Jours trop courts au Nunavut

"En mars 2020, nous sommes partis, Maude Fumey et Mathurin Gasparini, rencontrer les habitants d’Arctic Bay et les interroger sur les modifications de leurs modes de vie liées au réchauffement climatique, afin d’en faire un spectacle de rue. Nous étions accueillis sur le bateau d’exploration polaire Vagabond. Naturellement, rien ne s’est passé comme prévu..." Lire le carnet de voyage de Maude et Mathurin, après leur résidence d'artiste à bord de Vagabond du 10 au 22 mars 2020 à Arctic Bay. Télécharger.


La science à bord de Vagabond... sans Eric le scientifique

  • Leonie et Aurore site numero 1
  • Leonie reine du labo
  • Niskin Leonie France

Avec l'équipage actuel composé de Aurore 10 ans, danseuse gracieuse, Léonie 13 ans, heureusement scientifique dans l'âme et moi artiste, presque 50 ans, nous parvenons à faire une petite partie du programme scientifique, au prix de tâtonnements que n'auraient pas connu Eric.

Par une belle après-midi toute notre petite troupe s'ébroue avec chien, pulka remplie de tout le nécessaire et bonne humeur, jusqu'au site le plus proche, à 2,3 km du bateau. Guillerettes, nous trouons la banquise en trois trous de tarière, cassons à coups de tuk ce qui reste de glace entre les trous (de loin le plus long!) pour n'en faire qu'un gros, afin d'envoyer vers le fond la bouteille Niskin ré-apprivoisée auparavant. Après avoir prélevé la précieuse eau du fond de la mer et rhabillé de neige isolante notre petit chantier, une heure de marche joyeuse nous ramène au bateau, où les choses sérieuses commencent. Avec Léonie en reine du labo; je ne fais que l'assister. Carbone, chlorure de mercure... dûment gantée et outillée de pipette et seringue, elle filtre, elle assure... jusqu'à la dernière goutte disponible, alors qu'il reste deux prélèvements à faire ! Rage, déception, trois heures de manip dehors pour faire la moitié du boulot...

En plus, on comprend qu'il faut faire les prélèvements d'eau sur les deux sites dédiés le même jour. Déjà, trouver le deuxième site. Chargée de mes inébranlables souvenirs, je pars légère en reconnaissance. Mon but est aussi d'entraîner Stone le chien à tirer une skieuse avant d'y atteler une pulka. 12 km et trois heures plus tard, après bien des suées pour cause d'éducation canine, je suis de retour au bateau, bredouille ! Rien vu du tas de glace et de son piquet qui auraient dus y être ! Deux jours plus tard je repars munie d'un GPS, ré apprivoisé lui aussi, et arrive droit sur la vision espérée. Avec tuk et tarière, je peux faire les trous en avance, et admirer les progrès de Stone comme tracteur.

Arrive enfin le grand jour, nous sommes fin prêtes. Ce matin, laissant Léonie et Aurore à leur école-bateau, pulka chargée et chien devant, je traverse la baie et pratique les trois trous avant de m'apercevoir que le tuk a disparu ! Sans m'encombrer je repars seule à ski en suivant nos traces, mais Stone arrache sa broche à glace pour me rejoindre. Je me ficelle à lui tant bien que mal avec la broche coupante pendante et refais presque toute la route jusqu'à Vagabond avant de retrouver le tuk. De retour près des trous je m’énerve : cette fois c'est la broche à glace que j'ai semée. Le chien, longe enroulée autour d'un gros bloc de glace le traîne comme un boulet, lentement mais sûrement autour de moi... Ce prélèvement d'eau n'est pas de tout repos. De retour au bateau, broche à glace retrouvée, Léonie officie dans la cuisine-labo, je grignote le déjeuner tout prêt puis repars. Trois heures plus tard me voilà de retour du deuxième site, après une manip comme je n'en avais jamais encore faite : comme sur des roulettes ! Il est 18h30, Léonie a fini le labo et nous avons enfin réussi à faire une journée de prélèvement d'eau comme il se doit !


