Civilisation

Vagabond est au mouillage devant Longyearbyen, la petite capitale du Spitsberg, depuis 7h ce matin. La fin du troisième hivernage et notre retour à la civilisation furent célébrés dès le 14 juillet à Hornsund, un superbe fjord du sud du Spistberg, avec nos amis de Makoré. Pour Fabrice et Isabelle, qui voyagent eux aussi en voilier avec leur petite fille, Loana, c'était le jour de concrétisation de leur rêve : 5 ans auparavant ils entreprenaient la construction de leur magnifique bateau dont la destination était le Spitsberg. Ainsi les deux heureux équipages français se trouvaient rassemblés par hasard le jour de leur fête nationale, l'occasion d'un joyeux festin, d'autant plus que Makoré acheminait du champagne et du fromage pour Vagabond. Une baleine s'approcha de nous à l'instant même des retrouvailles ! La veille au soir, en contournant le cap sud, nous suivions en direct le grand concert de musique africaine de La Bastille grâce à RFI.


Au fond

La bathysonde n'est pas remontée de sa dernière plongée. Rongée par le sel, la sécurité a cédé, l'instrument s'est soudain vu précipité au fond du Storfjord avec son lest et tout le câble. Par environ 200 mètres, elle enregistre encore la salinité et la température, jusqu'à épuisement de sa mémoire et de ses batteries. Peut-on espérer un heureux coup de chalut un jour ? L'eau était claire, la houle négociable, et, ironie du sort, c'était le dernier relevé de notre troisième hivernage. Les données sont perdues, ainsi que celles des 4 relevés précédents, effectués régulièrement depuis le site d'hivernage que nous avons quitté le 10 juillet. Une escale devant le glacier Croll nous permet d'effectuer quelques entretiens mécaniques, de faire courir les chiens à terre, et de ramasser quelques glaçons pour augmenter nos réserves d'eau douce, avant de poursuivre sur une mer plus plate. Léonie découvre que sa maison bouge, elle s'amarine doucement , comme ses parents.


Débâcle

La voie est libre ! Le soleil chauffe 24h/24 depuis une semaine, et il ne reste plus que quelques glaçons autour de nous. Tout a commencé le 7/7/07 vers 7h07... Les chiens ont été installés à terre hier, in extremis, alors que la glace se fracturait de partout, et que quelques ours tentaient de chasser sur les dernières plaques de banquise. Peu après, encore suant des efforts nécessaires pour porter les lourdes niches sur la berge, je n'ai pas hésité à sauter à l'eau pour rattraper un seau qui s'apprêtait à couler. Saisissant ! Malgré le soleil, la température de l'eau est encore négative... Il nous reste maintenant à finir de transformer notre refuge sur la banquise en bateau prêt à naviguer.


Narvals

Quelques narvals sont passés le long de la plage voisine, libre de glace, le temps était très calme et leurs souffles s'entendaient de loin. Les ours continuent de nous montrer toutes leurs techniques de chasse, tel ce gros ours couvert de terre qui déboula à toute allure, passa devant les chiens excités, et fonça sur les phoques qui prenaient le soleil non loin de nous. Après avoir ainsi fait plonger une quinzaine de phoques, lors d'une course effrénée, l'ours s'est installé à l'affût devant un de leurs trous, patiemment. Tandis que nous pouvons toujours skier sur la banquise jusqu'au glacier, à 2 km de Vagabond, nous avons fait hier notre premier tour de la baie d'Inglefield en annexe, après l'avoir tracté sur la glace jusqu'à l'eau libre. Quelle drôle d'impression de refaire en bateau, accompagnés par des vols d'eiders, le même parcours que celui fait à ski avec les chiens la semaine dernière ! Le moteur hors-bord berçait Léonie alors que nous slal omions joyeusement entre les gros glaçons à la dérive...


Combien

Chaque jour, il ne s'agit plus de savoir si nous allons voir un ours, mais combien ! Quant aux phoques, on ne les compte plus. Avant hier, 12 ours, dont 4 oursons, étaient visibles simultanément depuis le bateau. Les femelles restent toujours très vigilantes pour protéger leurs petits des mâles affamés, et d'impressionnantes poursuites commencent parfois brusquement. Les oursons insouciants, joueurs et curieux, n'ont que quelques semaines de plus que Léonie, et ils ont grandi dans le même environnement. Pourtant Léonie vient de lionne... Et pourtant, notre Léonie n'a que doublé son poids depuis sa naissance, tandis que le lait d'ourse est si riche qu'il a permis aux oursons de le multiplier par 100, en passant de 500g (naissance début janvier) Ã environ 50kg aujourd'hui (10kg en sortant de leur tanière fin mars). Ce matin, un ours chassait un phoque à moins de 100m de Vagabond, s'immergeant avec une infinie précaution dans un trou pour se camoufler. En vain. L'eau libre n'est plus qu'à 300m de nous et la banquise devient très fragile.


Pétard

Notre chien Frost s'est éclaté la gueule. Au sens propre ! En ramassant le pétard envoyé par France pour dissuader un ours trop curieux de s'approcher davantage, il ne s'attendait certainement pas à un tel résultat. Par chance, l'ours s'est enfui, Frost n'a rien de sérieux et il entend à nouveau. Peu après, un autre ours observait notre attelage insolite passer à bonne allure sur la banquise détrempée : les 3 chiens devant, puis moi, ensuite la pulka (avec fusil, caméra et trépied), et enfin France tractée derrière tout en portant Léonie sous sa veste. C'est en skiant ainsi que nous nous sommes soudain retrouvés au bord de l'eau. Le dernier coup de vent a emporté la plus grande partie de la banquise des environs et l'eau libre n'est plus qu'à 2km de Vagabond maintenant. L'aire de repos des phoques et le terrain de chasse des ours en sont d'autant réduits. Nous avons mangé notre dernier fruit, le dernier journal commence à dater, mais la radio nous aide à imaginer ce qui se passe dans le reste du monde, et la vie en famille est malgré tout assez paisible par ici.