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Expédition Volcabasin, deuxième partie

  • Au coeur du Svartenhuk

La houle est toujours forte lorsque Vagabond jette l'ancre, samedi midi, devant la cabane abandonnée de Tartussaq. Priscilla, François et Bernard ont travaillé et campé là depuis mardi soir. Ils avaient alors débarqués en combinaisons étanches, à minuit, sous la pluie... ils ont finalement eu trois jours de grand beau temps et reviennent enchantés de leur séjour à terre. Pendant ce temps, Vagabond a fait route vers Qaarsut, à environ 100 kilomètres au sud de la zone d'étude; c'est l'aéroport le plus proche. Laurent, le chef de mission, et les quatre géophysiciens sont repartis jeudi matin, tandis qu'une nouvelle équipe de trois géologues est arrivée le lendemain (René, Arnaud et Philippe). Aussitôt après, Vagabond a mis le cap sur le Svartenhuk pour récupérer les campeurs et poursuivre l'étude de cette zone exceptionnelle. Les nombreux vols hélico effectués la semaine précédente ont permis de multiplier les observations et mesures dans des endroits parfois très reculés et difficiles d'accès. Tout le monde a pu en profiter, même Aurore et Léonie, pour admirer ce massif basaltique et ses quelques glaciers. J'ai moi-même été sollicité pour faire de longs panoramiques filmés depuis l'hélico, qui permettront de voir et revoir la zone ultérieurement.

Entre les deux équipes, Vagabond a fait une courte escale technique à Uummannaq. Les myrtilles étaient au rendez-vous aux alentours de la ville, pour le plus grand plaisir de toute la famille !


14 personnes à bord !

  • Deux bateaux et un helico pour mission geologie

La côte sud du Svartenhuk est guère protégée, les débarquements sont parfois difficiles en raison de la houle. Pluie et vent alternent heureusement avec soleil et hautes températures : jusqu'à 20°C ! Le 2 août, Vagabond a été rejoint par le Porsild, un bateau groenlandais de la station scientifique de Qeqertarsuaq (île Disko). A son bord, quatre géophysiciens de Brest venus renforcer l'équipe de Laurent Geoffroy. Les mesures de magnéto-tellurisme et la gravimétrie effectuées par l'équipe de Pascal Tarits complètent les observations, les carottages et les échantillonnages des quatre géologues de Vagabond, pour comprendre la marge volcanique du Svartenhuk. Le 6 août au soir, Jim et Svein se posent sur la berge avec l'hélicoptère de Air Greenland, affrété pour la mission jusqu'au 14 août. Les deux pilotes s'installent à bord de Vagabond. Lorsque le Porsild quitte la zone le 9 août, nous sommes alors quatorze personnes à table, pour 5 jours ! Heureusement, dans le fjord Arfertuarssuk, il existe un bon abri pour le bateau, et un bon endroit pour poser l'hélico. Une partie du matériel des géophysiciens reste à terre (ouf!), non loin des fûts de carburant acheminés par et pour l'hélico, et six personnes peuvent dormir à terre dans une cabane en bon état et sous une tente. La mission Volcabasin 2012 bât son plein !


Svartenhuk via Uummannaq

  • Carottage d un filon de basalte

Le 31 juillet à 6h du matin, France et moi jetons l'ancre dans la petite baie d'Akunerit, au sud de la péninsule de Svartenhuk. A proximité de la plage, les hauts fonds nous protègent des innombrables icebergs. Aurore et Léonie dorment depuis longtemps dans leur cabine, ainsi que les quatre géologues qui ont embarqué à Qaarsut hier soir, avec une vingtaines de bidons, de caisses et de sacs, pour un mois de mission. Ensemble, sous un soleil couchant magnifique, nous avons pu observer plusieurs baleines à bosses, imperturbables, très occupées à se nourrir. Chaque jour depuis le 26 juillet, ici par 71°N, le soleil se couche à nouveau, brièvement.

Vagabond a juste eu le temps de faire une courte escale à Uummannaq avant le début de la mission. Nous y avons été accueillis très chaleureusement par Pierre Auzias, qui veille sur nous depuis qu'il connaît notre souhait de passer ici l'hiver 2013-2014. Pierre habite la maison voisine du grand voyageur Ole Jorgen, que nous sommes ravis de revoir, juste avant qu'il parte en expédition vers le nord du Groenland. Cette escale est aussi l'occasion de rencontrer l'équipage de Gambo, voilier affrété pour un programme océanographique d'un an dans le fjord d'Uummannaq.

Les roches étudiées par l'équipe de Laurent Geoffroy, qui revient à bord de Vagabond pour la quatrième fois, sont âgées d'environ 55 millions d'années. La terre, elle, a 4,5 milliards d'années. Si la terre avait un an au 1er janvier, l'homme serait arrivé sur terre le 31 décembre à 22h. En compagnie des géologues, il est passionnant de mieux comprendre l'histoire de notre planète, tout en cherchant à la préserver.


