Printemps ?

  • En traineau

A chaque sortie sur la banquise, dans les environs de Vagabond, on tombe sur de nouvelles traces d'ours polaires. Là, un mâle a agrandi le trou de respiration d'un phoque pour le sortir de l'eau, après l'avoir tué d'un coup de patte à travers la glace. Ici, une femelle et son ourson ont exploré les trous que j'ai faits la veille pour mesurer l'épaisseur de la banquise. Plus loin, un gros mâle a arpenté le fjord, suivi fidèlement par un renard polaire... On espère voir nos voisins de plus près bientôt, depuis le bateau par exemple !

Le ciel bleu est installé depuis huit jours. Les lunettes sont inévitables maintenant, et le soleil permet de gagner plus de 10°C en milieu de journée : -42°C ce matin, -31°C à 3h de l'après-midi. Quelques jours après l'équinoxe, la vraie nuit s'estompe : à minuit, le crépuscule persiste, au nord. La nuit polaire n'est pourtant pas loin derrière nous, mais déjà le soleil de minuit s'annonce.

Le glaciomètre parcourt des dizaines de kilomètres, derrière la motoneige. L'épaisseur de la banquise de la région, très variable, n'aura bientôt plus de secret pour nous !

Les autres sorties et activités ? collecte de glace d'iceberg pour avoir de l'eau douce, grandes séances de déneigement après la tempête du 16 mars, petits tours en traîneau à chiens, glissades et jeux dans les crêtes de glace du littoral, jardinage miniature (germoir bien au chaud dans le bateau, de la verdure pour tout l'équipage), vol solaire pour photos aériennes, trou dans la banquise pour y plonger la caméra étanche, essais de time lapse pour mettre en évidence le marnage (3,50m !), dernières images nocturnes avant le jour permanent...

Pendant ce temps, tout en luttant contre le froid, Jean Gaumy se concentre sur la matière (glace, neige, roche) et cherche le cadrage parfait, lorsque la lumière est crépusculaire. Belles sorties contemplatives en sa compagnie. Dans quelques jours, il rejoindra le village pour y séjourner une semaine avant de repartir pour la France.


Dans le blizzard

  • Premier essai ballon solaire
  • Bouee Ukiuq installee le 11 mars

Après avoir rencontré quelques uns de nos amis de Grise Fiord, qui le conduisent voir des boeufs musqués pendant que je prépare la motoneige, Jean grimpe dans le grand traîneau pour rejoindre Vagabond. En route pour 50km de banquise, il fait -40°C. Je fais plusieurs arrêts pour jeter un oeil sur mon passager, ainsi que sur le glaciomètre (dans la pulka derrière le traîneau), et pour mieux attacher un phoque congelé qui cherche à nous fausser compagnie !

Depuis son arrivée, Jean Gaumy obsverve, ausculte, contemple, et compose ses images avec la matière et la lumière, au prix de belles onglées ! Surtout lorsqu'il m'accompagne toute une journée pour de nouvelles mesures dans le fjord du Cap Sud avec le glaciomètre.

Dans ses bagages, il a vaillamment apporté la bouée Ukiuq, que nous installons non loin de Vagabond le 11 mars. Un échange téléphonique avec les élèves des Sentinelles des glaces, un projet organisé par Délires d'encre, le CNES et le Sicoval (Toulouse), a lieu deux jours auparavant.

12 mars : premier vol réussi en ballon solaire ! Les images aériennes ne sont pas encore parfaites, et nous attendons la fin de la tempête, en cours depuis hier, pour le prochain vol.

France a d'étranges vertiges depuis deux jours, notre liaison principale par satellite ne fonctionne plus depuis le 5 mars, la clinique de Grise Fiord est fermée en raison du mauvais temps (vent de 100km la nuit dernière)... Heureusement, nous avons pu joindre notre médecin avec notre deuxième téléphone par satellite, et France va beaucoup mieux ! La température est remontée à -15°C, et toute la glace de condensation fond à l'intérieur du bateau.


Fiord froid

  • Traces d ours repu
  • Exploration Fjord Cap Sud
  • Banquise deformee par glacier

Le soleil brille sur le fjord du Cap Sud, magnifique, mais les températures restent basses. -46°C hier matin, lorsque je quitte Vagabond avec le glaciomètre pour explorer, enfin, la banquise de notre long fjord : le front du glacier est à plus de 30km, nous l'avions approché en bateau puis à pied il y a six mois. En chemin, je croise beaucoup de traces d'ours et de renards. Là, un trou de phoque a été visité, un ours repu s'est roulé dans la poudreuse à plusieurs reprises. Par endroit, la banquise est énormément déformée, chamboulée par la pression des glaciers que rien n'arrête, même pas l'hiver. Les craquements et chutes de séracs retentissent entre les rives du fjord.

Quand à la face cachée de la banquise, la caméra sous-marine nous montre que le dessous de la coque de Vagabond est dégagé, même les hélices sont encore libres de tourner. Etonnant !

Dans la journée, tandis que les panneaux solaires chargent les batteries, le soleil chauffe le roof panoramique du bateau, l'effet de serre est très apprécié.

