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Départ en musique, par Marc Givry

  • 1314 Carenage Vagabond devant Hangar a sel de Saint-Pierre©Marc Givry
  • 2007 Celtic Cods depart Vagabond©EB
  • 2038 Celtic Cods depart Vagabond©EB
  • 2100 Depart Vagabond Saint-Pierre©Rachel Robert

5 juillet 2023, Saint Pierre et Miquelon

Mercredi 21 heures, c'est beau la musique, mais il faut y aller.

L'air est frais, mais pas glacial, 9 degrés environ. Toutefois un peu humide. Disons franchement humide. Un beau brouillard dont Saint-Pierre nous a gratifié depuis une bonne semaine. Un temps parfait pour ne pas chercher au loin un horizon qui un jour aurait été bleu. Juste se concentrer vers le bas pour gratter la coque du navire échoué à marée basse pour lui passer sa belle robe d'antifouling d'un noir du plus bel effet. Ce noir profond qui devrait rejeter les algues, repousser les abysses et peut être attirer les baleines ou les sirènes.

Pour les hauts, on se contentera de quelques retouches de rouge et de blanc. Pour redonner au navire sa flamboyance d'antan, il faudrait tout refaire mais le brouillard local n'incite guère à la besogne et puis cela ferait peut être trop neuf, voir trop pimpant pour un vaisseau qui bourlingue depuis plus de vingt ans dans l'Arctique.

Je me souviens, il y a vingt ans en 2003 nous étions au Kamtchatka. Le vaisseau était au milieu de son grand tour. Il avait fait son passage du Nord-Est, il allait entamer son passage du Nord-Ouest. Ayant réussi brillamment ses deux examens de passage, les divinités boréales décidèrent qu'il pouvait demeurer en ces lieux.

Muni de ce viatique, notre fier vaisseau n'a depuis plus quitté le Grand Nord. Avec 12 hivernages, au Svalbard puis au Nunavut, en mettant le navire au service d'une soixantaine de programmes scientifiques, notre vaillant équipage est resté fidèle à son projet d'origine : offrir une base logistique pour la science polaire.

En 2007 une Léonie est venue compléter l'équipage, puis une Aurore en 2009, mais le navire n'a pas changé de cap pour autant : glaces un jour, glaces toujours.

Et cette année, même si les filles sont allées goûter les délices estivaux de notre chaude métropole, il faut y retourner. La science ne saurait attendre et ce qui nous attend pour la première mission de l'été au Groenland, c'est du sérieux. Voyez le titre du projet : « Protero-Litho2 dans la province magmatique de Gardar ». Mais il est sans doute trop tôt pour en parler. Alors attendez un peu et si vous continuez à suivre ce blog, peut être que des sources généralement scientifiquement bien informées vous en diront plus.

Mais il est 21 heures et il faut y aller. Pourtant la musique était belle. Pour notre départ, le bord avait été envahi par le groupe de musique irlandaise les « Celtic Cods » (dont font partie France et Eric), les morues celtiques en bon français, un nom fait pour ravir le petit fils de morutier que je suis. Et donc trois violons, trois flûtes, une mandoline, une guitare, un accordéon et aussi un tambourin celtique, qu'il faut appeler bodhran, nous avaient offert une belle aubade. Pardon une magnifique sérénade, puisque c'était le soir et que l'aubade est réservée à l'aurore du matin.

Et après « Au bord de l'eau » de Rémi Geffroy, un morceau qui m'émeut toujours, nous larguons les amarres. Avalés par le brouillard, nous entendons de plus en plus loin une flûte qui joue «Cape Clear », une mélodie qui nous raconte l’île de Cape Clear, cette vigie impuissante d'hier devenue temple de mémoire, ses larmes de longue date séchées au vent. Joyau retrouvé de la splendeur océanique, elle cherche toujours ses enfants faméliques dans un repli de l'horizon.

C'est beau la musique, mais il faut y aller.


