Pacific

Pacifique, 30 aout 2002

date: 30 aout 2002 15:26:31 +0400
voilier vagabond
capitaine brossier

cher mr. brossier,

nous aimerions vous feliciter pour votre passage reussi de la route du
nord. nous vous souhaitons ainsi qu'a toute l'equipe d'avoir autant de
reussite par la suite, ainsi qu'une bonne sante et une navigation sure.

salutations
n. babitch

(chef des operations marines, compagnie maritime de mourmansk)


Detroit de Dmitriy Laptev

Detroit de Dmitriy Laptev, 21 aout 2002,

6h ce matin, heure de Paris, Vagabond est sur le meme meridien que Nagoya (ville natale du captain). Il est 17h a bord. Nous sommes en effet a l'heure de notre destination depuis 2 jours, les montres et instruments ont franchi d'un seul coup les 9 fuseaux horaires qui separent Mourmansk de Provideniya.

Depuis le cap Tcheliouskine, pour traverser la mer de Laptev et atteindre le delta de la Lena, nous contournons par le sud-ouest un grand champ de pack, en longeant un peu plus la cote pendant 3 jours. Plusieurs fois les glaces derivantes barrent la route de Vagabond, parfois soudainement dans la brume, provoquant un peu de precipitation pour ranger les voiles et manœuvrer a travers la banquise disloquee, sous les regards de quelques morses et phoques, endormis ou curieux. Les conseils envoyes par la Compagnie de Navigation de Mourmansk, a qui nous transmettons notre position 2 fois par jour, sont confirmes lors d'un echange radio avec un brise-glace. Ils s'averent autant utiles que les discussions avec l'equipe du Dagmar Aaen, avec qui nous comparons toutes les informations recues a bord au sujet des glaces. Mais rien ne remplace notre fidele nid de pie pour une vigie efficace.

Tiksi, ville importante de Iakoutie (la plus grande republique de la federation de Russie), ne compte plus que 5000 habitants aujourd'hui, contre 30000 a la fin de l'epoque sovietique. L'activite de ce port principal de la route du nord a considerablement chutee, et les places a quai ne manquent pas pour Vagabond, premier voilier etranger a y faire escale. C'est la que le voilier russe Apostle Andrey passa l'hiver, avant de franchir le passage du Nord-Est en 1999; il est actuellement engage dans le passage du Nord-Ouest.

La region est montagneuse, et la toundra environnante offre suffisamment de champignons pour occuper toute la population en ce dimanche 18 aout ! Echange de demeures en peintures, France fait une aquarelle de Vagabond et la troque contre 2 toiles qui representent de grandes tentes traditionnelles. L'artiste evenk nous apporte aussi 5kg de poisson et nous montre quelques œuvres d'art utilisant par exemple des morceaux de defense de mammouth. Apres avoir repondu aux questions d'une journaliste du Phare de l'Arctique, le journal local, les 2 jours d'escale s'achevent avec la visite interessante du musee, organisee pour nous et pour 2 voyageurs ukrainiens qui parcourent le monde en stop, tous moyens de transport confondus.

Une grande zone de pack menace de fermer la route plus a l'est, Mourmansk nous conseille de ne pas perdre de temps. Nous quittons Tiksi, un peu decus de ne pas pouvoir y accueillir, quelques jours plus tard, l'aventurier Gilles Elkaim, lance dans la traversee de l'Arctique russe depuis mai 2000. Arved Fuchs doit attendre 2 equipiers avant de reprendre la mer avec Dagmar Aaen.

De nouvelles photos sont en ligne sur direct

A bientot, Eric Brossier


Cap Tcheliouskine

Cap Tcheliouskine, 12 Aout 2002

La Grande Expedition Arctique, decidee par l'imperatrice Anna et composee de 5 expeditions, employa mille personnes de 1733 a 1742 pour explorer la possibilite d'un passage maritime le long de la cote de Siberie. L'officier de marine Chariton Laptev et son second, le lieutenant Tcheliouskine, explorerent la peninsule de Taymir en traineaux a chiens.