France a préparé la peau du renard, les chiens ont mangé la viande tout en gardant à l'oeil deux grands corbeaux qui ne cessent de leur voler des morceaux de gras de phoque.

A bord, on se prépare à accueillir le photographe Jean Gaumy, et Léonie est ravie de s'installer dans la même cabine qu'Aurore !


Au fond du fjord

  • Releve hydrographique 7 fevrier 2012

Les basses températures ont probablement eu raison du câble nylon utilisé pour les relevés hydrographiques. Il a cassé net hier, la bathysonde est désormais au fond du fjord. Impossible de la récupérer, trop profond (130m). Deux jours auparavant, j'avais enchaîné six relevés au même endroit, toutes les trente minutes, pour observer l'influence des courants de marées... Anéantissement. Mais la réaction des chercheurs est incroyablement encourageante puisqu'une autre bathysonde est déjà envisagée.


Sous la banquise

  • Site d hivernage de Vagabond au fjord du Cap Sud

Par Humfrey Melling [traduit de l'anglais par EB]

Pourquoi Eric travaille si dur pour sonder les profondeurs...

Vagabond passe l'hiver dans le fjord du Cap Sud.

Un fjord est une longue baie étroite, généralement assez profonde, qui dispose d'une connexion peu profonde (son "seuil") avec la mer. Il est formé par l'inondation d'une vallée qui a été creusée sous le niveau de la mer par un glacier.

L'océan, en aval, apporte de l'eau de mer au fond du fjord, tandis qu'une rivière, en amont, apporte de l'eau douce, moins dense, en surface. Les deux couches de différentes densités restent distinctes tant que les entrées se poursuivent, leur mélange est inhibé par leur différence de densité.

Vent, courant de marée ou convection pourraient mélanger l'eau du fjord, de la surface jusqu'au fond, si la présence stabilisatrice d'eau plus légère au-dessus d'une eau plus lourde venait à disparaître. Alternativement, l'eau plus dense de l'extérieur peut se déverser par dessus le seuil et inonder le fond du fjord, un processus connu sous le nom de renouvellement d'eau profonde. Ce renouvellement peut apporter dans le fjord une eau nouvellement oxygénée et pousser vers la lumière l'eau du fond du fjord, déjà riche en éléments nutritifs. En l'absence de mélange et / ou de renouvellement, il peut y avoir une relativement faible croissance des algues dans les fjords et peu de vie marine.

Cette description se rapporte aux fjords de latitude tempérée : la structure stabilisante est maintenu par le courant fluvial, le vent et les courants de marée favorisent le mélange dans le fjord, et le vent à l'extérieur du fjord peut parfois être l'impulsion d'un renouvellement d'eau profonde.

Les fjords des climats froids se comportent de la même façon en été. Cependant, le froid de l'hiver arrête l'écoulement fluvial dans le fjord et engendre une banquise qui protège l'océan du mélange par le vent. Dans le même temps, le gel régulier de l'eau de mer pendant l'hiver injecte du sel dans la partie supérieure de l'océan, ce qui entraîne une convection et réduit la différence de densité entre les eaux de surface et les eaux profondes. Ce changement de conditions radical saisonnier rend les fjords gelés très différents de leurs parents tempérés.

Il y a eu très peu d'études de fjords gelés sur une année complète, particulièrement dans les endroits où la banquise annuelle prévaut partout. Le séjour de Vagabond dans le fjord du Cap Sud offre l'occasion d'observer un fjord attentivement en hiver, d'analyser ses changements de structure et, éventuellement, de comprendre son fonctionnement. Il y a déjà quelques questions intéressantes. Pourquoi le fjord était si riche en vie marine (narvals, phoques du Groenland, oiseaux de mer) en août dernier ? Pourquoi la banquise y est-elle tellement plus mince que celle des eaux voisines ? L'eau près de la surface est-elle réellement souvent au-dessus de la température de congélation ? Si tel est le cas, qu'est-ce qui conduit des eaux plus chaudes vers la surface ? Ce processus pourrait-il expliquer pourquoi la débâcle a lieu deux à quatre semaines plus tôt que dans le détroit de Jones adjacent ? Est-ce que ce même processus pourrait apporter suffisamment d'éléments nutritifs pour faire du fjord du Cap Sud un endroit idéal pour la vie marine ?

Une bonne compréhension de l'océanographie physique des fjords recouverts de glace a également une valeur plus générale. Les fjords attirent les hommes, car ils offrent un bon abri aux navires (comme Vagabond), et ont souvent un relief accueillant pour les habitations à l'embouchure. Les déchets humains qui se retrouvent dans les fjords - ordures, eaux usées, résidus miniers, par exemple - restent idéalement isolés au fond du fjord dans l'eau dense retenue par le seuil. Cependant, l'eau contaminée par ces déchets peut éventuellement être remobilisée par le renouvellement d'eau profonde, ou, dans les fjords recouverts de glace, par la circulation hivernale. Si remobilisée, elle pourrait s'étendre ailleurs, avec des conséquences indésirables. En contribuant à la compréhension des fjords de l'Arctique, notre étude au fjord du Cap Sud favorise la gestion d'un milieu marin vierge, qui sera bientôt sous la pression de l'exploitation des ressources et du changement.