Vie à bord de Vagabond

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"Vous allez au bout de vos souhaits profonds en réalisant ce projet. Vous êtes un souffle-clarinette. Je rends grâce à la rigueur dont vous faites preuve, sans laquelle rien n'est possible." (le clarinettiste du départ, courrier reçu à bord)

19h précises le 12 mai 2002, Vagabond largue les amarres de Saint-Quay, en route pour sa plus grande aventure. L'émotion est grande au sein de l'équipage soudain isolé de la terre, au son de la clarinette, devant tous les regards tendus vers Vagabond du ponton bondé, la douzaine de bateaux qui nous accompagne et le kayak qui glisse dans notre sillage. La mer nous attend !

9h du matin, le 24 mai sous le soleil.

Les pivoines parties avec nous le 12 mai de St Quay s'ouvrent aujourd'hui. Les 3 premiers poissons pêchés hiers nous ont régalé, soleil et pluie se succèdent mais rien, rien ne voile la sérénité des lieux. Suite de fjords où vagabonder. A cet instant, complètement, je nous sens dans le voyage tous les sens en éveil. Loin du simple "survivre", le regard tiré vers l'autre coté des vitres salées du bateau pour éviter les remous du coeur cadencés par ceux de la mer !

Cela fait 12 jours que nous sommes partis. Quelle chance, que du portant. Nous n'avons jamais fait autant de voile, grâce à ce grand génois lourd tout neuf qui tient longtemps.

Temps au beau fixe au sein de l'équipage aussi. Cabine arrière : duo humour et technique, "pression et tension". Gérard, mécanicien à bord, parapentiste, aime le seau bleu dans le mauvais temps et la caméra dans le beau. Eric bis quand à lui cogite et repense les diverses installations élèctriques nouvelles à bord, le totalisateur d'énergie ou Victron et l'éolienne qui siffle avec volupté à l'arrière. Nul mal de mer ne l'atteind jamais ce qui lui vaut une multitude de tâches dont il s'acquite toujours dans la bonne humeur.

Le reste de l'équipage occupe l'avant : le capitaine et son second, Eric et moi, ainsi que David venu filmer la première partie du voyage jusqu'à Mourmansk avant de passer le relais à son père puis à son frère. Une histoire sous un oeil de famille.

Découvrir Amsterdam, l'espace d'une soirée printanière… En trois jours, une première étape motivante nous a menée aux portes de la mer intérieure de Hollande : sensation magique de voguer comme dans un rêve sur un lac par moins de 5m de fond, au milieu de toute sorte de voiliers majestueux et de rapides péniches.

A l'autre bout, l'escale prévue à Den Helder s'avèra efficace : dans les bureaux de Chartworx, l'accueil des partenaires qui nous ont fourni le logiciel de navigation et les premières cartes numériques fut chaleureux, leur aide précieuse quand à l'utilisation de cet outil formidable. Par contre, les cartes C-MAP qui doivent complèter la couverture de notre route ne sont pas encore disponibles sur leur logiciel, nous irons donc les chercher directement chez le fabricant, au sud de la Norvège.

Enfin, nous avons eu le plaisir de rencontrer la famille de Karen, venue spécialement de Groningen pour découvrir concrètement Vagabond et le grand projet dans lequel elle embarquera dès Mourmansk.

26 mai.

Ah, la Norvège et ses fjords… Les quarts s'organisent en fonction des cailloux, nos trois marins novices prennent de l'assurance en navigation, il devient même difficile de laisser son quart tant on a peur d'en perdre une miette. Mais peut on appeler "miettes", le fait de croiser de nuit un sous-marin, de doubler une maison qui avance sur l'eau tout feux éteinds, de voir le ciel s'embraser des heures tandis que le soleil se cache de moins en moins !

Runde, 62° 23' 88 Nord, 5° 39' 73 Est, trois ponts pour y arriver, un qui ne passe pas. Du haut du mât je me retrouve à hauteur du tablier à répondre aux questions de quelques norvégiens ahuris, avant le demi-tour imposé.

Runde, l'île aux oiseaux, l'île où retrouver Pascal venu de France passer une semaine avec nous.

Runde ou le "Far-North-West" : Vagabond est amarré tout naturellemnt aux piles de bois de deux petites maisons sur leur presqu'îlot, dans l'enclos du petit port. Maisons désertes, passage possible en désaxant les épaules pour sortir du lieu, entre les maisons. Un charme tout norvégien se dégage de cette ambiance calme sur fond de bois, de blancs et de bleues. Vagabond, contre les jolies maisons… Et si on habitait là ?

Pêche, promenades, e-mails vers Mourmansk, aquarelles, réparations en salle machine et dans le gréement… à hauteur des fenêtres. Pas besoin d'élever la voix de là haut, nulle résonnance, intimité feutrée du bois.

Lorsque l'on repart après deux nuits, cap sur la falaise aux oiseaux : même sensation emplissante que sous les falaises islandaises, la hauteur et les cris des oiseaux qui résonnent occupent tous les sens. Guillemots-macareux-labes-mouettes nichent, plongent, planent autour de nous. Alors, la ligne accroche et 2 deux belles morues qui attendent leur tour, au four pour ce soir.

Chacun à bord de Vagabond apprécie cette belle marche d'approche, mais le Nord-Est, le but du voyage reste fidèle à nos esprits, confirme notre motivation première.

France Pinczon du Sel