Canada

  • Mesure epaisseur banquise detroit de Smith

Vagabond est au Canada depuis hier soir ! Nous avons donc changé d'heure, il y a maintenant six heures de décalage avec la France.

L'équipe scientifique est arrivée à Qaanaaq avec deux jours de retard, suite à une panne d'avion à Resolute Bay (Canada). Le 8 août, jour de la rentrée scolaire au Groenland, Vagabond a finalement pu embarquer Christian Haas (University of Alberta, Canada), sa fille Léa, et sa collègue Mary O'Brien (Institute of Ocean Sciences, Canada), avec tout leurs équipements.

En route vers le nord, Vagabond fait escale à Siorapaluk, à nouveau. Cette fois, une petite fête est organisée pour la chasse fructueuse d'un petit rorqual, les villageois nous y convient spontanément. Quelques heures plus tard, nous jetons l'ancre à Etah, lieu historique d'arrivée des premiers hommes au Groenland, en provenance de l'ouest. Des restes de huttes de pierre côtoient des cabanes récentes utilisées l'été pour la chasse (boeuf musqué, renne, renard, morse, phoque...).

Le lendemain, en déjouant la dérive des glaces, Vagabond atteint l'île Littleton. La première tâche de la mission est accomplie, malgré la brume et le vent, pour la Scottish Association for Marine Science et la Technical University du Danemark : au sommet de l'île, la station météo est réparée. "Bravo, les données sont bien reçues, je viens d'avoir un appel d'Ecosse !", nous dit France à notre retour à bord. Un ours avait tout simplement arraché le boîtier principal, voilà pourquoi la station n'émettait plus depuis le mois d'avril!

Mercredi, les conditions météo deviennent peu à peu idéales. Le transect à travers le détroit de Smith est un succès : huit stations hydrographiques pour mieux comprendre le détroit qui sépare le Canada du Groenland. Par là ont lieu des échanges majeurs entre l'océan Arctique et la baie de Baffin. A chaque station, lorsque Mary plonge la bathysonde (CTD) jusqu'au fond (300 à 500m), Christian mesure, avec tarière et glaciomètre électromagnétique, l'épaisseur de la plaque de banquise à laquelle Vagabond est amarré.

Côté canadien, sur la petite île Brevoort, non loin du cap Sabine et de l'île d'Ellesmere, il s'agit d'inspecter la deuxième station météo. Celle-ci, installée en 2009 avec le brise-glace Henry Larsen, est intacte. Les données sont récupérées, elles complètent précieusement celles de la station de l'autre côté du détroit.

Ce soir, grand ciel bleu, le vent forcit, rafales à 45 noeuds, les glaces défilent. Sous les yeux étonnés d'un lièvre arctique et de son petit, nous trouvons un petit abri dans le fjord Alexandra, en face de la station scientifique.


Siorapaluk

  • Ravito gasoil Qaanaaq

C'est sur la plage de Siorapaluk que Vagabond a été imaginé, il y a près de trente cinq ans. Un bateau capable de naviguer dans les eaux polaires, et, s'il n'y a pas d'abri, de s'échouer sur une plage pour y passer tout l'hiver...

Siorapaluk est le village le plus septentrional du Groenland. La chasse et la pêche rythment la vie des cinquante trois habitants, et procurent leurs principales ressources alimentaires. Pour le reste, un bateau ravitaille le village une fois par an.

Nous sommes heureux d'y retrouver Jocelyne Ollivier-Henry, amie bretonne qui passe la moitié de son temps à Siorapaluk, depuis treize ans. Elle nous montre son village, puis nous l'invitons à bord avec ses amis, et une ribambelle d'enfants ! Après deux jours d'escale, les Groenlandais qui sont venus avec nous depuis Qaanaaq pour visiter leurs cousins de Siorapaluk, profitent du trajet retour pour rentrer chez eux.

Clin d'oeil : Siorapaluk est à la même latitude que la baie d'Inglefield, au Svalbard, où Vagabond a passé cinq hivers (2004-2009). Quant à la Terre d'Inglefield, ici au Groenland, nous l'approcherons la semaine prochaine.

De retour à Qaanaaq, les capacités d'échouage de Vagabond nous permettent d'entrer dans la lagune, à marée haute, et de "beacher" pour se ravitailler en carburant.


