En attendant le soleil...

Il y a un an, c'était le carnaval familial à bord, une fin de nuit polaire festive, inoubliable.

Aujourd'hui, nos projets se dotent d'un nouveau camp de base. Après la coque en acier pour l'Arctique, les murs en pierre pour la Bretagne.

Entouré de blanc et de calme, mon esprit vagabonde entre souvenirs et avenir.


Partage

Aujourd'hui 17 février, c'est la fin de la nuit polaire. Mais l'horizon était nuageux à midi vers le sud, et seuls les gémissements de la banquise étaient aux rendez-vous. Entre chant de baleine, plainte d'enfant et grincement de porte, la bande son avait une certaine harmonie avec le gris du ciel. Si, au Spitsberg, le soleil n'a pas pu partager ses premiers rayons de lumière (nous verrons plus tard pour la chaleur), en France, Le Parisien relatait aujourd'hui nos aventures, et Europe 1, pendant le 18-20, me questionnait sur le réchauffement climatique.


Phare

Vers midi hier, j'ai aperçu un phare, à une vingtaine de km vers le nord. Sans doute une motoneige, cela n'a duré que quelques secondes. Les habitants de Longyearbyen (à 70 km de Vagabond) doivent commencer à s'aventurer plus loin, eux aussi; ils profitent de la clarté suffisante pour redécouvrir la région qui émerge de la nuit polaire. Lorsque le ciel est ainsi dégagé, on peut se passer de lampe entre 8h et 16h. C'est vrai que le temps est superbe : -30 degrés, pas un nuage, pleine lune, vent modéré. Des conditions idéales pour renforcer la glace qui devra supporter bientôt de nouveaux appareils scientifiques. Sous l'action du vent, la semaine dernière, la banquise a subit de fortes compressions, elle est maintenant très accidentée et les déplacements ne vont pas être faciles. Au loin, je peux voir un chenal d'eau libre, indiquant l'action puissante et perpétuelle des courants. Les ours doivent être le long de ce chenal, les visites sont moins nombreuses maintenant. Imiaq, le meilleur guetteur, est moins sollicité, mais ses compagnons Jin et Frost prennent le relais. S'ils ne font pas tant les fiers lorsqu'un ours approche, ils n'oublient pas de rappeler régulièrement à Imiaq qu'il reste le 'nouveau' !


Nord-Est

Un vent froid souffle depuis 4 jours sur la région, la banquise reprend sa place rapidement. La mer et la terre se recouvrent uniformément de neige compacte, tassée par le vent. Les traces de skis, de chiens, de renards, d'ours, sont effacées en quelques instants. Voilà plus d'un mois que je n'ai pas vu le moindre signe de vie humaine, sauf un satellite dans le ciel, étoile plus rapide que les autres. Impossible pourtant de ressentir la solitude lorsqu'on reçoit autant de messages amicaux, lorsqu'on peut communiquer avec le reste du monde et écouter RFI, tout cela depuis un cadre si pure et majestueux.


La lune est de retour

La lune est de retour, premier quartier, superbe. Comme le soleil, qui se couche pendant près de 4 mois par an (durée de la nuit polaire à 78 degrés de latitude nord), la lune disparaît sous l'horizon pendant 9 jours par cycle de 28 jours. Profond silence hier soir, à couper le souffle. Mais le froid est parti, et la fine banquise résiste mal aux petites dépressions passagères. Ce matin, je peux entendre le ressac à 200 m de Vagabond, les travaux prévus pourraient bien prendre du retard.


Chaud janvier

-2.8 degrés en moyenne en janvier à Longyearbyen (environ 1 ou 2 degrés de moins au lieu d'hivernage de Vagabond), un nouveau record, alors que la moyenne mensuelle aurait du être de -15.4 degrés. Le froid est revenu depuis 3 jours, la mer gèle à nouveau, l'étude de la banquise et de son avenir devrait pouvoir commencer comme prévu dans 3 semaines...


Réveils brutaux

Vent modéré ces derniers jours, la mer n'a pas emporté ce qu'il reste de banquise dans la baie d'Inglefield, le berceau de glace tient encore autour de Vagabond. J'ai finalement réussi hier à dégeler la motoneige et la mettre sur la terre ferme, à côté de l'igloo et de la caisse contenant le bivouac de secours. Et voilà qu'à 7h ce matin, je suis réveillé une fois de plus en sursaut par les aboiements des chiens : un ours s'attaquait à l'igloo comme à une tanière de phoque, en sautant dessus des 2 pattes avant pour tenter de l'effondrer. Avant même de lui envoyer une balle dissuasive, il avait retourné la motoneige. Et le temps de vérifier le pistolet d'alarme et de m'habiller une peu plus chaudement, il redressait l'engin sur ses 2 skis !


Débâcle précoce ?

Toute la banquise de la baie d'Inglefield est partie hier. Déjà lundi, lors d'une petite virée sur la moraine, j'avais pu constater l'absence de glace dans le Storfjord. Depuis, le vent a tourné, et l'eau libre a atteint l'Iceberg Noir, à l'entrée de la petite baie où se trouve Vagabond. Cela explique les 5 ours qui m'ont rendu visite hier, et un ce matin, à la recherche d'un passage vers le nord. Faute de banquise, ils sont coincés sur la moraine qui abrite encore le bateau du large. Une débâcle complète n'est pas impossible, si la houle et le vent persistent. Pour le moment, la météo est bonne. Évidemment, tout n'est pas vraiment organisé à bord pour naviguer maintenant, il y a la motoneige à mettre à terre et qui ne veut plus bouger (gelée), l'annexe qui sert de toit à l'igloo de sécurité, les niches à sortir de la slush, les amarres à terre à remettre... Gérer une débâcle seul, de nuit, avec 3 chiens et pas mal d'ours dans le coin, je ne risque pas de m'ennuyer ! Dire que depuis 2 jours Mike Horn et Borge Ousland sont sur la banquise, en route pour le pôle Nord, pour tenter une première hivernale; je me demande bien quelles conditions ils vont rencontrer.