Upernavik Yacht Club

  • Upernavik

Peu à peu, la houle se fait sentir, Vagabond retrouve la mer, libre de glace, l'équipage s'amarine en douceur en traversant la baie de Baffin. L'ami Christian veille sur notre route et suggère de longer les côtes canadiennes avant de mettre le cap sur Upernavik, nous évitons ainsi de trop forts vents de face. Pas un bateau en vu pendant ces quatre jours de mer, mais beaucoup d'icebergs, plus majestueux les uns que les autres. Vendredi midi, nous entrons dans le port d'Upernavik, et ne tardons pas à retrouver notre amie Bodil : elle veille sur des cartons de vivres venus pour nous du Québec à bord du voilier Arctic Tern 1 affrété par le WWF ! D'autres voiliers sont dans le port, qui ressemble soudain à une réelle marina : Dodo's Delight (son skipper Bob Shepton avait installé en 2009 la station météo de Littleton que nous avons réparé en août 2011), [habité à bord de Vagabond pendant deux mois au Svalbard](http://www.markvandeweg.nl>Jonathan (Mark, son skipper, a <a

href=)), Billy Budd (dont la propriétaire Cristina nous invite à bord samedi soir pour une excellente soirée), Belzebub II (dont Rana le cinéaste embarque à bord de Vagabond comme passager jusqu'à Uummannaq), Arctic Tern... D'autres viennent de passer ici, ou bien naviguent non loin de là : Kotick, Balthazar, Marguerite, La Louise, Polaris... quelle affluence ! Depuis son départ d'Upernavik (1200 habitants, dix fois plus qu'à Grise Fiord) le 17 juillet 2011, Vagabond n'avait pas vu d'autre voilier, ni d'autre port.


Grise Fiord

  • Jeffrey et sa famille accueillent Vagabond a Grise Fiord

Dimanche matin, entraîné malgré lui par les glaces dérivantes, Vagabond se trouve tout près du site d'hivernage du Fram (1899-1900), dans le fjord Harbour. Non loin de nous, une quinzaine de boeufs musqués, davantage de lièvres arctiques, et d'innombrables oiseaux nichés dans les falaises. A bord, nous jouons aux cartes... Et puis soudain, en milieu de journée, la pression se relâche. Tant et si bien qu'en fin d'après-midi, nous jetons l'ancre devant Grise Fiord ! Les villageois sont heureux de pouvoir naviguer, depuis quelques heures, eux-aussi, et plusieurs bateaux viennent à notre rencontre pour nous accueillir, à commencer par Jeffrey et sa famille. C'est chez eux que retournent les chiens, ainsi que le traîneau. Ce sont eux qui conservent une partie de l'équipement scientifique, qui sera utilisé l'hiver prochain, puisque nous avons décidé de revenir à Grise Fiord pour un deuxième hivernage. C'est aussi chez eux que Léonie passe la nuit, ravie de retrouver d'autres enfants ! Avant de partir pour le Groenland, nous récupérons quelques cartons de vivres, envoyons les derniers plis philatéliques, expédions le reste du matériel scientifique et remplissons les formalités de sortie du territoire canadien. Un ravitaillement en carburant n'est pas nécessaire, il nous reste un bon quart des 4000 litres chargés en septembre dernier. L'escale est courte, tout juste le temps de revoir chacun de nos amis, de discuter de notre emplacement pour l'hiver prochain. Lundi soir, tandis que France est à la barre et cherche un passage entre les glaces pour sortir du détroit de Jones et rejoindre la baie de Baffin, je passe trois heures sur le pont pour finir de tout ranger et amarrer. Cap sur Upernavik ! Parcours à suivre ici.


Si proche de Grise Fiord

  • La banquise se compacte contre la cote

Entouré d'icebergs mais protégé par une faible profondeur d'eau, Vagabond est resté huit jours au mouillage, au pied d'un glacier, de l'autre côté du fjord du Cap Sud, à sept kilomètres du site d'hivernage. Au programme : travaux, entretien et rangement à bord, et pique-niques à terre.

En fin de journée le 17 juillet, nous décidons de nous diriger vers Grise Fiord, tout en faisant de la bathymétrie, à la recherche du seuil du fjord, avec le sondeur grands-fonds fraîchement installé. A mi-parcours, nous sommes bloqués par la banquise subsistante. Nous passons la nuit amarrés au bord de la glace. Tandis que les chiens mangent leur part de phoque, un ours s'approche sur la banquise, puis poursuit son chemin à la nage. De gros phoques barbus solitaires, des groupes de phoques du Groenland, des pétrels... le spectacle incessant compense notre faible progression. Le 19, le vent se lève et la banquise se compacte contre la côte, Vagabond gîte et se soulève sous la pression, un peu trop près du Cap Est, à une dizaine de milles du village. L'étau s'est légèrement desserré hier soir, de sorte que Vagabond a pu s'éloigner des rochers. Il continue de dériver avec les glaces, en attendant qu'une voie s'ouvre vers l'Est...


