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Nord / Sud

Tandis qu'un ours rendait visite à Michael, hier après-midi non loin de Vagabond, France et moi encouragions Bilou (Roland Jourdain) qui prenait le départ de la Barcelona World Race. Avec son coéquipier Jean-Luc Nélias, ils sont lancés dans une course autour du monde sans escale, retour prévu à Barcelone dans 3 mois. Leur coque rouge va tourner le plus rapidement possible autour de l'Antarctique, tandis que la coque rouge de Vagabond restera immobile au coeur de l'Arctique. Nous partagerons avec vous nos prochains échanges avec Bilou, afin de croiser nos témoignages sur le Grand Nord et le Grand Sud. Fragiles et au premier rang du réchauffement, ces régions sont à l'honneur durant l'Année Polaire Internationale. Suivre Bilou.


40 jours

Michael n'a pas vu un ours depuis un bon moment, désormais la lumière est trop faible pour les prendre en photo. Les chiens sont de nouveau à terre. Il n'y a toujours pas de glace, il a même plu il y a deux jours ! Le temps est maussade mais il y a beaucoup moins de vents qu'il y a 15 jours. Du coup les amarres ne bronchent pas pour l'instant et il y a suffisamment d'eau sous la coque. Michael s'efforce de profiter chaque jour des 4 ou 5 heures de clarté, "étrange expérience" nous dit-il.


Phoque curieux

'En descendant nourrir les chiens, en annexe, un phoque annelé vient me rendre visite et tourne un long moment autour de moi. Il semble curieux et joueur, et n’hésite pas à s’approcher, jusqu’à poser sa tête sur le bord de la petite embarcation ! L’obscurité s’empare des lieux avant 15h maintenant, et je me fais une idée de ce que peux vouloir dire 24 heures de nuit. Je comprends que mon monde va se limiter de plus en plus au bateau... Hier, une lune pleine éclairait les montagnes enneigées et le glacier Inglefield. A 22 heures, je grimpais dans le mat pour profiter du spectacle.' Michael


Echouages

Le 19 octobre, Vagabond était entourée d'une nouvelle glace, avec cette géométrie particulière en nénuphar, les pancakes. Michael a pu voir le soleil une dernière fois, la nuit polaire commence, pour 4 mois. La tempête du lendemain a poussé Vagabond à terre : "Mauvaise nuit. Pas bien dormi. Ça tape dans tous les sens... Au matin, l'étrave est posée sur le sable, à quelques mètres des chiens (ça leur fait du spectacle !). Foutu vent du sud. Me voilà bien. Et puis j’ai beau donné des tours de winch sur les aussières, pas moyen de me sortir de là." m'écrit Michael. Finalement, le vent tourne dans la soirée : "Des rafales à 70 km/h. Le bateau gîte par à-coups sur tribord. Ça cogne. Et tout d’un coup, ça se met à bouger. Le GPS confirme le décrochage, j’allume le phare et regarde la berge s’éloigner progressivement.". 2 jours plus tard, le vent atteint 130 km/h, les amarres arrières cèdent et Vagabond se retrouve échoué, encore, avec cett e fois 15° de gîte. Heureusement, hier par téléphone, Michael m'a annoncé que Vagabond flottait à nouveau !


Déménagement

"Enfin, du beau temps ! J'en profite pour atteler les chiens à l'annexe et me lance dans un grand déménagement afin de rapprocher les niches du bateau, car le phare ne les éclairait guère lorsque la neige virevoltait... Ensuite, ce sont des blocs de glace que je trimballe pour les caler correctement. Certains de ces blocs doivent peser la cinquantaine de kilo... Autant dire que je ne suis pas mécontent de me boire un petit soda en terrasse (sur le pont arrière), dans la lumière chatoyante de cette fin d'après-midi (la nuit tombe à 17 heures environ). Le mouillage s'est libéré de la glace. Absence totale de vent, grand calme ! Chose trop rare dans les parages et en cette saison pour ne pas en profiter..." Michael


40m

Un ours était installé non loin des chiens depuis 3 heures lorsque Michael a décidé de me demander mon avis par téléphone, avant d'aller à terre pour les nourrir. Autour de moi, dans l'auditorium de Dijon, en m'entendant parler de banquise, d'ours et de fusil, les regards étaient ahuris ! Finalement, tout s'est passé sereinement : il a pu photographier l'animal à moins de 40m, les chiens étaient repus et l'ours avait disparu avant la tombée de la nuit. Michael hésite tout de même à rapprocher les chiens le plus possible du bateau, afin d'être sûr de les entendre s'ils aboient, surtout si le vent souffle fort. La banquise se forme doucement, mais la combinaison étanche est encore indispensable pour rejoindre la berge.


