La pression remonte

  • Au fond du fjord Grise

Depuis mercredi dernier, Vagabond est à l'abri au fond du fjord Grise. Demain et mercredi, nous devrions pouvoir profiter d'un créneau météo pour jeter l'ancre devant le village, à la sortie du fjord (trente kilomètres). Les températures de l'air et de l'eau baissent, il sera bientôt temps d'achever notre ravitaillement et de rejoindre le site d'hivernage ! En 1999, la banquise s'était formée dès le 19 septembre autour du voilier Northanger. Aujourd'hui, l'effet du réchauffement se fait sentir, mais l'hiver approche malgré tout.

Avant que la neige ne dissimule tout, nous trouvons quelques planches sur les plages, pour construire des niches ou faire un support pour le treuil par exemple. Tous les hublots retrouvent peu à peu leur double vitrage, le joint de la porte arrière vient d'être refait, des vêtements plus chauds sont sortis...


Larry Audlaluk

  • Larry et Annie Audlaluk

Mercredi, Larry Audlaluk nous a invité chez lui, et conduit jusqu'au bout de la piste, à son aire de pique-nique préférée. Au retour, il était ravi de chercher avec nous quelques objets et matériaux à recycler dans la décharge ! Larry est arrivé à Grise Fiord en 1953, lors du transfert de quelques familles du nord du Québec, voulu par le gouvernement. De cette époque tragique, il ne reste plus que sa soeur et lui. Larry s'investit beaucoup pour témoigner de l'histoire de sa petite communauté, au Canada, à l'étranger. Il apparaît régulièrement dans la presse, dans des livres et des documentaires. Sa femme Annie a prêté à France une tunique spéciale pour porter Aurore, tandis que Larry nous a confié une copie du livre d'Otto Sverdrup, "New Land, quatre ans dans l'Arctique (1898-1902)".


Préparation de l'hivernage

  • Mouillage Grise Fiord

Trois bateaux sont passés à Grise Fiord ces derniers jours : un pétrolier et un cargo, pour les livraisons annuelles de carburants et marchandises, puis un bateau de croisière avec une centaine de touristes, qui ont pu assister à un défilé de mode inuit dans le gymnase local. Beaucoup d'occupations pour les 145 habitants du village !

Marty Kuluguqtuq, adjoint au maire, nous propose d'organiser une présentation de Vagabond pour tous, à l'école. Dès que la houle le permettra, nous ferons aussi le plein de nos réservoirs de gasoil. Marty est enthousiaste à l'idée que nous puissions accueillir de temps en temps sa fille à bord de Vagabond, elle a le même âge que Léonie !

En attendant une pompe de rechange pour notre générateur, et du matériel pour les manips scientifiques, il nous rester à acheter quelques vivres et munitions complémentaires, à nous procurer une licence de chasse au phoque, à poster un disque dur avec les images filmées pendant l'été...

Jeffrey Qaunaq nous confie quatre de ses chiens pour l'hiver, ainsi qu'un traîneau et un filet pour attraper des phoques, qui constituent leur nourriture de base. Marly, Bella, Elvis, et un chiot qui n'a pas encore de nom.

Nous prévoyons d'être au site d'hivernage début octobre, avant que la banquise se forme. Nous avons été invités à hisser Vagabond sur la plage du village, mais la baie retenue pour le moment est à 45km à l'ouest de Grise Fiord, à l'entrée d'un fjord magnifique. Nous privilégions la sécurité du bateau, le décor, la possibilité de faire les travaux scientifiques confiés, et l'accès au village. Confirmation du site dans deux ou trois semaines !

Dans notre recherche du site idéal, nous avons jeté l'ancre dans Harbour Fiord, au pied de la croix érigée par Otto Sverdrup et son équipage, lors de leur hivernage à bord du Fram, en 1899-1900. Site splendide.


Premières neiges

  • Mouillage fjord Grise

A une heure de navigation de Grise Fiord, Vagabond a jeté l'ancre à l'abri d'une forte houle qui nous empêche de débarquer au village. Les sommets sont poudrés de neige fraîche, et le poêle a été rallumé pour la première fois hier. Auparavant, un hérisson de ramoneur a été improvisé avec un vieux câble trouvé sur une plage !

