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Science et exploration dans le détroit de Jones

  • Recuperation bouee derivante

Tous les vendredis, lorsque la météo le permet, et sauf pendant la nuit polaire, l'école invite les parents à se joindre aux enfants pour un pique-nique ou une promenade. Un excellent moment pour faire plus ample connaissance avec les habitants de Grise Fiord !

Les prévisions météo sont bonnes pour trois jours. En fin de journée vendredi, Vagabond lève l'ancre et fait route vers l'ouest. Le lendemain soir, tout au fond du fjord Eidsbotn (île Devon), nous atteignons les dernières coordonnées connues de la bouée dérivante déposée par Christian Haas en avril 2010 au nord de l'île Ellesmere. La bouée est là ! Après un long périple, elle n'a pas bougé depuis deux semaines, elle s'est vraisemblablement échouée lors d'un fort coup de vent d'est. Ses antennes sont endommagées, voilà pourquoi elle n'émet plus sa position.

Une fois la bouée embarquée, et après quelques heures de repos et de préparation, nous rejoignons le détroit de Fram pour une série de cinq stations CTD (salinité et température). Cette fois, c'est pour l'Institut des Sciences de l'Océan que nous opérons. Malgré le vent et le courant, la bathysonde engrange les données souhaitées. France maintient la position de Vagabond à chaque station, je descends la CTD jusqu'au fond puis la remonte, tandis que nos deux petites filles regardent un dessin animé ! Tous satisfaits, nous trouvons refuge, le meilleur depuis des semaines, dans la petite baie de Woe. L'heure est à l'exploration de la région, avant de choisir notre emplacement pour l'hiver... Un ours s'allonge sur la plage voisine, comme pour mieux nous observer.


Coup de vent

  • France seule a bord pour reprendre mouillage

Au bout de la cinquième tentative, l'ancre semble tenir bon ! La nuit dernière, Vagabond s'est retrouvé à la dérive, poussé par un vent fort vers le large. Réveil en sursaut ! Faute d'abri devant le village, nous explorons le fjord Grise, et cherchons un bon mouillage sans trop nous éloigner... Un peu plus tard, alors que j'étais à terre avec Léonie et Aurore, l'ancre a dérapé à nouveau et Vagabond s'éloignait encore. Heureusement que France était restée à bord pour reconduire le bateau au mouillage !


Départ et rentrée

  • Depart Twin Otter Grise Fiord

Une belle éclaircie, ce soir, a permis au Twin Otter de la compagnie Ken Borek d'assurer la liaison aérienne avec Resolute Bay. Nous étions émus de voir partir nos collègues et amis, après une mission passionnante et fructueuse, tout en pensant aux personnes décédées (dont le directeur de la base scientifique de Resolute Bay) dans l'accident d'avion de samedi.

Beaucoup d'émotions fortes aujourd'hui pour Léonie en particulier, qui participait à la rentrée scolaire locale. Umimmak School ouvrait ses portes après deux mois de vacances d'été. Premier cours d'Inuktitut pour elle, très bien accueillie dans une classe de neuf élèves pour trois niveaux. Pendant ce temps, Aurore se faisait une bonne copine à la crèche du village !

Après l'école et la crèche, émotions encore lors de grandes retrouvailles avec une bonne partie de la famille, par Internet et écrans interposés avec la France.


Grise Fiord

  • Arrivee a Grise Fiord

Entre l'île Devon et l'île d'Ellesmere, une douzaine de relevés hydrographiques sont réalisés à travers le détroit de Jones (une bonne partie des eaux de l'océan Arctique y passent pour rejoindre l'Atlantique). Au beau milieu du détroit, Vagabond reste à la dérive pendant près de quatre heures, le temps de réparer le treuil capricieux ! Heureusement, vent et houle sont modérés.

C'est tout au fond du fjord Cap Sud que nous jetons l'ancre ensuite, pour une petite journée de repos avant de terminer la mission. Le temps est splendide, parfaitement calme, et des dizaines de narvals évoluent autour du bateau. Fascinés, nous les observons et les écoutons longuement : leurs dos tachetés brillent au soleil, leurs souffles puissants résonnent dans le fjord.