Qaanaaq

  • Mouillage devant Qaanaaq

Créé il y a soixante ans, Qaanaaq (Thulé, en danois) abrite aujourd'hui six cents personnes environ. Seuls les petits bateaux peuvent entrer dans la lagune, devant le village, qui n'est toutefois pas assez protégée par vent d'ouest ou de sud-est. Vagabond a jeté l'ancre dans trois mètres d'eau, à l'extérieur de la lagune, et se tient prêt à rejoindre un meilleur abri si le vent se lève. La prochaine équipe scientifique embarquera le 6 août, pour deux semaines, et une partie du matériel nous attendait déjà à Qaanaaq lors de notre arrivée. C'est Hans qui me remet les colis. Il tient l'hôtel du village et me montre fièrement les photos des explorateurs et aventuriers ayant séjourné chez lui. Hans avait deux ans quand son village a été déménagé ici, lors de l'installation de la base américaine de Thulé, en 1951.

Outre la veille aux missiles et le suivi de satellites en orbite, la grande base militaire soutient les programmes de recherche scientifique en Arctique. Dans ce contexte, Vagabond a l'autorisation d'y faire escale, ce qui a permis quelques approvisionnements divers et distractions inattendues pour l'équipage ! Environ cent cinquante militaires Américains travaillent à la base aérienne de Thulé, dont une majeure partie du fonctionnement est assurée par trois cents cinquante Danois et soixante Groenlandais. Cette escale fût aussi l'occasion d'un très bon premier contact avec les gardes-côtes canadiens, qui escortaient un cargo ravitailleur avec leur brise-glace Henry Larsen.

Avant d'atteindre le village de Qaanaaq, à cent kilomètres plus au nord, Vagabond s'est arrêté devant deux autres villages abandonnés, Moriussaq et Qeqertarssuaq. Sentiment étrange de pénétrer dans l'école-église, alors que tout y est, sauf professeur, écolier ou fidèle.

Point de morse en chemin, mais toujours beaucoup de phoques et d'oiseaux.


Savissivik

  • Brume Savissivik

Petit village d'à peine 60 personnes, dont 48 adultes, au nord de la baie de Melville. Le décor est somptueux. De l'autre côté du fjord, l'inlandsis s'écoule en quelques glaciers, généreux fournisseurs d'icebergs qui protègent le village de la houle. Le mouillage est bon. Juste derrière les maisons, la montagne héberge des centaines de milliers de mergules nains, qui sillonnent le ciel sans relâche. Naja et Mario parlent bien l'anglais et nous accueillent chez eux. Ils sont en charge de l'école, qui ouvrira ses portes dans trois semaines pour cinq enfants. Léonie et Aurore y découvrent toutes sortes de jeux, entre les matelas d'une équipe internationale de géologues, qui a loué le bâtiment pour cinq jours. Ils sont mandatés par une compagnie pétrolière, pour cartographier la région. La vie du village pourrait bientôt être totalement chamboulée si une exploitation se développe...

Mario nous raconte la chasse au morse, au printemps. Naja offre des boucles d'oreilles à Léonie, ravie. Après le boeuf musqué et le café, notre petite famille prend son tour de bain à la salle commune, seul endroit avec l'eau courante.

Depuis Upernavik, les escales se sont enchaînées, en fonction de la météo, des besoins ou des envies. Sur la toute petite île de Kipako, nous avons retrouvé les trois ornithologues. Ils nous ont expliqué comment ils peuvent estimer l'évolution des quantités de poissons et de plancton, en analysant chaque année la santé des poussins. Après la visite guidée, deux des scientifiques sont venus se ravitailler en eau douce à bord. Vagabond a ensuite mouillé devant Nuussuaq, puis Kullorsuaq, les deux derniers villages de la côte ouest que nous n'avions pas pu atteindre fin juin à cause de la débâcle tardive. A Savissivik, nous entrons dans le district du Grand Nord du Groenland.


Upernavik

  • Upernavik

Escale technique pour Vagabond, qui garde quelques cicatrices de sa longue lutte dans les glaces de la baie de Melville. Les scientifiques et les cinéastes sont repartis hier pour la France, avec moins de données et d'images que prévu; les jeunes morses et leurs mères conservent une part du mystère sur leur mode de communication. La mélodie du rut des phoques barbus fût plus facile à enregistrer, ainsi que le chant des narvals. Nouvelles photos.

En arrivant à Upernavik, le 12 juillet, nous croisons le bateau de la Reine du Danemark, déjà rencontrée il y a un an aux Féroé. Très attendue dans le village, elle devait arriver par avion, qui doit faire demi-tour à cause de la brume. Son bateau, ainsi que personnalités et journalistes, repartent donc sans elle !

