour rien au monde ils iraient vivre en ville, à Narsaq !
A Narsaq depuis des années il y a aussi Paul et Monica, américain et allemande, qui ont veillé avec beaucoup de soin sur Vagabond durant l'hiver. Ils embarquent avec leur chien à bord de Vagabond pour quelques jours et nous font découvrir les sites qui leurs sont chers.
A Narsarsuaq, près de l'aéroport, ce sont Birgitte et Jacky, danoise et français (naturalisé groenlandais), qui depuis trois ans nous offrent amitié et logistique en nous prêtant salle de bain et machine à laver à chaque escale, ainsi que d'innombrables moments de convivialité et de récits épiques, sacré Jacky !