"Le 19 aout 1878, a 6h du soir, la Vega et la Lena mouillerent dans une echancrure de ce cap, ouverte vers le nord. Ainsi se trouvait atteint un resultat important, desire depuis le commencement du siecle. Pour la premiere fois un navire ancrait devant le cap le plus septentrional de l'Asie. En l'honneur de cet heureux evenement les batiments se pavoiserent et tirerent une salve; puis au retour d'une excursion a terre, l'on deboucha les vins fins." (A.E.Nordenskjold)

"17 aout 1991. Notre progression est de 3 noeuds dans un pack tres dense. A 6h30 le Russya rejoint le convoi et passe devant escortant un train compose maintenant comme suit : Russya - tanker - Capitan Dranitsin (brise-glace) - L'Astrolabe. Nous sommes dans du 10/10 pack compact avec hummocks. A 13h15 nous sommes rejoints par un second brise-glace nucleaire, l'Arktika, qui pendant 1h et a 16 noeuds nous ouvre un chenal dans le pack. Nous passons ainsi le Cap Tcheliouskine." (extrait du journal de bord de L'Astrolabe, premier navire occidental a réutiliser la route du Nord fermee depuis 70 ans)

Cap Tcheliouskine, 12 aout 2002, Vagabond jette l'ancre a 17h50 devant la base militaire, a l'abri de la houle, derriere une plaque de banquise. Hormis les quelques glaces a franchir hier, nous naviguons en eaux libres depuis Dikson, les conditions cette annee sont particulierement favorables. Le garde-cote qui embarque grace a notre annexe pour controler nos passeports et autorisations, explique que le cap est reste prisonnier de la banquise l'ete dernier. Depuis l'epoque sovietique, seuls 2 voiliers russes, Apostle Andrei et Sibir, ont franchi ce cap, en 1999 et 2000. Dagmar Aaen ne tarde pas a creer la foule ! Malgre l'etat deplorable de la base, nous profitons d'un agreable sauna avant de deboucher le champagne a bord, et admirons quelques phoques, morses et belougas devant le cairn historique. L'autorisation est donnee a Gerard pour decoller avec son paramoteur, mais pas moyen de trouver un terrain suffisamment degage. Non loin derriere l'aeroport abandonne, Sacha, geophysicien, nous fait visiter ce qu'il reste de la base scientifique qui occupait plus de 70 personnes auparavant. Ses capteurs magnetiques dernier cri contrastent fort avec la vetuste des installations. Nous assistons aussi au passage du premier convoi de la saison, un tanker precede du brise-glace nucleaire Sovietsky Soyouz, emergeant de la brume a quelques miles de la cote. Boris est fier d'avoir ouvert la route en voilier cette annee !

Les longitudes defilent (le Cap Tcheliouskin, 77-43N 104-14E, est sur le meme meridien que Singapour !), Vagabond fait route au sud-est maintenant, en mer de Laptev.

Merci pour vos messages recus a bord,

Salutations de toute l'equipe,
Eric Brossier


Mer de Kara

Mer de Kara, 9 aout 2002,

Vagabond a quitte Dikson ce matin, exactement 124 ans apres Nordenskjold, et poursuit sa route vers le Nord-Est. A quelques 450 miles devant nous, le Cap Tcheliouskine, le point le plus au nord de l'Asie, qui marquera notre entree en mer de Laptev si les glaces le permettent.

Nous ne sommes pas seuls en mer. Outre les premiers cargos et brise-glaces de la saison, Arved Fuchs et son equipe, a bord du Dagmar Aaen, veulent eux aussi franchir le passage du Nord-Est cette annee, quatrieme tentative depuis 91. Les 2 voiliers se suivent de pres, et une sympathique complicite s'est etablie entre les equipiers depuis Mourmansk.

Dans la soiree du 30 juillet, toutes les formalites enfin accomplies, accompagne par 2 pilotes, Vagabond sort du long fjord de Mourmansk. Les vents portants nous permettent de traverser la mer de Barents a bonne allure, et d'atteindre le detroit de Kara le 3 aout. La Nouvelle Zemble ne laisse paraitre que 2 balises dans la brume, et un fort courant nous pousse en mer de Kara ou nous rencontrons nos premieres glaces derivantes, pour notre plus grand plaisir. Beaucoup de phoques curieux viennent saluer les visiteurs inhabituels que nous sommes. Au milieu du pack, le Sovietsky Soyouz, brise-glace nucleaire, veille a la securite des rares navires. Par radio le capitaine nous recommande de contourner le pack par le nord, et bientot, la mer de Kara s'ouvre a nous completement libre. Un navire hydrographique russe nous double le lendemain et nous offre un echange insolite par radio avec l'ex alpiniste et desormais realisateur Jean Afanassief, qui se rend a Tiksi. Le 6 aout, Vagabond atteint l'île Blanche, au nord de la peninsule de Yamal. La mer se teinte a l'arrivee des eaux du fleuve Ob, puis de l'Ienissei, et il nous faut eviter de nombreux troncs d'arbre a la derive.