Hier dans le village, nous faisons connaissance avec trois collègues biologistes de l'équipe mergules nains, avec qui nous avons collaboré en 2005 et 2010 sur la côte Est du Groenland. Ils s'apprêtent à passer quinze jours sur une petite île pour étudier les guillemots et mouettes tridactyles.

Des nouvelles de Piem : il a quitté l'Islande ce matin pour le passage du Nord-Ouest à bord d'Eshamy, le voilier de Jeffrey que nous avions rencontré à Mourmansk il y a tout juste deux ans. Il tentait alors le passage du Nord-Est sans autorisation, mais avait fini par rebrousser chemin en raison des glaces et de la brume.

La voix est libre pour nous vers le nord désormais, jusqu'à Qaanaaq (Thulé). Les glaces n'ont pas résisté au coup de vent des 9 et 10 juillet, comme le montrent bien, entre autres, les images radar transmises par l'équipe de Brest de CLS (collaboration dans le cadre du programme SIDARUS). Notre escale à Upernavik sera la plus courte possible, nous avons hâte de découvrir l'autre côté de la baie de Melville, et peut-être, d'observer quelques morses !


Demi-tour

  • Abri du chamane Kap Seddon

Les glaces tardaient à libérer un passage pour sortir de la baie de Melville, les scientifiques étaient inquiets de ne pas atteindre Qaanaaq à temps, alors malgré un vent de sud annoncé, Vagabond a fait demi-tour. A contrecœur, nous tentons maintenant de rejoindre Upernavik, à deux cent milles nautiques au sud. C'est l'aéroport le plus proche. Le vent de face, plus fort que prévu (rafales à près de 50 noeuds), accompagné de brume et de pluie, nous a contraint de patienter à l'abri pendant un jour et demi. Après des semaines de soleil et de temps calme, après avoir rêvé d'un bon coup de vent dans les glaces pour accélérer la débâcle, cette dépression tombe mal ! Mais elle nous a permis de découvrir une petite île fréquentée régulièrement par des groenlandais, comme en témoignent les restes de kayaks et de campements. Et quel plaisir de marcher un peu sur la terre ferme !


Vrai ours et mirages

  • Differentes banquises

La Baie de Melville nous retient. Les années passées, il y avait de la glace jusqu'à mi-juillet. Mais cette année, il y en a encore beaucoup ! Nous décortiquons les cartes reçues chaque jour, en espérant que, au delà de la zone englacée, les morses seront faciles à trouver; et que l'équipe pourra être à Qaanaaq pour prendre l'avion du 13 juillet...

Tandis que Vagabond, lentement, trace une route à travers la banquise en pleine fonte, un ours s'est montré discrètement hier, tandis qu'un autre s'est laissé approcher aujourd'hui. Puis ce fût le tour d'un jeune phoque annelé très peu farouche, qui n'a visiblement jamais vu un chasseur. Par contre, le gros navire qui a été aperçu par plusieurs d'entre nous, a bel et bien disparu ! Voilà le genre d'hallucination qui nous guette, après des jours coincés dans le pack.


A l'écoute

  • Peu d eau libre

Notre progression à travers la baie de Melville est lente et sinueuse, comme on peut le constater sur notre trajectoire. L'état des glaces (voir aussi les analyses danoises ou canadiennes) permet de comprendre nos difficultés, malgré le grand beau temps qui règne depuis mi-juin. Nous sommes tout à fait dans des conditions de glaces qui conviennent aux morses; les scientifiques les cherchent de préférence sur la glace, car les morses sont difficiles à approcher à terre, au Groenland ou au Nunavut, à cause de la chasse. C'est pourquoi nous sommes venus dans la région avant la fin de la débâcle ! Leurs hydrophones nous ont permis d'entendre des phoques, des narvals, des baleines... toujours pas de morses.


Errances

  • Cinq jours d errances dans les glaces

Voilà dix jours que nous sommes dans le pack, à progresser très doucement vers le nord, tout en cherchant des phoques et des morses pour le programme scientifique. La baie de Melville semble bien décidée à conserver ses glaces plus longtemps que d'habitude, et les morses sont visiblement installés dans cette zone inaccessible pour le moment ! Alors les écoutes et play-backs se concentrent sur les phoques barbus. Il s'agit d'observer les réactions des mâles, chacun ayant son propre territoire, lorsque le chant d'un concurrent est émis par le haut-parleur sous-marin d'Isabelle et Thierry. C'est la période de séduction des femelles, les rivalités peuvent être grandes entre les mâles et les réactions très variées face à ces intrus synthétiques !