Dijon

France, Léonie et moi sommes au festival du film d'aventure de Dijon pour 4 jours, tandis que Michael vient de nous envoyer le récit de ses premiers jours à bord :

Vendredi 28 Septembre

J'ai dormi « à l'arrache » sur les sièges trop espacés du petit aéroport de Tromsø, ultime bourgade digne de ce nom au nord de la Norvège. Un dernier saut au dessus de l'Atlantique Nord doit m'emmener encore un peu plus haut sur le globe. Epaisse couche nuageuse : je scrute à travers les rares trouées et aperçois ici un glacier, là un pan montagneux déjà blanc des neiges automnales. Humm, pas l'air terrible la météo du Spitz en cette fin septembre. Le Spitz, c'est évidemment l'île du Spitzberg, la plus grande de l'archipel du Svalbard. La seule quelque peu habitée aussi. Ca fait 4 ans que je n'y ai plus mis les pieds et malgré la pluie et le vent d'ouest qui n'arrange pas le cadre pas folichon de la ville de Longyearbyen, je suis heureux de me retrouver là, en compagnie d'Eric, France et leur petite fille Léonie.

Mardi 2 Octobre

« Pétole » dans Storfjord (littéralement « Grand Fjord ») ! Après les deux journées de navigation quelque peu agitée que l'on vient de passer, ça n'est pas pour déplaire. En effet, depuis notre départ de Longyearbyen, la météo ne nous a pas épargné : vent de sud-ouest et une houle à soulever le coeur des marins pas amarinés que nous sommes. Résultat des courses : je m'allonge sur ma bannette et fait le mort. Tant pis pour les paysages des côtes sud-ouest et sud-est de l'île. Mais vu la météo, ce que l'on peut voir est de toute façon limité. La trinquette est enroulée, la grand-voile également. Avec le calme revenu, une brume grisâtre s'étire en Baie d'Inglefield, nous dissimulant les montagnes enneigées et le front du glacier éponyme. Des growlers et du brash, résultat du « vêlage » régulier du glacier, se sont accumulés sur la bordure sud de la baie. Eric réduit la puissance des deux propulseurs, Vagabond pousse les blocs de glace pour aller mouiller au fond d'une petite anse protégée de la mer par une large plage de galets. L' ancre est envoyée par le fond. Et ne sera plus remonté avant le prochain mois de juillet. L'hivernage - le 4ème pour Vagabond sur cette côte orientale du Spitzberg - peut commencer !

En fin d'après-midi, Ulli ouvre la porte :

  • Polar bear on the beach !

  • Aaah, voilà le comité d'accueil, rétorque Eric.

En effet, le « monstre » est là, à quelques pas des chiens que nous venons tout juste d'installer sur la plage. Il n'est pas du plus petit calibre qu' il soit et son pelage tire remarquablement sur le jaune paille. Un peu trop prés des chiens à notre goût. Ulli envoie une fusée dans sa direction : réaction pour le moins mitigée. Cette fois, c'est Eric qui envoie le coup de semonce ; le bruit du canon est tout de même plus inquiétant. Le plantigrade se décide à passer son chemin. Mais il ne veut certainement pas nous laisser l'image d'un trouillard. C'est d'un pas calme qu'il s'éloigne et disparaît derrière la moraine. Je reste médusé par cette nonchalance. Celle d'un être vivant assuré de son bon droit à être là. A moins que ce ne soit plus simplement de sa force.