Christian rêvait d'une partie de pêche et d'une excursion sur un glacier. Les tentatives de pêche sont assez brèves, depuis le bateau, mais une petite rando offre l'occasion à chacun de poser le pied sur le glacier Sydkap, d'approcher deux gros lièvres arctiques, de suivre des traces d'ours, de loups, de renards, et de boeufs musqués.

Vendredi matin, la mer est d'huile, idéale pour que l'équipe scientifique puisse ranger tout le matériel et nous passer les consignes, tout en navigant : le glaciomètre, la CTD, le treuil, et une partie de la station météo restent à bord, avec quelques protocoles de mesures pour tout l'hiver.

A la sortie du fjord Cap Sud, des centaines de phoques du Groenland, par petits groupes, nagent en bondissant comme des dauphins. Spectaculaire, inoubliable. En passant, nous repérons une petite baie abritée qui nous conviendrait bien pour l'hiver...

En fin de journée, l'accueil est très amical à Grise Fiord. Les formalités d'entrée au Canada se font en français, dans le bureau local de la Gendarmerie Royale du Canada, et par téléphone avec les autorités d'Iqaluit (capitale du Nunavut).

Rencontre passionnante avec Jon et Erik, deux américains qui viennent d'arriver à Grise Fiord également, après un incroyable périple de 104 jours autour de l'île d'Ellesmere : Ellesmere Island Circumnavigation. Nous les avons doublés il y a quelques jours, à moins de quatre miles, mais il y avait trop de glace pour se rejoindre.

Mary, Lea et Christian sont toujours avec nous, car le vol d'hier a été annulé. L'espace aérien a été fermé autour de Resolute Bay, où a eu lieu un terrible accident d'avion.


Avec une douzaine d'ours en DGV

  • Ours et tariere

Dérive à Grande Vitesse : Vagabond vient de parcourir plus de 100km à 2km/h de moyenne (parfois plus de 3km/h !), prisonnier de glaces pluriannuelles en provenance de l'océan Arctique, le tout entraîné par vents et courants. Ce fût l'occasion de faire de nouvelles mesures d'épaisseurs de banquise, et de nouvelles carottes de glace (pour mesures de chlorophylle, pH et salinité). Beaucoup d'ours profitent de ces concentrations de glaces épaisses et denses pour chasser. Intrigué, l'un d'eux est venu taper au carreau de la cuisine ! Nos réactions bruyantes ont eu raison de sa curiosité.

Ainsi, sans faire le moindre détour et sans moteur pendant deux jours, nous avons quitté le détroit de Smith pour entrer dans le détroit de Jones, où nous espérons retrouver une bouée dérivante (Ice Mass Balance), déposée par Christian en avril 2010 dans la mer de Lincoln, à 800km plus au nord. Pour l'instant, nous achevons deux séries de relevés hydrographiques (CTD), dans le détroit Lady Ann, au sud de l'île Coburg, et devant le majestueux glacier Belcher.

Avant de quitter le détroit de Smith, nous avons rendu visite à cinq jeunes biologistes canadiens installés pour l'été à la station du Fiord Alexandra, créée en 1954 par la Gendarmerie Royale du Canada. Non loin de là, nous étions ravis d'observer (enfin !) un petit groupe de morses.


Canada

  • Mesure epaisseur banquise detroit de Smith

Vagabond est au Canada depuis hier soir ! Nous avons donc changé d'heure, il y a maintenant six heures de décalage avec la France.

L'équipe scientifique est arrivée à Qaanaaq avec deux jours de retard, suite à une panne d'avion à Resolute Bay (Canada). Le 8 août, jour de la rentrée scolaire au Groenland, Vagabond a finalement pu embarquer Christian Haas (University of Alberta, Canada), sa fille Léa, et sa collègue Mary O'Brien (Institute of Ocean Sciences, Canada), avec tout leurs équipements.

En route vers le nord, Vagabond fait escale à Siorapaluk, à nouveau. Cette fois, une petite fête est organisée pour la chasse fructueuse d'un petit rorqual, les villageois nous y convient spontanément. Quelques heures plus tard, nous jetons l'ancre à Etah, lieu historique d'arrivée des premiers hommes au Groenland, en provenance de l'ouest. Des restes de huttes de pierre côtoient des cabanes récentes utilisées l'été pour la chasse (boeuf musqué, renne, renard, morse, phoque...).

