Sortis du piège de glace
Cette baie Fram est un piège protecteur, Vagabond risquerait d'y passer l'hiver... Le pack défilant dans le détroit de Rice depuis hier (1er septembre) nous engage à le suivre, en direction du sud. Dès la sortie de la baie nous sommes emportés sur un tapis roulant qui charrie des plaques agressives, épaisses, offrant peu de marge de manœuvre. Sans parler du petit vent contraire qui pousse Vagabond sur un bord de l'étroit détroit. Lorsque les mouvements se calment, c'est parce que le chenal est rempli, les glaces sont imbriquées en un puzzle géant. Une plaque trop haute vient emboutir l'arrière de Vagabond déjà immobilisé, pliant le câble qui tient le mât, sous la plate forme arrière... Heureusement, celle-ci se contente de se déformer sous la pression.
Nous bataillons pour éviter de trop exposer la coque, et moins d'un mille nautique a été parcouru en une demi journée ! Après une heure de répit, à notre grande surprise, le courant s'inverse, nous tentons cette fois de repartir vers le nord. Atteignant rapidement la sortie du chenal, nous découvrons enfin une bande d'eau libre le long de l'île Pim, nous voilà sortis du piège ! Nous passons devant le camp Clay, mais il y a trop de neige pour l'observer. De plus, une large barrière de pack compact nous sépare toujours de l'eau libre, en direction du Groenland. Nous sommes à l'endroit le plus étroit du détroit de Smith et l'apercevons, rose sous les rayons du couchant, à 20 miles nautiques, bien moins enneigé que le Canada blanc. Les scientifiques qui nous envoient les cartes de glaces et photos satellites annoncent des conditions hivernales en avance d'une semaine. Dans le passage du nord ouest, des voiliers capitulent. Plus au Nord, l'équipage de Babouchka vient de se faire récupérer par un brise-glace russe. Dans le bassin de Kane, juste au dessus du détroit de Smith, la nouvelle glace se forme déjà. Après une tentative infructueuse, nous amarrons Vagabond à une plaque de glace, non loin de l'île Brevoort, où il nous est impossible de débarquer : nous espérions pouvoir inspecter, voire réparer, la station météo, récemment détruite par un ours, vraisemblablement. Par contre, tout en dérivant, Eric parvient à faire une dernière mesure avec la CTD (fin de la section à travers le détroit de Smith). A onze heure du soir, profitant du calme avant le vent annoncé, Emmanuel se remet à la perche, Eric à la barre, tandis que France remonte dans le nid de pie et guide Vagabond dans ce labyrinthe de glace. A quatre heure du matin elle redescend, les glaces s'espacent. A six heure, sous les premières rafales de vent, Vagabond mouille dans le refuge de Cache Point, une jolie petite baie escarpée. Seuls Aurore, Léonie et Eric débarquent à terre, toujours avides de découvertes : vestiges de campements inuits (ronds de pierres), restes de cabane, cairns et inscriptions dans le lichen laissés par les rares navigateurs et chasseurs de passage.
Le 5 septembre après un bon repos, nous décidons d'aller explorer un peu plus au nord la terre d'Inglefield, laissant définitivement de coté le projet initial de poser le pied sur l'île Hans, trop au nord et noyée dans les glaces (carte des glaces impressionnante !). En chemin, nous approchons d'une autre île de glace (PII2012A1d), plus petite que la première mais bien plus escarpée. Majestueuse falaise de glace que Vagabond longe puis contourne, avant de poursuivre dans une brume de plus en plus dense. Emmanuel profite de l'éclaircie pour une séance filmée, marchant seul et perplexe, sur une plaque de banquise... Les cartes deviennent décalées, mal dessinées, complètement fausses ! Ce soir, pour entrer dans la baie d'Inuarfigssuaq par 78°31 Nord (baie Marshall), seul le radar permet de deviner la réalité des lieux, sous les rafales de neige et la brume persistante. Le vent du sud s'est relevé, ce n'est qu'au lendemain matin que nous découvrons notre abri dont une grande partie s'est vidée d'eau : à marée basse, il ne reste plus qu'un mètre d'eau sous la coque ! Enfin, le soleil est de retour. C'est ici, au plus nord de notre parcours (toast!), que nous déposons les vivres et carburant pour l'expédition de Alex Hibbert (Dark Ice Project). Après les débarquements en annexe, il nous faut plus de trois heures pour enfouir tant bien que mal sous des pierres les 8 bidons et 11 sacs, afin qu'ils échappent à la curiosité et à la voracité des ours. Pendant ce temps, Catherine et Emmanuel photographient chacun de leurs 193 drapeaux sous ces hautes latitudes, dans ce cadre unique et en sursis. L'endroit est magnifique... Collines et montagnes offrent plusieurs point de vu sur le large, trois lacs d'eau douce et peut être poissonneux s'éparpillent alentours, un site idéal pour hiverner ! Des bidons de carburant indiquent que le site peut être utilisé par un aéronef pour se poser.