Seules à bord

  • Aux falaises embrumees
  • Maud Mathurin Christian Leonie et ananas du pole nord
  • Chant de gorge en peignat devant un comedien et un photographe

À Arctic Bay tout va plutôt bien, le Corona virus (Covid 19) se répand doucement, les gens d'ici sont au courant de tout grâce à Internet. Ils ne le voient pas comme un obstacle, mais plus comme quelque chose de gros, mais ils ne paniquent pas, ils restent calme. On ne sait pas exactement comment ni quand papa va rentrer... C'est un peu dur mais on garde espoir et on se dit que papa rentrera en prioritaire. Christian, (photographe), qui nous a accompagné depuis le début est reparti le 20 mars avec Maude et Mathurin (comédiens), qui étaient censés rester jusqu'au 28 mars. Ça fait bizarre de se retrouver seules toutes les trois si vite. Normalement, c'était au départ de Maude et Mathurin... Non!!! Même pas!!! Jamais, normalement, puisque papa devait arriver 2-3 jours après Christian et nous début mars...


Changements d'équipes

  • Kapitan Dranistsyn et Polarstern
  • La banquise craque sur MOSAIC

Aujourd'hui, 12 mars, le soleil s'est levé pour la première fois sur MOSAIC depuis le 5 octobre. Mais il resté caché par les nuages, et le vent fort a fracturé la banquise de part et d'autre de notre zone de travail, spectaculaire. Les instruments et installations scientifiques ont été épargnés, miraculeusement.

Je suis donc toujours à bord du brise-glace allemand Polarstern. Mes collègues du Leg2 sont finalement repartis vers la Norvège le 6 mars à bord du brise-glace russe Kapitan Dranitsyn. Ils devraient arriver début avril à Tromso avec un mois de retard sur le planning initial. J'ai décidé de rester avec l'équipe du Leg3 car j'ai obtenu une place dans le premier avion de la campagne aéroportée de MOSAIC. Je devrais arriver alors à Longyearbyen au Svalbard, début d'un long voyage jusqu'à Arctic Bay au Canada où ma famille m'attend à bord de Vagabond.

Le premier vol était prévu aujourd'hui sur la banquise à côté du Polarstern, mais toute l'équipe de la campagne est actuellement en quarantaine à cause du virus Corona ! Mon retour depuis presque le pôle Nord est reporté pour une durée indéterminée... L'impact du virus est bel et bien global.

Le Polarstern est devenu le navire le plus au nord de l'histoire en hiver en atteignant 88°36'N le 24 février 2020, au fil de sa dérive transpolaire. Quant au Kapitan Dranitsyn, il détient désormais le record de latitude en hiver pour un navire en navigation (88°28'N le 26 février 2020).

L'équipe du Leg3 est arrivée pleine d'énergie, après ce très long périple depuis Tromso, et la relève a été assurée plus rapidement que le transfert des 40 tonnes de cargaison (ravitaillement et matériel scientifique), qui a duré une semaine en raison du froid intense (-40°C, jusqu'à -60°C ressenti).

Le changement d'équipe à bord de Vagabond, en hivernage près d'Arctic Bay, a été bien plus bref : une demi-heure ! Depuis le 3 mars, France, Léonie et Aurore ont repris leurs marques et démarré la résidence d'artistes avec Christian Morel.


Première semaine à bord

  • Light painting petites vagabondes
  • Retrouvailles avec Vagabond

Georges, le pilote du Pilatus, a fait du bon boulot avec un vol assez technique à cause du froid : il nous a posé à Arctic Bay le 2 mars par des températures avoisinant les -35°, pour repartir avec Louis au bout d'une demie heure, sans laisser au Pilatus le temps de se refroidir. Pas de longue passation de consigne, mais juste le temps de chanter Happy Birthday à Louis pour ses trente ans et de partager son gâteau d'anniversaire avec les amis de l'aéroport !

Après quatre mois d'absence nous trouvons Vagabond presque inchangé, un peu plus de glace à l'intérieur et rien que du blanc tout autour. Somptueux. Nous nous organisons dans ce froid qu'il faut ré-apprivoiser. Différence majeure d'avec nos retours habituels : nous sommes trois filles et un garçon mais ce n'est pas Eric, malencontreusement retenu sur le brise glace Polarstern sans date de retour certaine, bien plus au nord que nous ! Seules les voies d'internet nous relient...

Christian, premier artiste en résidence sur Vagabond cette année s'est lancé et... émerveille les aficionados de la page Facebook du village avec se photos de light painting : les "modèles" se pressent pour prendre leur tour ! Et nous, on se décale vers la nuit dont Christian a besoin pour ses photos, nuit qui recule de 10 minutes chaque jour. A bord on prend notre rythme, l'école française le matin, avant les tours au village où les habitants d'Arctic Bay nous retrouvent chaleureusement.

Après une demie douzaine de nuits par -39°C, les journées ne sont pas chaudes-chaudes et on ne reste pas encore des heures d'affilées dehors ;)