Explorations terreneuviennes hivernales

  • 2138 Premier bivouac pres de Buchans©EB
  • 1105 Eric sur la rive du lac Hinds©FPdS
  • 1522 France sur le lac Hinds©EB
  • 1254 Pause snack au soleil©EB

Depuis Saint-Pierre et Miquelon, la grande île canadienne de Terre Neuve nous tend les bras. Une heure et demi de ferry seulement.

En quête de grands espaces enneigés, et après quelques semaines de préparation, France et moi partons pour le coeur de l'île. Au départ du village de Buchans (de la même taille que Miquelon et 5 fois plus grand que Grise Fiord !), nous découvrons une région aux conditions exceptionnelles pour un joli raid à ski-pulka !

Les températures oscillent entre -20°C et -5°C, la couche de neige est épaisse, les zones boisées procurent de bons abris par grand vent, un grand lac gelé nous rappelle la banquise, les petites montagnes offrent de beaux panoramas, les traces d'animaux sont partout... Deux rencontres mémorables avec des orignaux, une autre avec un coyote.

Pendant une dizaine de jours nous tractons nos traîneaux et choisissons soigneusement nos bivouacs, quelle liberté ! Ce qui est inhabituel, presque étrange, c'est que nous n'avons ni instrument scientifique ni protocole !

Dans le seul refuge des environs (situé à 8km au nord de l'endroit indiqué sur la carte !), nous profitons du poêle à bois pour déglacer notre équipement et faisons connaissance avec quelques joyeux chasseurs de passage. Notre présence les intrigue, les seuls voyageurs étrangers dont ils se souviennent dans la région étaient deux allemands avec d'énormes sacs à dos, il y a quinze ans, en été, épuisés ! Assurément, nous avons dégotté la bonne région pour notre vagabondage hivernal.


Algues de Miquelon

  • Mesures algues©Eric Brossier
  • Plongee Miquelon©Pascal Leborgne
  • Prelevements algues Miquelon©Eric Brossier
  • Prelevements algues Miquelon©Pascal Leborgne

L'eau est fraîche et les coups de vent s'enchaînent en hiver à Saint-Pierre et Miquelon, mais ces 18 et 19 janvier les conditions météo sont exceptionnellement calmes.

Thierry et Pascal m'accompagnent pour une belle navigation du port de Saint-Pierre jusqu'à Miquelon, une nuit au mouillage devant le village, et une plongée fructueuse dans l'Anse le lendemain.

Notre mission ? Collecter une cinquantaine de Saccharina Latissima, une algue laminaire étudiée actuellement par Merinov sur l'ensemble des provinces atlantiques canadiennes. Peut-être découvrirons nous que les propriétés génétiques et nutritionnelles des algues de Saint-Pierre et Miquelon sont uniques, voire exceptionnelles ?


De Grise Fiord à Saint-Pierre et Miquelon

  • 0827 Loic premiers essais filtrations ADNe Grise Fiord©EB
  • 1103 Equipage Grise Fiord Saint-Pierre©EB
  • 0554 Vagabond voiles ciseaux sud Terre Neuve©EB
  • 0759 Vagabond a quai a Saint-Pierre©EB

Avant de lever l'ancre et de quitter Grise Fiord, je suis invité à la mairie pour des adieux. Il y a beaucoup de nos amis, des cadeaux, des discours tous plus intenses les uns que les autres, des embrassades, des larmes... "Merci de nous avoir apporté un autre regard sur la science", "A bord de nos petits bateaux, on se sent plus en sécurité lorsque Vagabond est dans les environs", "Revenez en famille dans pas trop longtemps". Instants très émouvants.

Loic Sanchez est arrivé trois jours avant le départ, ce qui nous a permis de mettre en place le système de filtration d'eau pour prélever de l'ADN environnemental. L'objectif est de mieux prédire l'impact du changement climatique sur les populations de poissons. L'ADN récolté dans les filtres permet d'identifier les espèces présentes dans la zone lors des 30 minutes qui précèdent le prélèvement. Notre ami Sébastien Roubinet participe également à ce programme scientifique inédit et nous échangeons fréquemment avec lui, tandis qu'il est lancé dans un incroyable périple !

