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Les pirates de l’Arctique

Un compagnon bien particulier s’est joint à la faune de la Côte Est depuis quelques jours : la sterne arctique. Cet infatigable oiseau arrive tout droit de l’Antarctique, sans escale ou presque (et il y voit mon respect en ceci seulement). A dire vrai, ce n’est pas avec grand plaisir que je le reçois. Encore que je n’ai pas mon mot à dire à l’entendre rouspéter. Pour démêler le fond de ma pensée, je dirais qu’il fait partie des pirates de l’Arctique. Il y a d’abord le pirate de la banquise : l’ours blanc, imprévisible tueur. "Aventuriers des glaces, soyez vigilants !". Puis le pirate des mers : le morse, audacieux torpilleur. "Kayakistes, méfiez-vous !". Finalement, le pirate de l’air : la sterne arctique. Et là : "Armez-vous !". Ce petit volatil, gueulard et coriace, peut percer votre crâne jusqu’au sang pour protéger son nid posé à même le sol. Désormais je prévois de sortir avec une arme toute spéciale… un bâton de bois levé au-dessus de ma tête sur lequel le brailleur-volant s’entêtera. L’ingénieux « parasterne » a certes une faiblesse, et de taille, il ne protège pas des lâchers de fientes… Température : + 3.8°C à la prise d'otage. (Sébastien Barrault)


C’est beau blec ! (= vraiment mouillé)

Je vois trois périodes préliminaires à une débâcle : les périodes "Moon Boots", "ski" et "bottes de pluie". Actuellement je me trouve entre les 2ème et 3ème. Impossible de quitter Vagabond en déjouant les lois de la gravité. Sans mes skis, je m’enfoncerais aisément jusqu’aux genoux, baptisant du coup mes chaussures peu étanches. C’est peu dire : il y a de la flotte partout ! Et parfois bien cachée sous une couche de neige poreuse et guère portante. Vagabond flotterait presque à voir la mer reprendre ses droits. La logique serait respectée si toutefois le bateau n’était pas échoué sur une épaisse couche de glace. Avec toute cette eau, aussi bien à l'état liquide, solide que gazeux (le brouillard plombe l’horizon), il est difficile de s’imaginer que le Svalbard est un désert (arctique). Les précipitations annuelles sont parfois inférieures à 180 mm (650 mm par an en moyenne à Paris, ndlr) ! (Sébastien Barrault)


La poésie du désert

Dans une lettre à son frère, Léonie d'Aunet écrivait en 1839 : "Les déserts ont leur poésie propre : déserts de sable, déserts de glace, c'est toujours l'infini de la solitude, et nulle voix ne parle à l'âme un langage plus émouvant" (Voyage d'une femme au Spitsberg, Actes Sud). Depuis 7 jours je suis seul à bord. Je ressens l'isolement mais pas la solitude. Et la poésie ? Intacte ! Inglefieldbukta est mon oasis. Vagabond m'assure ombre et chaleur, les icebergs tout autour pris dans la banquise me donnent l'eau en abondance. Quant à mes gueulards groenlandais (les chiens), ils savent bien briser le silence souverain de la Côte Est. Ce sont quelques épisodes de LOST qui égaient mes premières soirées solitaires. Dehors, une hirondelle s'est égarée dans le Grand Nord ! (Sébastien Barrault)


Tassen

Tassen était de la race des chiens polaires, un chien groenlandais pour être plus précis. Je ne suis pas sur de la signification de Tassen, même les norvégiens ne savent pas trop. Pour certains ce nom ne veut rien dire. Pour d'autres il y aurait une idée de "vitesse". Pour l'anecdote, quand ce chien est né il fût appelé "Bamse", qui signifie "ourson". Et son frère "Tassen". Mais comme son Bamse avait la même couleur que les ours polaires, il y a eu confusion et les noms se sont échangés. Amusant. Tassen avait 11 ans mais était encore en pleine forme. On avait même fait un tour à ski ensemble plus tôt dans la journée avant qu'il ne meurt. J'avais noté ses problèmes d'estomac depuis notre arrivée à Vagabond. Ce sont des chiens robustes mais fragiles avec leur estomac. Il peut se retourner facilement. C'est pour cela qu'ils ne doivent pas courir ou produire d'effort tout de suite après avoir mangé. Dans son cas, l'âge avancé aidant, son estomac s'est retourné alors qu'il était sagement attaché à sa place. Ca arrive parfois. Le froid n'y est pour rien (actuellement, avec les températures positives les chiens commencent à souffrir un peu de la chaleur). Pour revenir au Caterpillar, c'est juste un clin d'oil car à Svea le gros bulldozer a été nommé Tassen. Ca m'a toujours amusé car finalement il y avait des similitudes dans les qualités de mon chien et d'une telle machine. Maintenant il y a 5 chiens avec moi. Trois Groenlandais qui appartiennent à Eric et France, un Leica qui était à bord de Tara pendant la dérive dans l'océan glacial arctique et qui profite d'une banquise plus stable, et finalement un Grønsky (comprendre croisement entre un Groenlandais et un Husky), Tundra, ma petite chienne de 4 mois. La relève est assurée ! Ming (un Groenlandais) est repartie avec mon amie Elin, il y a un peu moins d'une semaine. Leurs fonctions sont multiples. Ce sont des chiens de travail. Ils adorent tirer et c'est bien pratique pour se déplacer à ski ou en traîneau. Mais souvent on utilise les chiens pour déplacer de lourdes charges. Un gros Groenlandais peut tirer jusqu'à 35kg. Si la charge est dans une pulka, ça glisse; il peut tirer deux fois plus sans problème. Les Groenlandais sont des chiens puissants mais moins endurants que les Huskies. Comme les Groenlandais ont été croisés avec les loups, ils ont gardé deux choses : le 5ème doigt (ergot), mais ce n'est pas systématique; et leur capacité à gérer l'effort. Le Groenlandais comme le loup saura toujours s'arrêter avant l'épuisement total. Alors qu'un Husky peut courir jusqu'à la mort ! Au Spitzberg, les ours sont nombreux (env. 3500) et les chiens sont bien utiles pour annoncer leur présence. Sur Vagabond, ils me permettent de relâcher l'attention lorsque je travaille tête baissée dehors ou quand je dors. Ensuite c'est l'humain qui prend la relève pour faire partir le visiteur trop curieux avec des cris ou des pétards. Le Leica est un expert. Il arrive à faire fuir les ours seulement en aboyant. Il est vrai que dans cette région les ours ne sont pas affamés et c'est d'avantage la curiosité qui les amène proche du bateau ou des chiens. La dépouille encore chaude de Tassen qui gît au pied d'un iceberg sur la banquise a reçu la visite de deux femelles ourses. Elles l'ont reniflé et sont reparties. (Sébastien Barrault)