Chronique d'une débâcle

  • Vagabond vu du ciel 2 juillet 22h
  • Bathysonde retrouvee

2 juillet : envoi du ballon solaire en fin de journée, mais des nuages inattendus entraînent une descente rapide du ballon et de l'appareil photo !

3 juillet : le vent est trop fort pour aller au milieu du fjord. Mais la cuisine se fait toujours en plein air, à l'arrière du bateau, ce qui est très agréable. Le poêle, sur lequel nous cuisinons la plupart du temps, est en effet éteint pendant les "chaudes" journées de l'été.

4 juillet : avec l'aide d'un chien, d'une combinaison étanche et d'un kayak, je parviens à la position de la bathysonde, installée fin avril au milieu du fjord. Mais le vent fort de la veille a changé le décor, la débâcle vient tout juste de commencer. Je cherche l'instrument à la dérive dans les glaces, il contient toutes les mesures depuis fin avril... J'abandonne au bout de quelques heures, dépité.

5 juillet : un grand morceau de banquise, qui abrite Vagabond depuis début octobre 2011, se décroche de la côte et dérive sur 500 mètres. L'ancre du bateau dérape, alors nous tentons de récupérer un peu de chaîne à chaque fois que la tension diminue. 25 mètres sur 60 sont ainsi repris progressivement. Le pont se retrouve soudainement très encombré par tout nos équipements qui étaient encore sur la banquise.

6 juillet : premier débarquement à terre en annexe. L'embarcation est tractée sur la glace jusqu'à l'eau libre qui nous sépare maintenant de la berge. La majorité de l'immense fjord du Cap Sud est désormais navigable. Un gros phoque barbu s'est installé non loin de Vagabond. En fin de journée, pendant quatre heures, j'arpente la région en annexe à la recherche de la bathysonde égarée. En vain.

7 juillet : à 20h, l'ancre est finalement relevée, intacte.

8 juillet : la dérive au gré des vents et des courants de marées se poursuit, nous sommes toujours prisonniers de notre banquise, qui reprend provisoirement sa position initiale !

9 juillet : à son tour, la banquise autour du bateau cède à la fonte et se désagrège, Vagabond est en eau libre à 11h ! Mais très peu de temps après, les glaces dérivantes le poussent sur des hauts fonds, la coque racle, le bateau gîte de plus de vingt degrés. France et moi sommes inquiets mais les filles rigolent et font du toboggan sur le plancher très incliné ! Le bateau se redresse enfin, il est temps de faire un grand rangement à bord et de finir de transformer notre refuge en navire. Les deux chiens embarquent à leur tour, peu rassurés mais contents d'être au sec. Les recherches de la bathysonde se poursuivent désormais avec Vagabond.

10 juillet, 1h du matin : depuis le nid de pie, entre de nombreux petits icebergs, j'aperçois avec les jumelles les bouées rouge et blanche qui soutiennent le précieux instrument. Il est repêché intact à cinq kilomètres de sa position initiale. Quelle chance !


Bottes en plastique

  • Eau libre entre la plage et le bateau

Pas moyen de participer aux festivités organisées à Grise Fiord aujourd'hui pour la fête nationale du Canada : la banquise n'est plus praticable en motoneige, trop fragile, mais elle est encore trop solide pour être franchie avec Vagabond ! Voilà dix jours maintenant que notre véhicule est stationné au village, pour l'été. Il neigeait, le jour du solstice d'été, lorsque j'ai fait le dernier trajet. La banquise était tellement inondée que je suis arrivé trempé ! Mais le moteur n'a pas été noyé, la glace n'a pas cédé, et il était encore possible de contourner les trop larges fractures. Ouf. Le lendemain, Jeffrey s'est proposé pour me raccompagner. France et moi étions heureux de l'accueillir à bord pour un moment, c'est avec lui que nous étions en contact avant de venir à Grise Fiord, il y a près d'un an, et c'est lui qui nous a confié quatre chiens et des traîneaux pour tout l'hiver.