Dikson etait un port important de la route du nord, encore 6000 personnes y vivaient il y a 10 ans, a peine plus de 1000 aujourd'hui. Samuel, cameraman, embarque apres maintes peripeties pour nous rejoindre, quant a notre interprete Karen, incommodee par quelques ennuis de sante, elle choisi de ne pas s'engager dans la partie la plus delicate de l'expedition. Grace a Boris qui nous accompagne depuis Mourmansk, les communications avec les autres navires et avec les autorites ne posent pas de problemes. Il y a 4 heures de decalage entre Mourmansk et Dikson, mais nous n'en tenons pas compte afin de conserver le rythme du bord !

A noter la sortie du dernier DVD de Voiles et Voiliers avec le film de l'expedition de Vagabond au Groenland en aout 2001. Plus d'infos sur www.vagabond.fr ou par telephone direct avec l'equipe, +881 631 413 274.

A bientot,
Eric Brossier


Mourmansk

Mourmansk, 31 juillet 2002

Vagabond et son equipe ont quitte mourmansk, heureux de faire enfin route vers le passage du nord-est. cette longue escale difficile vous sera comptee bientot, en attendant, n'hesitez pas a visiter le site www.vagabond.fr.

Eric Brossier


Mourmansk

Mourmansk, 25 juin 2002

Bonjour a tous,

Vagabond est en Russie depuis une semaine. La periode de navigation dans l'Arctique commence a peine, la glace fond peu a peu au large de la Siberie, ce qui nous laisse le temps d'approfondir nos longues et indispensables demarches administratives. Grace aux precieux contacts mis en place avec l'aide de l'ambassade de France, l'equipe est notamment soutenue par l'Universite Technique de Mourmansk, jumelee avec Brest, possedant le celebre voilier 4 mats Sedov et un centre moderne de formation aux metiers de la marine marchande. Les interviews pour la television locale se multiplient, et l'enthousiasme pour notre expedition est ici bien reel !

Vagabond a donc quitte Tromso le 5 juin, apres la sympathique visite d'Olivier Pitras, pour continuer sa route vers le nord-est. L'accueil a Hammerfest a ete excellent, assure par Eivind dont le grand-pere participa a une expedition polaire americaine, et par Pele qui nous a fait rencontrer le capitaine du chalutier russe Gugunov. Juste avant le Cap Nord, une courte escale a permis a Gerard, photo en main, de revoir 2 de ses amis datant de son periple en moto equipee de skis, en hiver 89. Notre voisin de ponton etait alors un baleinier, de retour d'une chasse fructueuse.

Le 8 juin vers midi, Vagabond contournait la pointe Knivskjelodden, le point le plus septentrional de l'Europe, et doublait peu apres le mythique Cap Nord surplombant de ses 300 metres la mer de Barents. Quel plaisir de jeter l'ancre dans la petite baie tranquille d'Hornvika, cachee des bus de touristes par la falaise ! Il a fallu 2 bonnes heures a l'equipe pour tamponner, signer, et honorer les voeux de nos chers philatelistes, avant de poursuivre vers l'est.

Le rendez-vous avec la Grande Hermine, navire de grande peche de Saint-Malo, a ete un succes : a une douzaine de miles au large des cotes norvegiennes, nous avons eu la joie d'accueillir a bord Celine, amie de France, et Nicolas, le boulanger, charges de pain tout chaud et de vivres frais. Retrouvailles chaleureuses et insolites !

A Kirkenes, l'escale s'est prolongee afin d'arriver a Mourmansk un jour de semaine. L'equipe a ainsi eu le temps d'accueillir l'equipiere Karen, de feter les 33 ans du capitaine, de repondre a la presse locale et de verifier doublement les formalites d'entree en Russie. Pour la 'Faites de la lumiere', le 15 juin, Vagabond etait a l'ancre dans la petite baie de Smaastromman, proche de la frontiere. Le soleil etait encore haut a 2 heures du matin, participant directement a la fete, et les rennes et renards polaires rencontres dans les environs ne se sont probablement doutes de rien lors de la seance Super 8 qui s'est joyeusement deroulee dans le carre du bateau.

Chacun d'entre nous gardera en memoire notre arrivee a Mourmansk, la longue attente a l'entree du fjord, puis celle, 30 miles plus loin, a l'entree de la ville, en compagnie de 2 gardes-cotes perplexes mais tres cooperatifs. Bien que preparee longtemps a l'avance, plusieurs jours ont ete necessaires aux douaniers et autres autorites pour tout verifier, pour controler nos intentions et contacts, pour que tout soit en regle. La plaisance en mer de Barents ne s'envisage pas aujourd'hui a l'improviste.