France, Leni, Ana et Yves sont repartis par les airs vers le sud, et j'accueille avec enthousiasme mes quatre coéquipiers bretons : Marie, Christophe, Ronan et Yves. Le temps de faire le plein de vivres, d'eau douce et de carburant, puis cap au sud.

Les glaces bloquent le nord-est de l'île Devon, nous peinons pour sortir du Jones Sound surtout que l'obscurité est de retour et qu'il neige ! L'équipage s'adapte rapidement, les quarts sont intenses, l'eau libre est atteinte dès le deuxième jour. Nous voilà en baie de Baffin.

Première escale à Clyde River où je retrouve Philip. Il nous fournit de l'huile moteur et nous évoquons nos souvenirs de plongées !

Trois jours plus tard, retrouvailles très amicales à Qikiqtarjuaq où nous avons vécu en famille entre 2013 et 2016. Heureux de revoir tous nos amis, je prends et donne des nouvelles sans cesse pendant près de deux jours, sans oublier de gravir la colline qui surplombe le village avec mes coéquipiers.

C'est la météo qui décide de l'escale suivante, au nord du Labrador. Par chance, nous trouvons un bon abri pour deux jours dans une région magnifique. Un ours, des caribous, des myrtilles et autres baies en grande quantité et ramassées sous les aurores boréales !

Le 21 septembre, Loic, Ronan et Yves débarquent à Nain dans la nuit, il est temps pour eux de rentrer en France. Vagabond poursuit sa route sans tarder, profitant de chaque belle fenêtre météo.

Dernière escale à Cartwright, toujours au Labrador, pour laisser passer Fiona ! Il faut ensuite quatre jours à Vagabond pour contourner Terre Neuve et atteindre Saint-Pierre et Miquelon le 1er octobre à 1h du matin, à 3200 milles (5900 km) de Grise Fiord.


Explorations scientifiques entre Ellesmere et Devon

  • 1045 Yves collecte coralline Tiriqqualuk©EB
  • 1832 Leni filtrations©EB
  • 1122 Arrivee Borge Ousland et Vincent Colliard glacier Sverdrup©EB
  • 0551 Manips oceano depuis Vagabond dans le pack©EB

Les derniers évènements n'ont pas épargné l'équipage, Leni remplace Minoli qui débarque à contre-coeur.

Les glaces nous interdisent toujours l'accès au détroit de Narès (entre le Groenland et le Canada), alors la recherche de coralline se poursuit sur la côte sud de l'île Ellesmere. Rien du côté du fjord Harbour, rien non plus aux îles Cône et Smith, mais une vraie mine dans le fjord Starnes ! Les épais échantillons collectés offrent de belles perspectives d'analyses sclérochronologiques (l’équivalent aquatique de la dendrochronologie, étude des cernes des arbres).

Il nous faut vraisemblablement oublier la baie de Talbot cette année, mais le vent a chassé les glaces et le détroit de Jones est désormais navigable : Vagabond peut répéter les transects océanographiques à travers le détroit de Jones et devant le glacier Sverdrup, ainsi que les relevés hydrographiques au plus profond du détroit (852m), comme chaque année depuis 2019.

C'est au bout du glacier Sverdrup que nous récupérons Borge Ousland et Vincent Colliard. Ils viennent de traverser la calotte glaciaire de l'île Devon. C'est un plaisir de se retrouver ! Vince reste à bord quelques jours et vient joyeusement renforcer l'équipage.

Fin août, nous jetons l'ancre au site de l'hivernage 2011-12. C'est l'occasion pour l'équipage de se dégourdir les jambes et de gravir "notre pyramide" où deux batteries utilisées pour des prises de vue timelapse attendaient patiemment d'être récupérées. Les trois équipements photo timelapses de Vagabond sont utilisés depuis 2021 par l'équipe de David Didier pour une étude de l'érosion du littoral de Grise Fiord.

En fin de mission, je suis sollicité pour rechercher un équipement perdu lors d'une manip près de la pointe Brume, non loin de Grise Fiord. Résultat : une belle plongée pour moi et une scientifique soulagée !