17 juillet 2023, Narsarsuaq toujours,
Je viens de me rendre compte que dans ce récit décousu, je ne vous avais
pas raconté comment nous étions arrivés ici. Pourtant un blog se devrait
d'être chronologiquement ordonné.
Donc reprenons. Nous sommes partis de Saint-Pierre en musique par une
nuit brumeuse et une mer plutôt clapoteuse. S'en suivi une traversée
dans le brouillard mais avec une mer assez peinarde, un peu de vent et
de mer vers la fin (merci aux approches du Cap Farewell) et une arrivée
superbe, les icebergs et le soleil étant au rendez-vous.
« Les familles heureuses n'ont pas d'histoire », c'est ainsi que débute
Anna Karenine, le roman de Tolstoi. Mais pour moi les traversées
heureuses sont pleines d'histoires.
Tenez, par exemple, rappelez vous, avant de partir nous avions refait le
noir de la carène du navire pour attirer les baleines et les sirènes. De
sirènes point ne virent, mais des baleines que si. Ayant annoncé avec
beaucoup d'aplomb « troupeau de globicéphales à bâbord », je fus repris
par un « c'est pas des globicéphales, c'est des lagenorhynques à flancs
blancs de l'Atlantique». Bien fait pour moi, la prochaine fois je dirai
« Cétacés en vue, famille des Delphinidae, animaux de tempérament
grégaire, se déplacent en troupeaux importants ».
Et puis à l'arrivée nous sommes tombés dans l'histoire, l'histoire de
l'Aventure avec un grand A. En effet à Narsaq après quelques zigzags
dans les glaces, nous nous sommes amarrés à côté d'un grand voilier.
Impressionnant, plus de 30 mètres de long, gréé en ketch, son grand mat
qui fait bien 35 mètres domine de sa majesté tout le port. On
m'explique, presque avec vénération, qu'il s'agit du célèbre voilier P.
qui appartient au non moins célèbre M., l'Aventurier avec un grand A,
connu dans le monde entier pour les exploits hors du commun qui ont fait
de lui un demi dieu, disons un héro puisqu'il est resté mortel. Mais
pour le moment notre héro n'est pas mort. Peut être qu'Athéna la Déesse
aux yeux pers veille sur sa destinée, comme je l'espère elle veille
aussi sur la notre.
L'équipage, plutôt sympa, qui veille sur ce fleuron maritime, nous
explique que M. n'est pas à bord mais qu'ils ont de quoi bien s'occuper.
En effet, leur navire est un studio de production vidéo ambulant et leur
raison d'être est d'informer la terre entière des exploits en cours. Il
ne touche peut être pas la terre entière (laissons au Pape ce privilège
Urbi et Orbi), mais au moins les millions de « followers » qui doivent
être rassasiés régulièrement. Pour assurer ce festin médiatique, les
groupes électrogènes tournent en permanence et nous sommes rassurés par
ce ronronnement constant qui nous indique que l'aventure ne s'arrête jamais.
M., l'Aventurier avec un grand A, nous le rencontrerons à l'aéroport
lorsque nous irons chercher les géologues. En fait c'est un pote à
France et Eric. Ils se connaissent depuis au moins vingt ans. Ils se
sont croisés en Alaska, eux allant vers l'est sur Vagabond, lui allant
vers l'ouest sur un kayak à balancier.
Vingt ans après, les tailles des navires se sont inversés, le petit
navire est devenu bien grand, mais la taille de Vagabond est toujours la
même. Le tour de taille a même un peu diminué, les chocs dans la glace
ayant fait plus de creux vers l'intérieur que de bosses vers l'extérieur
(mais rassurez vous pas de perforations fatales, bien que parfois on ait
eu peu chaud).
Le symbole des Chartreux c'est une croix posée sur une sphère, qui
signifie « la Terre tourne, la Croix demeure ». Si j'étais prof d'art
plastique, je donnerai bien à mes élèves le sujet suivant « la Terre
tourne, Vagabond demeure » avec en prime « Traduisez la devise en latin ».
Pour finir ce récit décousu, je voudrai vous citer une dédicace. Sur un
livre offert par ses amis à l'architecte Mario Botta, il y avait ceci
« Mario, on t'aime, non pas pour ce que tu es devenu, mais pour ce que
tu es resté ».
Vagabond, on t'aime pour ce que tu es resté : modeste.