Science et logistique légère

  • 20200601 Pousser bloc central sous la banquise ©Aurore Brossier
  • 20200517 En route vers Nuvua ©EB

Lors des onze hivernages précédents, nous utilisions des motoneiges pour nous déplacer sur la banquise au départ de Vagabond. Pour la science et pour nos loisirs. Cette année, les conditions nous poussent à faire sans.

Réduire nos dépenses. Ces machines bien pratiques coûtent au moins 10000€ à l'achat, consomment beaucoup d'essence et d'huile, et nécessitent un entretien régulier.

Sites scientifiques proches. Les trois sites définis pour le programme scientifique de cet hivernage 2019-2020 se trouvent dans la baie d'Arctic Bay (6x3km).

Confinement. Les visites entre familles sont vivement déconseillées depuis le mois de mars, que ce soit à Arctic Bay, sur la banquise, en itinérance ou en camping. Participer à une compétition de pêche, par exemple, à 8 ou 10 heures de motoneige du village, perd beaucoup de son sens s'il faut rester confiné près de sa tente.

Effort et partage. Aurore et Léonie ont bien grandi, c'est un plaisir de marcher ou skier ensemble, avec l'aide de nos chiens Stone et Miki ou de kites pour tracter nos pulkas qui garantissent notre autonomie. Nous allons certes moins loin qu'en skidoo, mais nous discutons en route et entendons les oiseaux !

De même pour les plongées et les prélèvements d'eau, nous n'avons pas de tarière motorisée ni de tronçonneuse alors nous perçons les 160cm de banquise avec tarières manuelles et tuks. Le contact avec la glace est plus intime et pas besoin de salle de sport !

Enfin, l'utilisation des panneaux solaires et le remplacement des batteries en septembre dernier nous permettent de réduire considérablement l'utilisation du groupe électrogène. Notre consommation de gasoil est de l'ordre de 7 litres par jour pour l'énergie, le chauffage et la cuisine.


Premier camping de la saison

  • 20200504l Bon anniversaire maman ©EB
  • 20200503d Depart camping ©Aurore Brossier

Cette année, pas de motoneige. Si nous voulons découvrir de nouveaux paysages, c'est avec nos pieds.

Afin de marquer et fêter mes 50 ans, nous partons donc avec 3 pulkas et Stone le chien, à pied ou a ski, vers une baie voisine.

Les préparatifs ne ressemblent pas à ceux des week-end camping des années précédentes où le traîneau pouvait s'emplir sans soucis de poids ! Eric et moi tirons chacun une pulka, Léonie gère Stone le chien et l'aide parfois à tirer la sienne, la plus lourde, tandis qu'Aurore joue les majorettes en tête ravie de notre petite équipée. A la pointe de la baie d'Arctic Bay, le vent s'installe et enfle dans notre dos, soufflant la neige en nous poussant de l'avant ! Plusieurs motoneiges nous dépassent puis Tom en traîneau à chiens. Nous les découvrons réunis dans une petite échancrure de la côte, partageant un thé suivant la coutume des dimanches soirs sur la banquise. Mais nous sommes en quarantaine, nous échangeons donc quelques signes de la main et poursuivons. Au bout de 3 heures de marche nous traversons les hummocks et le vent meurt doucement pour nous laisser monter la tente sur une berge idyllique.

Le lendemain, balades et farniente. Nous retrouvons avec bonheur le sentiment de liberté qu'offre ces campements sauvages et le soir Léonie nous surprend avec ses prouesses culinaires bien cachées dans la glacière (qui sert à éviter la congélation) pour fêter dignement mon demi siècle !


La science AVEC Eric le scientifique

  • 20200502c Derniers preparatifs avant de plonger ©Leonie Brossier
  • 20200501e France perce 1m60 de glace au tuk ©EB

Une fois par mois, il est une manip que nous n'avons pas pu effectuer sans Eric, consistant à aller récupérer des échantillons de coralline par 15 mètres de fond et de vérifier les divers capteurs permettant de suivre les conditions de croissance de cette algue aux strates révélatrices.

Autrement dit, la mise en œuvre d'une plongée sous glace.

Urgente donc, cette manip n'attend pas la fin de notre quarantaine. Sans contacts extérieurs, sans motoneige, sans tarière thermique. Juste avec nos petits bras.

Première étape, pratiquer un trou dans les 1,70m d'épaisseur de la banquise, et de bonne taille pour y laisser passer Eric lesté de son équipement. 7 heures de tuk, à deux. Le tuk étant cet axe métallique prolongé d'un tranchant qui permet de tailler dans la glace, petit à petit. Eric y laisse une genre de super-tendinite du poignet, tandis que je sentirai longtemps les muscles de mes mains douloureux.

Le lendemain, Eric se déclare tout de même valide pour la plongée. La petite tente de pêche est montée à coté du trou afin de réchauffer le bonhomme et son équipement, avant et après la plongée. Léonie assiste Eric dans son installation tandis qu'Aurore m'aide à ré-ouvrir et à nettoyer le trou, écumoire en main. Puis tout roule comme sur des roulettes. Le temps d'une plongée presque sans givrage, Aurore peaufine son "cercle de diamant" à proximité puis Eric ressort heureux. Une foi le trou recouvert de neige et le plongeur rhabillé, nous partageons le gâteau bien mérité joyeusement serrés à l'intérieur du petit carré de toile rouge.


Le grand voyage

  • Terre Freuchen Nord Groenland
  • Polarstern-Vagabond

Ma maman Brigitte nous a quitté hier, le 23 avril. La grand-mère de nos filles Aurore et Léonie, et aussi celle de Vagabond, est partie pour son plus grand voyage.

Au même instant, exactement, je décollais à bord d'un Twin Otter de Station Nord pour Eureka, un vol exceptionnel, totalement magique. Pendant près de cinq heures je survolais des paysages époustouflants au nord du Groenland et de l'île Ellesmere. Je n'oublierai jamais ce vol qui me ramenait vers chez moi tandis que ma maman s'envolait pour de bon.

Brigitte savait que l'équipage de Vagabond allait enfin être rassemblé, quelques heures plus tard. Elle savait qu'après une longue séparation de cinq mois pour Mosaic, cette expédition scientifique internationale très spectaculaire sur la banquise dérivante, notre petite famille poursuivrait ses missions plus modestes, fidèles à l'esprit Vagabond.

Depuis deux mois je négociais pour rejoindre Vagabond au plus vite, en restant dans l'Arctique, sans passer par le sud. Un ours est même passé tôt hier matin, comme pour s'assurer que j'avais bien quitté la mission. D'un bateau pris pas les glaces à l'autre, du Polarstern à Vagabond directement, objectif atteint !

Aurore, Léonie, France, Stone le chien et la pulka étaient là hier au bord de la piste, lorsque l'avion de Kenn Borek s'est posé. Quelles retrouvailles ! C'est ensuite à pied sur la banquise que nous avons rejoint Vagabond, d'où j'ai pu enfin communiquer plus facilement avec mes proches confinés en France. Que d'émotions dans une seule journée.

Aujourd'hui nous entamons sereinement une quarantaine à bord de Vagabond, tout en poursuivant les travaux scientifiques. Seule différence par rapport à notre mode de vie habituel en hivernage, nous attendrons avant de rendre visite à nos amis d'Arctic Bay, le village voisin.