Le lendemain, en déjouant la dérive des glaces, Vagabond atteint l'île Littleton. La première tâche de la mission est accomplie, malgré la brume et le vent, pour la Scottish Association for Marine Science et la Technical University du Danemark : au sommet de l'île, la station météo est réparée. "Bravo, les données sont bien reçues, je viens d'avoir un appel d'Ecosse !", nous dit France à notre retour à bord. Un ours avait tout simplement arraché le boîtier principal, voilà pourquoi la station n'émettait plus depuis le mois d'avril!

Mercredi, les conditions météo deviennent peu à peu idéales. Le transect à travers le détroit de Smith est un succès : huit stations hydrographiques pour mieux comprendre le détroit qui sépare le Canada du Groenland. Par là ont lieu des échanges majeurs entre l'océan Arctique et la baie de Baffin. A chaque station, lorsque Mary plonge la bathysonde (CTD) jusqu'au fond (300 à 500m), Christian mesure, avec tarière et glaciomètre électromagnétique, l'épaisseur de la plaque de banquise à laquelle Vagabond est amarré.

Côté canadien, sur la petite île Brevoort, non loin du cap Sabine et de l'île d'Ellesmere, il s'agit d'inspecter la deuxième station météo. Celle-ci, installée en 2009 avec le brise-glace Henry Larsen, est intacte. Les données sont récupérées, elles complètent précieusement celles de la station de l'autre côté du détroit.

Ce soir, grand ciel bleu, le vent forcit, rafales à 45 noeuds, les glaces défilent. Sous les yeux étonnés d'un lièvre arctique et de son petit, nous trouvons un petit abri dans le fjord Alexandra, en face de la station scientifique.


Siorapaluk

  • Ravito gasoil Qaanaaq

C'est sur la plage de Siorapaluk que Vagabond a été imaginé, il y a près de trente cinq ans. Un bateau capable de naviguer dans les eaux polaires, et, s'il n'y a pas d'abri, de s'échouer sur une plage pour y passer tout l'hiver...

Siorapaluk est le village le plus septentrional du Groenland. La chasse et la pêche rythment la vie des cinquante trois habitants, et procurent leurs principales ressources alimentaires. Pour le reste, un bateau ravitaille le village une fois par an.

Nous sommes heureux d'y retrouver Jocelyne Ollivier-Henry, amie bretonne qui passe la moitié de son temps à Siorapaluk, depuis treize ans. Elle nous montre son village, puis nous l'invitons à bord avec ses amis, et une ribambelle d'enfants ! Après deux jours d'escale, les Groenlandais qui sont venus avec nous depuis Qaanaaq pour visiter leurs cousins de Siorapaluk, profitent du trajet retour pour rentrer chez eux.

Clin d'oeil : Siorapaluk est à la même latitude que la baie d'Inglefield, au Svalbard, où Vagabond a passé cinq hivers (2004-2009). Quant à la Terre d'Inglefield, ici au Groenland, nous l'approcherons la semaine prochaine.

De retour à Qaanaaq, les capacités d'échouage de Vagabond nous permettent d'entrer dans la lagune, à marée haute, et de "beacher" pour se ravitailler en carburant.


Qaanaaq

  • Mouillage devant Qaanaaq

Créé il y a soixante ans, Qaanaaq (Thulé, en danois) abrite aujourd'hui six cents personnes environ. Seuls les petits bateaux peuvent entrer dans la lagune, devant le village, qui n'est toutefois pas assez protégée par vent d'ouest ou de sud-est. Vagabond a jeté l'ancre dans trois mètres d'eau, à l'extérieur de la lagune, et se tient prêt à rejoindre un meilleur abri si le vent se lève. La prochaine équipe scientifique embarquera le 6 août, pour deux semaines, et une partie du matériel nous attendait déjà à Qaanaaq lors de notre arrivée. C'est Hans qui me remet les colis. Il tient l'hôtel du village et me montre fièrement les photos des explorateurs et aventuriers ayant séjourné chez lui. Hans avait deux ans quand son village a été déménagé ici, lors de l'installation de la base américaine de Thulé, en 1951.

