Au royaume de Gardar , par Marc Givry
26 juillet 2023, Igaliku,
Nous sommes au royaume de Gardar, mais ce n'est pas un royaume. Peut-être juste un paradis pour moutons. Pour touristes aussi maintenant. Bien entendu, loin de moi l'idée de comparer les touristes et les moutons. D'ailleurs, numériquement parlant pour l'instant ici les moutons gagnent encore.
Certes l'UNESCO a classé le palais épiscopal de Gardar au patrimoine mondial de l'humanité attirant de ce fait les multitudes touristiques. Ce fut en effet le siège d'un évêché de 1126 à 1377, à la belle époque des Vikings. Construite à partir de 1126 la cathédrale fut dédiée à Saint Nicolas, le Saint Patron des marins, un patronage qui ne pourra que vous plaire.
Question multitudes humaines, tachons de raison garder. L'hiver il doit y avoir une vingtaine de résidents permanents, l'été une quarantaine et quand un croisiériste mouille dans le fjord au maximum cela se compte en centaines. Ces chiffres indicatifs nous ont été communiqués par Eloise la cuisinière du Bydgehotel d'Igaliku. Le chiffre des croisiéristes elle le connaît bien, car quand un navire est annoncé elle se doit de préparer des dizaines de cafés gourmands. Mais pas plus de repas du soir que d'habitude. En effet si le croisiériste est gourmand il est aussi prudent car il revient toujours à son bord avant le repas du soir. Avant que les loups ne descendent de la montagne car on n'a pas dû lui dire qu'il y avait pas de loups ici. Des ours peut être, mais on en parlera plus tard.
Ceci dit les croisiéristes ont peut être tort de ne pas profiter de la cuisine du soir d'Eloise, délicieuse je vous le garantis. Eloise est en fait une cuisinière bourlingueuse patentée. Voyez son pedigree : formation hôtelière de haut niveau à Grenoble, professeur de cuisine dans un lycée hôtelier pendant 15 ans, cuisinière à Crozet pour un hivernage dans les terres australes, la cuisine est pour elle un moyen de voyager, si possible au frais sous les hautes latitudes, tout en revenant parfois au pays de ses ancêtres, à Gresse en Vercors, où au cimetière sept générations lui tendent les bras.
Mais revenons à nos moutons. Suivant un éleveur rencontré, il serait 18 000 chaque année à rejoindre l'abattoir de Narsaq. Juste pour une ferme, la ferme d'Ipiutak, Henning le nouveau fermier, qui a remplacé l'an dernier Agathe et Kalista des amis de France et d'Eric, nous a indiqué une production de 400 agneaux. Et il a décidé de s'agrandir.
Donc ici, les moutons ça va, les touristes ça va, les moustiques ça va (mais je n'en parlerai pas trop de peur de me laisser aller à quelques excès). Pour les ours je n'en dirai pas autant. Tout d'abord, ils ne sont pas très nombreux. Et s'il y en a un, c'est qu'il s'est trompé. En général, les ours descendent le long de la côte est, mais ils devraient s'arrêter bien avant le terminus des glaces. Et quand ils ont raté le dernier arrêt, ils n'ont plus qu'à remonter vers le nord par la terre. Mais leur parcours sera semé d’embûches. Lors de notre séjour, un ours fut annoncé et tout le village fut alerté. L'information était exacte et nous le vîmes qui parcourait tranquillement la grève puis les montagnes en direction du nord. Nous apprîmes plus tard qu'un autre ours avait été abattu le matin même à Qassiarsuk.
Donc nous sommes au royaume de Gardar, paradis des moutons, des touristes, et pas des ours. Paradis futur des géologues que nous venons d'embarquer ?
Mais pour eux Gardar n'est pas un royaume, juste une « province magmatique qui expose un système de rifts intracontinentaux datés du Protérozoïque moyen ». Pour votre gouverne, nous allons dorénavant nous promener dans une période qui doit dater d'un bon milliard d'années. Un chiffre qui me donne le vertige et vous comprendrez aisément que je doive me retirer discrètement de ce blog, pour laisser aux vaillants et savants géologues le soin de continuer.
Ami lecteur, mon semblable, mon frère (ou amie lectrice...) que j'espère par ces quatre épisodes diverti, qui que tu sois je te salue.
Marc, Groenland, juillet 2023