A bientot, Eric


Tard, très tard

15 juin 2002, tard, très tard,

Vagabond est au mouillage, dans une petite baie paisible et sauvage, un joli fjord norvégien de la mer de Barentz, tout près de la frontière russe qui marquera demain une étape importante de l'expédition...

L'équipe revient d'une virée à terre, les rencontres avec les rennes, renards polaires et nombreux oiseaux furent magiques, le soleil de minuit n'en fini pas de briller, bien au-dessus de l'horizon, indiquant exactement le nord... il faut d'ailleurs recouvrir tous les hublots de toiles opaques pour atteindre un semblant d'obscurité et envisager la séance attendue.

Le crépitement du projecteur se fait enfin entendre, les héros du super 8 entrent en scène, la 'Faites de la lumière' vagabonde, plaisir de partager un évènement à mille lieux. Un détail technique ne nous permettra pas de découvrir les derniers chefs d'oeuvres reçus avant notre départ, et revoilà nos danseuses étoiles ou autres touristes préférés en Egypte ou en Grèce !!

La nuit ne viendra pas, faite de lumières arctiques, fête de la lumière dans l'Arctique.

Merci pour vos films,

Eric et toute l'équipe de Vagabond

PS : nous recherchons, pour nos longues soirées d'hivernage, les molettes d'entrainement de film super 8 correspondant aux derniers films reçus (tel que celui de Blick par exemple), en espérant pouvoir les monter sur notre projecteur...


Tromso

Tromso, 5 juin 2002

Bonjour à tous,

Vagabond et son equipe sont en escale a Tromso (69-39N 18-58E), en Norvege, depuis le 3 juin, ville qu'utilisaient les explorateurs polaires du 19eme siecle comme base de leurs expeditions vers les regions boreales. Le directeur du musee polaire, tres enthousiaste, nous a invite a redecouvrir les formidables aventures des celebres Nansen, Amundsen, et autres heros norvegiens. Aujourd'hui, la ville est tres animee par son universite et ses centres de recherches arctiques.

La fregate francaise Montcalm, en route pour Mourmansk, est egalement en escale a Tromso. Apres nous avoir fort bien recu a son bord, le commandant etait des notres hier soir, a bord de Vagabond; dans 8 jours, il sera recu par l'ambassadeur de France en Russie et le gouverneur de la province de Mourmansk.

Escorte de nombreux bateaux, Vagabond a quitte Saint-Quay-Portrieux le 12 mai sous un fort vent favorable. Amsterdam fut notre premiere escale, puis Den Helder ou nous avions rendez-vous avec notre partenaire hollandais Chartworx (cartographie marine electronique). Le 21 mai, l'equipe posait le pied en Norvege, a Egersund, ou notre partenaire C-Map nous confiait des cartes supplementaires. Au fil des fjords magnifiques et de tres belles escales (Runde, Rorvik, Bodo, Reine et Svolvaer aux Lofoten), Vagabond a franchi le cercle polaire le 29 mai, dans des conditions ideales. Grace au Gulf Stream, les glaces derivantes n'existent pas en Norvege !

Ce mois ci, Kathy Mansfield raconte son experience a bord de Vagabond dans le magazine americain Cruising World.

Pour en savoir plus sur la vie a bord de Vagabond, pour voir quelques images (photos et aquarelles), ou pour nous suivre sur la carte (merci a www.antarctica.org), vous pouvez visiter le site www.vagabond.fr.

A bientot, Eric


Naissance d'un rêve

Je suis né au Japon, pays que j'ai quitté à l'âge de trois mois, et dont il ne me reste sans doute que l'envie d'y retourner. Revoir Nagoya. En septembre 69, je survole l'Arctique pour rallier la France. Refaire ce trajet en bateau était un projet ambitieux, mais la magie du Grand Nord et des contrées reculées m'a aussi démontré, au cours de précédents voyages, son puissant pouvoir de séduction. Des expériences fortes et inoubliables qui furent sources d'émotions, de celles que l'on cherche continuellement à revivre.

Et puis il y a cet irrésistible besoin de découvrir, rencontrer et partager des cultures différentes. Les peuples isolés dans l'Arctique sibérien connaissent un quotidien si différent du nôtre qu'il faut du temps pour l'apprécier. Cette longue traversée de plusieurs mois fût l'occasion de témoigner comment l'homme réussit à s'adapter à son environnement, même dans un climat hostile et un système politico-économique instable. Le voilier offre la possibilité de rendre la chaleureuse hospitalité si fréquente et spontanée dans ces conditions de voyage.

Ainsi, c'est naturellement que ce projet a pris forme, peu à peu, soutenu par une équipe et une sereine détermination.

Vagabond, toutes voiles dehors

Vagabond, toutes voiles dehors