Décès du chien polaire Tassen

Je connais deux Tassen au Svalbard. Mon chien, un élégant groenlandais paré d’une épaisse fourrure "smoking" et tatoué "007". Sans mentir ! Il est fort, solide et endurant. Un peu borné, certes. Le deuxième est un énorme Caterpillar utilisé pour remblayer le charbon au port de la communauté minière de Svea. Rien d’étonnant qu’on ait baptisé une telle machine de ce nom, me suis-je souvent répété ! A 5 heures ce matin, la mécanique a grippé. Je découvris un peu remué que Tassen, le chien, ne jalouserai plus le gros poisson rouge. Il s’est envolé lui aussi. Dans la tempête qui sévit, des jappements se sont évanouis sur Inglefieldbukta. Aujourd’hui Imiaq aura un nouveau collier. (Sébastient Barrault)


Que la fonte commence !

Je savais que ça allait arriver... j'ai bien peur que ça y est ! Après 8 longs mois, on sort de l'hiver. Comme je ne voulais pas m'y résoudre, ce sont ces trois oies venues du Sud et se déhanchant gourmandement devant les chiens toutes chaînes tendues qui ont eu hélas le mot final. Oui, les beaux jours arrivent, dit-on. Enfin, au Spitzberg cela signifie que la neige devient lourde et transpirante puis que le permafrost fond en surface, que le ciel s’alourdit de nuages, que bientôt Vagabond sera prisonnier d’un persistant brouillard et que la boue sera plus perverse que la banquise fragile. Ici on dirait plutôt, c’est l’arrivée d’une saison nouvelle. (Sébastien Barrault)


Mini-tsunami !

Vagabond a sursauté ce matin... et moi aussi d'ailleurs; on n'a pas trop compris. Mon sang n’a fait qu’un tour. Une vague géante éventrait la coque du bateau, brassant son intérieur, emportant tout... et même nous ! Enfin, c'est comme cela que j'ai vécu les premières secondes d'un mini-tsunami, noyé encore dans un sommeil éthéré. A peine habillé, sur le pont, je vois les chiens encore raidis sur leurs pattes jugeant la banquise pourtant immobile. Le glacier à l'autre bout de la baie s'est effrité dans un vacarme furieux... et l'onde a dégueulé d'un trou à travers la glace de mer sous la poupe du bateau. Il est vrai qu'il fait chaud au soleil (un tchaffe d'enfer comme on dirait par chez nous). Ça a donné des ailes à "Maurice", notre poisson rouge, qui a eu droit de sortir de son bocal aujourd'hui et de chatouiller les nuages. (Sébastien Barrault)


La nouvelle équipe s'installe

Eric a quitté Vagabond sous un soleil de minuit radieux, nous confiant sa maison flottante et les dernières manipulations scientifiques à effectuer avant que la glace ne se brise. Bien qu'Elin et moi sommes désormais seuls à bord, nous ne nous sentons pas étrangers des lieux. Le bateau nous a déjà rencontré et les glaciers alentour aussi. Aujourd'hui, 7 chiens gardent le bateau et réveillent la baie d'Inglefield de leurs jappements et hurlements chaque fois qu'une de leurs gamelles pleines de croquettes se profile à la proue du bateau. Notre séjour de 5 semaines s'annonce donc... musical ! (Sébastien Barrault)


Arrivée de la relève

Elin, Sébastien et leur 3 chiens sont arrivés à ski dimanche, par un temps splendide qui se maintient agréablement. La journée d'hier fût consacrée à l'explication des manips scientifiques, à commencer par les sondages météo avec le ballon d'hélium, puis les radiomètres, les relevés météo et les mesures d'épaisseurs de banquise. Aujourd'hui, nous nous concentrons sur les aspects techniques du bateau : gestion de l'énergie avec panneaux solaires, éoliennes et générateur, puis entretien du poêle, équipements de sécurité, sans oublier de veiller sur les réparations provisoires de la coque. Je quitte le bateau ce soir, pour 5 semaines.


Seul à bord

Jean-Claude Gascard, coordinateur de Damocles, Hugues et Stephen, cinéastes, et France et Léonie ont quitté Vagabond mercredi soir. La saison scientifique s'achève progressivement, la fonte a commencé, mais il faudra encore attendre le mois de juillet pour être libéré de la banquise et retrouver la mer libre. D'ici là, quelques sondages météo permettront de compléter les données de la station automatique installée près de la cabane et qui fonctionne toute l'année. J'effectue actuellement les dernières mesures océanographiques, depuis une banquise détrempée.