Samedi 6 Octobre

Ca y est, je suis seul ! J'ai presque envie de dire « enfin seul». Eric, le Cap'tain et skipper de Vagabond, Sanna et Eva, les deux finlandaises et Ulli, l'allemand en charge de la logistique d'Unis (l' université la plus au nord de la planète puisque située à Longyearbyen) s'en vont. Salutations et accolades. Tout ce petit monde a endossé de gros sacs, parfois surmontés d'une paire de ski ou d'une carabine, et s'est dirigé tranquillement vers l'ouest, en direction de la rive droite du glacier Inglefield. Affairé au rangement du Dinghy, je jette régulièrement un oeil vers eux. Le nez dans les cordes de hissage, je ne les vois même pas passer derrière la moraine. Une heure et demie plus tard, ils ont pris pied sur le glacier. Je sorts les jumelles et guette tout de même un peu, à l'affût de ce moment symbolique : dernier regard sur 4 lointaines silhouettes. C'est que je ne devrais pas en voir d'autre avant 70 jours !!!

7 Octobre

Avant hier soir, le ciel était parfaitement dégagé. Pour la seconde nuit consécutive, une aurore boréale nous fait l'honneur de sa danse céleste. Spectacle toujours envoûtant. Ce matin, le vent s'oriente à l'Est et siffle dans la mature, les températures remontent sensiblement, il tombe une neige humide et collante. Le front du glacier est invisible, le ciel est bas et plombé. Pas envie de mettre le nez dehors. D'ailleurs les chiens n'en ont pas plus envie que moi : sur la berge d'une petite avancée de terre, à 70 m du bateau, pas d'agitation. Frost et Jin, les 2 frangins, et Imiaq, tout trois de race groenlandaise, se sont tapis au fond de leurs niches. Avec le vent d'Est, les glaçons qui entouraient le bateau au fond de la petite baie se sont fait la malle. Dommage, on était pas mal calé. Maintenant, ça bouge de nouveau un peu. Comme sur tous les bateaux. Ces 2 derniers jours, la glace s'était formée, figeant les growlers et le brash. Avec pas mal de précaution, on pouvait rejoindre la berge à pied sec. ou presque. Quelques paires de bottes se sont tout de même remplies. Hier, en me promenant sur le cordon lagunaire qui protège le mouillage, puis sur la moraine qui s'étend au-delà, j'ai remarqué de nombreuses traces d' ours. Certaines, figées dans la boue durcie, datent de l'été d'avant, peut-être même des étés antérieurs. Mais là, dans la neige, ces grosses, bien que soufflés par le vent, sont tout à fait récentes. Or, depuis le jour de notre arrivé, le 2 octobre, plus vu le moindre poil de la bestiole. Preuve donc qu'ils errent dans le coin - peut-être la nuit - sans que l'on ne s'en rende compte et sans que les chiens n'alarment !

Nota Bene :

a.. Avant-hier, il faisait beau ; en milieu d'après-midi, le soleil a disparu une première fois derrière une montagne au sud-ouest, puis est réapparu avant de disparaitre pour de bon à 16 H 20.

b.. J'ai avalé le bouquin de Cauchy (« Docteur Vertical ») : excellent, très bien écrit, très vivant, plein de rythme et d'humour ; et le témoignage riche sur un métier méconnu - même des professionnels de la montagne - qui éclaire sur le quotidien et le monde clôt de ces hommes du secours en montagne.


Michael

Vagabond est prêt pour l'hiver, et les consignes ont été passées en détails depuis 4 jours. Demain, Sanna, Eeva, Ulli et moi quitterons la côte Est à pied, pour rejoindre la civilisation. Les filles iront jusqu'à Longyearbyen, elles prévoient ainsi 8 jours de marche, tandis qu'Ulli et moi irons au plus court, jusqu'à la mine de Svea, à 2 jours de Vagabond. Michael Charavin sera alors seul à bord pendant plus de deux mois, ses aventures sont à suivre sur ce blog ! Nous nous sommes connus à Kerguelen il y a 12 ans, et il n'a cessé depuis d'arpenter les régions polaires. Guide passionné, il va découvrir la nuit polaire et a vu ici, avant-hier, son premier ours blanc.