France, Léonie et moi sommes au festival du film d'aventure de Dijon pour 4
jours, tandis que Michael vient de nous envoyer le récit de ses premiers jours
à bord :
Vendredi 28 Septembre
J'ai dormi « à l'arrache » sur les sièges trop espacés du petit aéroport de
Tromsø, ultime bourgade digne de ce nom au nord de la Norvège. Un dernier saut
au dessus de l'Atlantique Nord doit m'emmener encore un peu plus haut sur le
globe. Epaisse couche nuageuse : je scrute à travers les rares trouées et
aperçois ici un glacier, là un pan montagneux déjà blanc des neiges
automnales. Humm, pas l'air terrible la météo du Spitz en cette fin septembre.
Le Spitz, c'est évidemment l'île du Spitzberg, la plus grande de l'archipel du
Svalbard. La seule quelque peu habitée aussi. Ca fait 4 ans que je n'y ai plus
mis les pieds et malgré la pluie et le vent d'ouest qui n'arrange pas le cadre
pas folichon de la ville de Longyearbyen, je suis heureux de me retrouver là,
en compagnie d'Eric, France et leur petite fille Léonie.
Mardi 2 Octobre
« Pétole » dans Storfjord (littéralement « Grand Fjord ») ! Après les
deux journées de navigation quelque peu agitée que l'on vient de passer, ça
n'est pas pour déplaire. En effet, depuis notre départ de Longyearbyen, la
météo ne nous a pas épargné : vent de sud-ouest et une houle à soulever
le coeur des marins pas amarinés que nous sommes. Résultat des courses :
je m'allonge sur ma bannette et fait le mort. Tant pis pour les paysages des
côtes sud-ouest et sud-est de l'île. Mais vu la météo, ce que l'on peut voir
est de toute façon limité. La trinquette est enroulée, la grand-voile
également. Avec le calme revenu, une brume grisâtre s'étire en Baie
d'Inglefield, nous dissimulant les montagnes enneigées et le front du glacier
éponyme. Des growlers et du brash, résultat du « vêlage » régulier du glacier,
se sont accumulés sur la bordure sud de la baie. Eric réduit la puissance des
deux propulseurs, Vagabond pousse les blocs de glace pour aller mouiller au
fond d'une petite anse protégée de la mer par une large plage de galets. L'
ancre est envoyée par le fond. Et ne sera plus remonté avant le prochain mois
de juillet. L'hivernage - le 4ème pour Vagabond sur cette côte orientale du
Spitzberg - peut commencer !
En fin d'après-midi, Ulli ouvre la porte :
-
Polar bear on the beach !
-
Aaah, voilà le comité d'accueil, rétorque Eric.
En effet, le « monstre » est là, à quelques pas des chiens que nous venons
tout juste d'installer sur la plage. Il n'est pas du plus petit calibre qu' il
soit et son pelage tire remarquablement sur le jaune paille. Un peu trop prés
des chiens à notre goût. Ulli envoie une fusée dans sa direction :
réaction pour le moins mitigée. Cette fois, c'est Eric qui envoie le coup de
semonce ; le bruit du canon est tout de même plus inquiétant. Le plantigrade
se décide à passer son chemin. Mais il ne veut certainement pas nous laisser
l'image d'un trouillard. C'est d'un pas calme qu'il s'éloigne et disparaît
derrière la moraine. Je reste médusé par cette nonchalance. Celle d'un être
vivant assuré de son bon droit à être là. A moins que ce ne soit plus
simplement de sa force.
Samedi 6 Octobre
Ca y est, je suis seul ! J'ai presque envie de dire « enfin seul». Eric,
le Cap'tain et skipper de Vagabond, Sanna et Eva, les deux finlandaises et
Ulli, l'allemand en charge de la logistique d'Unis (l' université la plus au
nord de la planète puisque située à Longyearbyen) s'en vont. Salutations et
accolades. Tout ce petit monde a endossé de gros sacs, parfois surmontés d'une
paire de ski ou d'une carabine, et s'est dirigé tranquillement vers l'ouest,
en direction de la rive droite du glacier Inglefield. Affairé au rangement du
Dinghy, je jette régulièrement un oeil vers eux. Le nez dans les cordes de
hissage, je ne les vois même pas passer derrière la moraine. Une heure et
demie plus tard, ils ont pris pied sur le glacier. Je sorts les jumelles et
guette tout de même un peu, à l'affût de ce moment symbolique : dernier
regard sur 4 lointaines silhouettes. C'est que je ne devrais pas en voir
d'autre avant 70 jours !!!
7 Octobre
Avant hier soir, le ciel était parfaitement dégagé. Pour la seconde nuit
consécutive, une aurore boréale nous fait l'honneur de sa danse céleste.
Spectacle toujours envoûtant. Ce matin, le vent s'oriente à l'Est et siffle
dans la mature, les températures remontent sensiblement, il tombe une neige
humide et collante. Le front du glacier est invisible, le ciel est bas et
plombé. Pas envie de mettre le nez dehors. D'ailleurs les chiens n'en ont pas
plus envie que moi : sur la berge d'une petite avancée de terre, à 70 m
du bateau, pas d'agitation. Frost et Jin, les 2 frangins, et Imiaq, tout trois
de race groenlandaise, se sont tapis au fond de leurs niches. Avec le vent
d'Est, les glaçons qui entouraient le bateau au fond de la petite baie se sont
fait la malle. Dommage, on était pas mal calé. Maintenant, ça bouge de nouveau
un peu. Comme sur tous les bateaux. Ces 2 derniers jours, la glace s'était
formée, figeant les growlers et le brash. Avec pas mal de précaution, on
pouvait rejoindre la berge à pied sec. ou presque. Quelques paires de bottes
se sont tout de même remplies. Hier, en me promenant sur le cordon lagunaire
qui protège le mouillage, puis sur la moraine qui s'étend au-delà, j'ai
remarqué de nombreuses traces d' ours. Certaines, figées dans la boue durcie,
datent de l'été d'avant, peut-être même des étés antérieurs. Mais là, dans la
neige, ces grosses, bien que soufflés par le vent, sont tout à fait récentes.
Or, depuis le jour de notre arrivé, le 2 octobre, plus vu le moindre poil de
la bestiole. Preuve donc qu'ils errent dans le coin - peut-être la nuit - sans
que l'on ne s'en rende compte et sans que les chiens n'alarment !
Nota Bene :
a.. Avant-hier, il faisait beau ; en milieu d'après-midi, le soleil a disparu
une première fois derrière une montagne au sud-ouest, puis est réapparu avant
de disparaitre pour de bon à 16 H 20.
b.. J'ai avalé le bouquin de Cauchy (« Docteur Vertical ») : excellent,
très bien écrit, très vivant, plein de rythme et d'humour ; et le témoignage
riche sur un métier méconnu - même des professionnels de la montagne - qui
éclaire sur le quotidien et le monde clôt de ces hommes du secours en
montagne.