L'eau s'est écoulée par les trous de phoque et par les fractures, la banquise s'est asséchée. Puis, sous l'action du soleil, les flaques se sont creusées, et agrandies. Désormais, elles communiquent entre elles, et il ne reste plus que des îlots blancs entourés d'une mince banquise submergée. Les bottes en caoutchouc sont indispensables ! En particulier pour se rendre au milieu du fjord, pour les mesures scientifiques, tous les trois jours. La glace a déjà perdu 40% de son épaisseur. Le soleil brille sans discontinuer depuis huit jours, le thermomètre frôle parfois les 10°C, conditions idéales pour les petites retouches peintures, et pour des pique-niques à terre ou sur la banquise. Passer de l'un à l'autre devient périlleux, même avec le kayak ou le traîneau. Pêche à la crevette à marée basse, découverte de nouvelles fleurs à terre, observations de mouettes ivoires, sternes arctiques, eiders royaux, oies des neiges... Les chiens veillent sur leurs bouts de gras, convoités par beaucoup d'oiseaux, et sont excités par les phoques qui surgissent de plus en plus près.

Lors de mon dernier passage "en ville", j'ai rencontré Graeme Magor, qui a hiverné en 1999-2000, un peu plus à l'ouest. J'ai aussi revu Evangeline De Pas; elle a vécu 10 ans sur le voilier la V'limeuse, et elle travaille aujourd'hui sur le projet de web-documentaire Iqqaumavara (qui signifie "je m'en souviens"), avec Marquise Lepage, réalisatrice d'un film sur Martha Flaherty, cousine de Larry. Soirée passionnante avec toutes ces personnes réunies !

Loin de tout, Grise Fiord attire de rares mais éloquents visiteurs, tels ce célèbre joueur de hockey, il y a trois jours, ou cette riche famille mexicaine, venus voir les ours et survoler Vagabond en hélico le 18 juin !


Mosaïque

  • Iceberg source pres de Vagabond

Un phoque gratte à la coque ! Tout est calme à bord quand soudain nous entendons des bulles, juste sous notre cabine. Puis quelques grattements, et un souffle. Un phoque reprend son souffle à un ou deux mètres de nous. C'est à nouveau le silence, il a plongé. Quelques minutes plus tard, il est de retour : grosses bulles et puissante respiration. Impossible de le voir depuis le pont, mais il a trouvé un passage suffisant entre la glace et la coque jusqu'à la surface. Heureusement, il n'a pas été dissuadé par la découpe de son congénère. Les restes attirent des oiseaux qui sont de plus en plus nombreux et variés autour de Vagabond : goéland bourgmestre, grand corbeau, oie bernache, eider à duvet, plongeon catmarin, guillemot à miroir, labbe parasite, bécasseau violet, bruant des neiges. A terre, les lièvres arctiques, toujours bien blancs, sont faciles à voir maintenant que la neige a fondu. Quelques aller-retours avec les chiens jusqu'à la rivière la plus proche ont suffit pour remplir les réservoirs d'eau douce du bateau, nous avons maintenant l'eau courante à bord ! Depuis le sommet voisin, ou même depuis le haut du mât, la banquise, constellée de flaques de fonte, ressemble à une mosaïque. Il a fallu à peine plus de deux semaines pour que toute la neige de l'hiver fonde sur la banquise. Le glaciomètre a été installé dans le kayak pour qu'il ne soit pas submergé. Le motoneige qui le tracte se rapproche du scooter des mer ! Il y a un an, nous étions en navigation : Vagabond se frayait un passage à travers la banquise de la baie de Melville, une banquise qui ressemblait à celle qui nous entoure aujourd'hui...


Phoque et ours

  • Bonne chasse

Finalement, ce n'est ni au filet, ni à l'affût, que France a attrapé un phoque, hier, mais seulement par surprise, en motoneige. L'imprudent, à la différence de ses congénères, n'a pas plongé à notre approche. France l'a donc littéralement poussé à l'écart de son trou. Puis, évitant les coups de griffes du phoque affolé, d'autant plus que les chiens excités n'ont pas tardé à lui mordre la queue, elle a tiré à bout portant. De quoi faire des gants pour l'hiver prochain et nourrir les chiens jusqu'à la débâcle.

La journée commence par un pique-nique paisible et une balade jusqu'à une grande chute d'eau, puis par quelques mesures de profondeur dans le fjord. France pilote la motoneige de trou en trou, les filles joyeuses dans le traîneau, et moi à ski derrière avec les chiens qui suivent la piste. Je m'en écarte de temps en temps pour filmer, tout en skiant. Je n'ai d'ailleurs pas lâché la caméra pendant la chasse inattendue (les filles faisaient la sieste). Au retour, avec notre phoque sanguinolent sur le traîneau, nous découvrons qu'un ours est venu visiter notre camp de base ! Il a fait tomber un trépied, il a ouvert la caisse des chiens mais curieusement n'a pas touché à leur viande de phoque, il a inspecté la coque de très près... un jeune ours qui a laissé de petites traces un peu partout, mais aucun dégât.