Eau libre
C'est la fin de la saison de motoneige et de la chasse au "floe edge" : beaucoup de mammifères marins se rassemblent en bordure de banquise pour profiter des eaux riches des fjords à nouveau accessibles. Il fait +12°C, la banquise fond très rapidement cette année et nous sommes les premiers à naviguer devant le village d'Arctic Bay ! Hier j'ai plongé depuis notre bateau alors que la veille il y avait encore trop de glaces pour naviguer jusqu'au site.
Nous nous activons à bord de Vagabond dans la journée (travaux scientifiques, entretiens de fin d'hivernage et préparatifs de la mission d'été), et nous campons le soir dans la baie Victor pour profiter de la toundra fleurie.
Notre voisin de tente Philip connaît nos filles puisqu'il travaille à l'école. Il vit avec sa femme Sarah dans une toute petite cabane, toute l'année, au bord de la baie Victor, car ils sont onze personnes dans leur maison à Arctic Bay. Le manque de logements est important au Nunavut.
Julian, nièce de Sarah et Philip, et son mari Isaia nous ont invités samedi soir à l'anniversaire de leur fils Morgan. Il est né il y a un an, le lendemain du suicide de son frère dont il a hérité du prénom. Autour des tentes et des petites cabanes, nous étions nombreux pour partager ces moments émouvants, heureux malgré tout. Leur amie Cherita organisait le 26 juin dernier dans le village une marche pour la prévention du suicide.
Après une belle rando dimanche avec vue magnifique sur l'eau libre et sur trois icebergs dans le fjord de l'Amirauté, nous rendons visite à Paul. Le mécanicien de la commune, si serviable à notre égard pendant tout l'hivernage, vit avec Hanna dans une petite maison rouge qu'il a construite il a 7 ans. Hanna enseigne la culture traditionnelle à l'école d'Arctic Bay, elle avait aidé France à faire le patron de la parka de Léonie. Elle vient tout juste de perdre son fils, encore un suicide... Paul nous raconte son enfance loin de sa famille, le pensionnat pour pouvoir manger trois fois par jour, et l'aide du gouvernement qu'il a reçu beaucoup plus tard pour compenser les années loin de son père et de l'apprentissage de la chasse et de la pêche. Il se rattrapa. Il explique sans amertume que grâce à son éducation et à son travail, au fil du temps, il a pu offrir plusieurs motoneiges à son père.
Depuis quelques dizaines d'années, derrière les belles cartes postales arctiques, les problèmes sociaux sont plus difficiles à surmonter que le froid polaire. Heureusement le coronavirus n'a pas atteint les communautés du Nunavut.