Impossible par la mer

Après une semaine d'efforts, les glaces dérivantes ont eu raison d'Albarquel. L'équipage du vieux gréement, pourtant très déterminé à s'approcher au plus près possible de Vagabond, a du faire demi-tour avant même de passer le cap sud du Spitsberg. Je me suis alors préparé à traverser l'île à pied, depuis la mine Svea : une randonnée qui s'annonçait périlleuse, en raison de la fonte des neiges. Mais par chance, mercredi soir, un hélicoptère a pu être sollicité au dernier moment depuis Svea ! C'est donc en famille, accompagnés de Rémy Marion (photographe spécialiste des ours), que nous avons survolé les rivières boueuses et les glaciers sournoisement crevassés... jusqu'à Vagabond, séparé de la mer libre par une bonne douzaine de kilomètres de banquise. Tout juste informé de notre arrivée, Sébastien nous attendait sur la berge, après avoir veillé sur notre drôle de refuge pendant un mois et demi. A peine le temps de le saluer que l'hélico l'emportait vers la civilisation, avec sa chienne Tundra. Ce matin, le vent d'ouest a arraché la plus grande partie de la banquise côtière, et la mer bleue n'est plus qu'à 3 km de Vagabond. Des dizaines de phoques et quelques ours profitent de la glace qui nous entoure encore.


Patience, patience!

Voilà bien la zen attitude à adopter dans ce coin du monde blanc. Ici, la nature a le monopole absolu sur les éléments. Que ce soit en pleine hiver en motoneige ou au beau milieu de l'été à bord d'un voilier, les départs de Longyearbyen sont (presque) toujours respectés, rarement sont les arrivées. Albarquel a du faire demi tour au cap sud du Spitzberg et se protéger des vents malmenants à Hornsund. Après plusieurs jours, le ketch est finalement sur le re-départ. Comme une bonne partie des glaces du Storfjord s'est disloquée, il leur faudra donc se jouer de leur dérive capricieuse. Quant à moi j'attends et savoure le retour des ours blancs dans la baie. C'est un peu ma télévision locale. Retransmission « live ». Leur réapparition annoncerait-elle une débâcle imminente ? +1.4°C les mirettes dans les jumelles (Sébastien Barrault)


Ça sent les écuries!

France, Eric et Léonie ont quitté le port de Longyearbyen à bord d'Albarquel mardi en fin d'après-midi. Ce ketch, autrefois navire de charge pour le transport de sel le long des côtes portugaises, navigue en ce moment plein sud avant de remonter dans le Storfjord. Les conditions des glaces ne sont pas idéales. La banquise encore bien dense au nord-ouest du Storfjord vont compliquer l'arrivée sur Vagabond. Le voilier devra probablement se frayer un chemin le long de la côte ouest des îles d'Edgeøya de Barentsøya avant de pouvoir mouiller à 30 km au nord-est d'Inglefieldbukta. Si la glace est suffisamment sûre, le changement d'équipage se fera via la banquise ce week-end. Les vents annoncés risquent plus de chatouiller la glace de mer encore épaisse que de la disloquer. En cette période de débâcle, elle est comme un puzzle. La pièce maîtresse qui maintient le tout est un floe caché parmi tant d'autres. Si ce petit bout pouvait se détacher il entraînerait le morcellement de plusieurs kilomètres de banquise en quelques heures seulement. Oui, ça a sent les écuries! Mais leur odeur dépend encore un peu des caprices de la lente débâcle. + 2.1°C à la pensée d'une douche chaude (Sébastien Barrault)


Sacré farceur !

Franchement je ne l’inviterais plus. D’abord on l’attendait près de 4 mois. Une absence remarquée. Puis il se pointait timidement au plus froid de l’hiver, se faisant même longuement désirer. Et quand venait le jour de le célébrer, tout beau et tout chaud qu’il était, il se faisait la belle pour retrouver sa résidence du sud. En ce 21 juin, le soleil était à l’apogée... de sa farce. Il préparait sa nouvelle fugue alors que les glaces et la neige retrouvent à peine un aspect plus liquide. Comme partout en Scandinavie, on s’était mis à son heure, celle des réjouissances. A Inglefieldbukta, on avait sorti Maurice pour l’occasion. Et oui, il n’y a pas de fête sans ballon ! Puis la plaisanterie frappait une fois de trop. Car celui qui avait la gueule de bois, c’était lui encore ! Tempête de neige et de grêlons au réveil. Méfiez-vous de sa prochaine blague: le 1er août prochain vers midi au Svalbard, il s’éclipsera totalement derrière les rondeurs de la lune… (Sébastien Barrault)


Quand l'ours est touriste et le phoque nudiste

Côte Est du Spitsberg ou Côte d'Azur, c'est du pareil au même. A l'arrivée des beaux jours, tout est prêt. Même à Inglefield-Plage. La glace dans l'immense sorbetière (et il y en a à gogo), les glaciers, les montagnes... un authentique concentré d'exotisme. Il y a même un voilier dans la baie. Ici l'offre est unique : tous ceux du coin, tous à poil, et un brin grassouillets, se languissent déjà en surface prêts à offrir leur chair au premier venu. Comme chaque début de vacances, on fait grise mine quand les jours maussades s'attardent. Et premier bilan mensuel : où sont donc les touristes ? Seul 0.34 % des voyageurs attendus s'est pressé d'un pas amblé sur la côte, soit 12 sur les 3500 recensés au Svalbard. C'est bien peu. On annonce le beau et la mer fraîche. Tant mieux! Les glaçons ont déjà été commandés pour la prochaine saison. +1.2°C sous le parasol (Sébastien Barrault)


Ma bulle vagabonde

Dans ma bulle de métal rouge et blanche, je vagabonde. Mon combat silencieux face à la débâcle a commencé. Je perds chaque jour un peu de ma liberté… disons, terrestre. J’en gagne une autre par contre. Non pas que celle-ci soit spirituelle. Point de mysticisme ou de vertigo : je suis isolé sur la Côte Est certes, mais depuis 4 semaines seulement. On ne refait pas son monde en si peu de temps. Non, je me suis enfin affranchi des heures et des minutes. Et quel privilège ! Il n’est pas nécessaire de se caler sur le soleil. Lui aussi a perdu son sommeil. Mes journées ne sont pas plus longues mais elles durent plus longtemps. Mes cycles diurnes ont gagné 3 bonnes heures. Etre « vagabond » c’est peut-être aussi savoir enrayer le tic-tac de l’horloge. Ralentir pour manger, s’oublier dans la lecture ou le travail… et parfois s’empresser de ne rien faire. +0.8°C à la fin de mon douzième livre (Sébastien Barrault)