Le Marin

Article de Sébastien Panou, à l'occasion du dossier "Arctique : tout va très bien, madame la banquise...", dans Le Marin, hebdomadaire de l'économie maritime.


Fishing Derby

  • Leonie premier poisson
  • Depecage caribou par Raymond et Eric

Vendredi soir, nous prenons le départ pour le Fishing Derby. Le vieux traîneau récupéré pour l'occasion est solidement réparé et fin prêt : il accueille la famille, ainsi que couchages, vivres et combustibles pour 5 jours sans oublier la caisse à poisson que l'on espère remplir. Pas moins de neuf heures, avec quelques "plantages-poussages" dans les passages de banquise difficile, sont nécessaires pour atteindre le lac gelé, au nord de l'île Devon.

Vers 4h du matin la tente est montée, les arrivées des grisefiordmiuts s'échelonnent avant et après l'ouverture officielle, le matin même à 10h. Seront récompensés les trois plus gros poissons pêchés ainsi qu'une taille tenue secrète, dans deux catégories, adultes et enfants. Les tarières thermiques trouent le silence et le mètre de glace, autour et parfois à l'intérieur des tentes de coton blanches. Les bâtons de bois s'agitent en rythme, la pêche au trou a commencé. Léonie, première à poste, est vite récompensée de sa patience par un omble arctique de belle taille.

Raymond, notre voisin de tente, trouve moyen de chasser un caribou dont il nous offre un cuissot. Eric est ravi de l'aider à dépecer la bête.

Le soleil se montre peu, une fine neige accompagne le séjour sous des températures printanières : -4°C à -7°C. Nous formons un petit campement francophone avec notre amie Joanne, l'infirmière de Grise Fiord, pour la plus grande joie de Aurore et de Léonie. Quatre jours hors du temps, des poissons ferrés par chacun d'entre nous, des balades en motoneige pour explorer les environs, des amis tout autour...

Retour plus venté mardi soir avec, au lieu de l'unique fracture traversée à l'aller, cinq ou six de plus, résultat des températures en hausses; la banquise se transforme vite.

Outre le plaisir de ces vacances en plein air, le séjour fût fructueux : une caisse remplie d'ombles arctiques et de caribou, et le premier prix des enfants gagné par Léonie, ainsi que celui de la taille secrète !


Avec Christian Haas

  • Installation timelapse non loin de Grise Fiord
  • Christian et France
  • Christian descente pyramide

Christian Haas, pour qui nous effectuons la plupart de nos travaux dans la région de Grise Fiord depuis près de deux ans, vient de passer une semaine avec nous. L'objectif principal était d'installer trois appareils photos sur des sommets pour suivre la fonte de la banquise, dont l'épaisseur est très variable dans les fjords. L'un des appareils est actuellement sur un sommet proche de Grise Fiord, deux autres sont au dessus du précédent site d'hivernage de Vagabond dans le fjord du Cap Sud. Ils prennent des photos toutes les 30 minutes et seront récupérés fin juillet, ou bien en septembre. Ce fût aussi l'occasion de faire ensemble quelques CTD, d'inspecter l'IMB, sans jamais nous séparer de son instrument préféré, l'EM31 (avec lequel nous avons déjà mesuré l'épaisseur de la banquise sur 2500km cette année). L'occasion aussi de discuter avec les chasseurs de Grise Fiord d'éventuelles collaborations futures pour poursuivre l'observation de la banquise de la région. Merci Christian de nous offrir ces bons prétextes pour partager ces périples mémorables !


Tempête à Grise Fiord

Vu de Grise Fiord, l'ensemble de l'équipage féminin (Léonie, Aurore et moi) a du prendre patience, sagement occupé à l'intérieur pendant le mauvais temps : blizzard et jour blanc (white out) se sont succédés avec des pointes comme rarement vu ici. Apothéose avec des rafales à 65 noeuds (120km/h), une journée toute spéciale : mairie fermée, hôpital fermé, magasin fermé, ainsi que l'école ! Eric était alors dans la solide petite cabane de la baie Hourglass (à 130km de Grise Fiord). Léonie voulait jouer dans le vent... Je l'ai accompagnée un court moment dehors, mais Aurore n'a pas été autorisée à nous suivre... Un toit voisin a manqué de s'envoler, une maison fut coupée d'électricité, chauffage et téléphone, notre lourd traîneau a glissé tout seul sur cinquante mètres. Le lendemain, c'est Léonie qui découvre la nichée de quatre chiots de notre ancienne compagne Bella, dont un déjà mort de froid. Depuis, Eric est rentré, nous sommes repartis camper mais en famille cette fois, pour une nuit... par -23°C, histoire de tester la nouvelle tente et fêter mon anniversaire au soleil de minuit !


Silence

  • Envol de corbeau

Silence hallucinant. Quatrième jour d'attente ici (panne motoneige) et je reste impressionné par le silence intense. Se dire que l'on est à l'origine du moindre bruit. Entendre son pouls. Tout juste oser respirer. Arrêter tout mouvement, souvent, croyant avoir entendu quelque chose. C'est fou la diversité des sons que l'on génère continuellement. Un preneur de son serait aux anges, ou bien très malheureux !

Faute à ce périple trois fois plus long que prévu, mon régime alimentaire manque un peu de gras et de calories. En explorant les environs, dans l'espoir d'améliorer mes repas, je ne trouve que des traces de lemmings. Pas de lièvre, ni de lagopède, ni de renard, ni de caribou, ni de boeuf musqué, même pas de corbeau. Pas non plus d'ours ni de phoque. Dans le fjord d'à côté, le fjord du Cap Sud où Vagabond hiverna, il y a pourtant beaucoup de phoques sur la banquise, et souvent des ours. Mais la glace y est beaucoup plus mince; de l'eau moins froide circule sous la banquise, et ralenti sa croissance. Cela brasse aussi les nutriments. C'est ce qui attire vraisemblablement les phoques et ceux qui les chassent.

Les différences entre les fjords de la côte sud d'Ellesmere sont marquantes et pas toujours évidentes à expliquer. "Si nous savions tout, nous ne serions pas des chercheurs." concluait un scientifique récemment en recevant mes dernières données.


Panne

Après le stand by météo et les problèmes techniques, c'est la panne motoneige. Une nouvelle raison pour profiter plus longuement de cette virée, mais je ne serai pas de retour à temps pour l'anniversaire de France !

La météo s'est améliorée, j'ai quitté la cabane mercredi soir. Un gros ours, puis un autre, se sont dressés à mon passage. Je suis retourné dans le fjord Muskox (pas de boeufs musqués cette fois) avec le glaciomètre (opérationnel !), puis j'ai fait une courte sieste dans mon traîneau (pas le courage de monter ma tente). Avant d'entrer dans le fjord suivant (Baad), je tombe que une tente ! Un chasseur avait finalement accepté de venir dans cette zone mais il est parti trois jours plus tard de Grise Fiord, et il s'est fait prendre par le très mauvais temps, juste après avoir attrapé un ours. Nous sommes bien contents de nous retrouver là ! Après les mesures dans le fjord Baad je devais le rejoindre à sa tente. Ne me voyant pas revenir, il a cru que j'étais reparti pour Grise Fiord, où il a appris en arrivant la nuit dernière que j'étais en panne au bout de Baad Fiord. C'est un autre chasseur qui viendra bientôt me dépanner... Une manip de trois jours qui en aura duré dix !