En quittant la Baie de Woe, nous apercevons encore un ours, sur un rocher; il semble attendre que la banquise se forme pour chasser le phoque plus facilement. Des vents de face et un courant contraire de six noeuds s'opposent à notre projet de relevés hydrographiques dans le détroit de Cardigan, nous filons vers l'est à près de treize noeuds. Le premier fjord à gauche, Walrus Fiord, porte bien son nom : une vingtaine de morses se laissent approcher sur la berge, superbe rencontre. Par contre, non loin de là, la petite baie repérée sur la carte s'avère très peu profonde et surtout, fréquentée par de violents courants de marée : il faut toute la puissance des moteurs pour éviter d'être poussés sur les hauts fonds.

Dans la Baie Hourglass, nous découvrons la cabane installée par l'équipage du voilier Northanger, en 1999. Sept personnes, dont une petite fille de deux ans et demi, ont hiverné ici en 1999-2000, cent ans après l'expédition d'Otto Sverdrup (quatre hivernages à bord du Fram). Le site est assez attirant, mais un peu loin du village (140km). Nous sommes en contact avec nos prédécesseurs, qui partagent leurs expériences et conseils.

Des lièvres gambades sur la toundra voisine, beaucoup de narvals et de phoques sillonnent le fjord, il s'agit de se nourrir le plus possible avant l'arrivée des grands froids. Le jour n'est plus permanent. En milieu de nuit, la pénombre s'intensifie un peu plus chaque jour. Dans moins de deux mois, le soleil aura disparu totalement, jusqu'en février !


Science et exploration dans le détroit de Jones

  • Recuperation bouee derivante

Tous les vendredis, lorsque la météo le permet, et sauf pendant la nuit polaire, l'école invite les parents à se joindre aux enfants pour un pique-nique ou une promenade. Un excellent moment pour faire plus ample connaissance avec les habitants de Grise Fiord !

Les prévisions météo sont bonnes pour trois jours. En fin de journée vendredi, Vagabond lève l'ancre et fait route vers l'ouest. Le lendemain soir, tout au fond du fjord Eidsbotn (île Devon), nous atteignons les dernières coordonnées connues de la bouée dérivante déposée par Christian Haas en avril 2010 au nord de l'île Ellesmere. La bouée est là ! Après un long périple, elle n'a pas bougé depuis deux semaines, elle s'est vraisemblablement échouée lors d'un fort coup de vent d'est. Ses antennes sont endommagées, voilà pourquoi elle n'émet plus sa position.

Une fois la bouée embarquée, et après quelques heures de repos et de préparation, nous rejoignons le détroit de Fram pour une série de cinq stations CTD (salinité et température). Cette fois, c'est pour l'Institut des Sciences de l'Océan que nous opérons. Malgré le vent et le courant, la bathysonde engrange les données souhaitées. France maintient la position de Vagabond à chaque station, je descends la CTD jusqu'au fond puis la remonte, tandis que nos deux petites filles regardent un dessin animé ! Tous satisfaits, nous trouvons refuge, le meilleur depuis des semaines, dans la petite baie de Woe. L'heure est à l'exploration de la région, avant de choisir notre emplacement pour l'hiver... Un ours s'allonge sur la plage voisine, comme pour mieux nous observer.


Coup de vent

  • France seule a bord pour reprendre mouillage

Au bout de la cinquième tentative, l'ancre semble tenir bon ! La nuit dernière, Vagabond s'est retrouvé à la dérive, poussé par un vent fort vers le large. Réveil en sursaut ! Faute d'abri devant le village, nous explorons le fjord Grise, et cherchons un bon mouillage sans trop nous éloigner... Un peu plus tard, alors que j'étais à terre avec Léonie et Aurore, l'ancre a dérapé à nouveau et Vagabond s'éloignait encore. Heureusement que France était restée à bord pour reconduire le bateau au mouillage !


Départ et rentrée

  • Depart Twin Otter Grise Fiord

Une belle éclaircie, ce soir, a permis au Twin Otter de la compagnie Ken Borek d'assurer la liaison aérienne avec Resolute Bay. Nous étions émus de voir partir nos collègues et amis, après une mission passionnante et fructueuse, tout en pensant aux personnes décédées (dont le directeur de la base scientifique de Resolute Bay) dans l'accident d'avion de samedi.

Beaucoup d'émotions fortes aujourd'hui pour Léonie en particulier, qui participait à la rentrée scolaire locale. Umimmak School ouvrait ses portes après deux mois de vacances d'été. Premier cours d'Inuktitut pour elle, très bien accueillie dans une classe de neuf élèves pour trois niveaux. Pendant ce temps, Aurore se faisait une bonne copine à la crèche du village !

Après l'école et la crèche, émotions encore lors de grandes retrouvailles avec une bonne partie de la famille, par Internet et écrans interposés avec la France.


Grise Fiord

  • Arrivee a Grise Fiord

Entre l'île Devon et l'île d'Ellesmere, une douzaine de relevés hydrographiques sont réalisés à travers le détroit de Jones (une bonne partie des eaux de l'océan Arctique y passent pour rejoindre l'Atlantique). Au beau milieu du détroit, Vagabond reste à la dérive pendant près de quatre heures, le temps de réparer le treuil capricieux ! Heureusement, vent et houle sont modérés.

C'est tout au fond du fjord Cap Sud que nous jetons l'ancre ensuite, pour une petite journée de repos avant de terminer la mission. Le temps est splendide, parfaitement calme, et des dizaines de narvals évoluent autour du bateau. Fascinés, nous les observons et les écoutons longuement : leurs dos tachetés brillent au soleil, leurs souffles puissants résonnent dans le fjord.

Christian rêvait d'une partie de pêche et d'une excursion sur un glacier. Les tentatives de pêche sont assez brèves, depuis le bateau, mais une petite rando offre l'occasion à chacun de poser le pied sur le glacier Sydkap, d'approcher deux gros lièvres arctiques, de suivre des traces d'ours, de loups, de renards, et de boeufs musqués.

Vendredi matin, la mer est d'huile, idéale pour que l'équipe scientifique puisse ranger tout le matériel et nous passer les consignes, tout en navigant : le glaciomètre, la CTD, le treuil, et une partie de la station météo restent à bord, avec quelques protocoles de mesures pour tout l'hiver.

A la sortie du fjord Cap Sud, des centaines de phoques du Groenland, par petits groupes, nagent en bondissant comme des dauphins. Spectaculaire, inoubliable. En passant, nous repérons une petite baie abritée qui nous conviendrait bien pour l'hiver...

En fin de journée, l'accueil est très amical à Grise Fiord. Les formalités d'entrée au Canada se font en français, dans le bureau local de la Gendarmerie Royale du Canada, et par téléphone avec les autorités d'Iqaluit (capitale du Nunavut).

Rencontre passionnante avec Jon et Erik, deux américains qui viennent d'arriver à Grise Fiord également, après un incroyable périple de 104 jours autour de l'île d'Ellesmere : Ellesmere Island Circumnavigation. Nous les avons doublés il y a quelques jours, à moins de quatre miles, mais il y avait trop de glace pour se rejoindre.

Mary, Lea et Christian sont toujours avec nous, car le vol d'hier a été annulé. L'espace aérien a été fermé autour de Resolute Bay, où a eu lieu un terrible accident d'avion.


Avec une douzaine d'ours en DGV

  • Ours et tariere

Dérive à Grande Vitesse : Vagabond vient de parcourir plus de 100km à 2km/h de moyenne (parfois plus de 3km/h !), prisonnier de glaces pluriannuelles en provenance de l'océan Arctique, le tout entraîné par vents et courants. Ce fût l'occasion de faire de nouvelles mesures d'épaisseurs de banquise, et de nouvelles carottes de glace (pour mesures de chlorophylle, pH et salinité). Beaucoup d'ours profitent de ces concentrations de glaces épaisses et denses pour chasser. Intrigué, l'un d'eux est venu taper au carreau de la cuisine ! Nos réactions bruyantes ont eu raison de sa curiosité.

Ainsi, sans faire le moindre détour et sans moteur pendant deux jours, nous avons quitté le détroit de Smith pour entrer dans le détroit de Jones, où nous espérons retrouver une bouée dérivante (Ice Mass Balance), déposée par Christian en avril 2010 dans la mer de Lincoln, à 800km plus au nord. Pour l'instant, nous achevons deux séries de relevés hydrographiques (CTD), dans le détroit Lady Ann, au sud de l'île Coburg, et devant le majestueux glacier Belcher.

Avant de quitter le détroit de Smith, nous avons rendu visite à cinq jeunes biologistes canadiens installés pour l'été à la station du Fiord Alexandra, créée en 1954 par la Gendarmerie Royale du Canada. Non loin de là, nous étions ravis d'observer (enfin !) un petit groupe de morses.