Outre la veille aux missiles et le suivi de satellites en orbite, la grande base militaire soutient les programmes de recherche scientifique en Arctique. Dans ce contexte, Vagabond a l'autorisation d'y faire escale, ce qui a permis quelques approvisionnements divers et distractions inattendues pour l'équipage ! Environ cent cinquante militaires Américains travaillent à la base aérienne de Thulé, dont une majeure partie du fonctionnement est assurée par trois cents cinquante Danois et soixante Groenlandais. Cette escale fût aussi l'occasion d'un très bon premier contact avec les gardes-côtes canadiens, qui escortaient un cargo ravitailleur avec leur brise-glace Henry Larsen.

Avant d'atteindre le village de Qaanaaq, à cent kilomètres plus au nord, Vagabond s'est arrêté devant deux autres villages abandonnés, Moriussaq et Qeqertarssuaq. Sentiment étrange de pénétrer dans l'école-église, alors que tout y est, sauf professeur, écolier ou fidèle.

Point de morse en chemin, mais toujours beaucoup de phoques et d'oiseaux.


Savissivik

  • Brume Savissivik

Petit village d'à peine 60 personnes, dont 48 adultes, au nord de la baie de Melville. Le décor est somptueux. De l'autre côté du fjord, l'inlandsis s'écoule en quelques glaciers, généreux fournisseurs d'icebergs qui protègent le village de la houle. Le mouillage est bon. Juste derrière les maisons, la montagne héberge des centaines de milliers de mergules nains, qui sillonnent le ciel sans relâche. Naja et Mario parlent bien l'anglais et nous accueillent chez eux. Ils sont en charge de l'école, qui ouvrira ses portes dans trois semaines pour cinq enfants. Léonie et Aurore y découvrent toutes sortes de jeux, entre les matelas d'une équipe internationale de géologues, qui a loué le bâtiment pour cinq jours. Ils sont mandatés par une compagnie pétrolière, pour cartographier la région. La vie du village pourrait bientôt être totalement chamboulée si une exploitation se développe...

Mario nous raconte la chasse au morse, au printemps. Naja offre des boucles d'oreilles à Léonie, ravie. Après le boeuf musqué et le café, notre petite famille prend son tour de bain à la salle commune, seul endroit avec l'eau courante.

Depuis Upernavik, les escales se sont enchaînées, en fonction de la météo, des besoins ou des envies. Sur la toute petite île de Kipako, nous avons retrouvé les trois ornithologues. Ils nous ont expliqué comment ils peuvent estimer l'évolution des quantités de poissons et de plancton, en analysant chaque année la santé des poussins. Après la visite guidée, deux des scientifiques sont venus se ravitailler en eau douce à bord. Vagabond a ensuite mouillé devant Nuussuaq, puis Kullorsuaq, les deux derniers villages de la côte ouest que nous n'avions pas pu atteindre fin juin à cause de la débâcle tardive. A Savissivik, nous entrons dans le district du Grand Nord du Groenland.


Upernavik

  • Upernavik

Escale technique pour Vagabond, qui garde quelques cicatrices de sa longue lutte dans les glaces de la baie de Melville. Les scientifiques et les cinéastes sont repartis hier pour la France, avec moins de données et d'images que prévu; les jeunes morses et leurs mères conservent une part du mystère sur leur mode de communication. La mélodie du rut des phoques barbus fût plus facile à enregistrer, ainsi que le chant des narvals. Nouvelles photos.

En arrivant à Upernavik, le 12 juillet, nous croisons le bateau de la Reine du Danemark, déjà rencontrée il y a un an aux Féroé. Très attendue dans le village, elle devait arriver par avion, qui doit faire demi-tour à cause de la brume. Son bateau, ainsi que personnalités et journalistes, repartent donc sans elle !

Hier dans le village, nous faisons connaissance avec trois collègues biologistes de l'équipe mergules nains, avec qui nous avons collaboré en 2005 et 2010 sur la côte Est du Groenland. Ils s'apprêtent à passer quinze jours sur une petite île pour étudier les guillemots et mouettes tridactyles.

Des nouvelles de Piem : il a quitté l'Islande ce matin pour le passage du Nord-Ouest à bord d'Eshamy, le voilier de Jeffrey que nous avions rencontré à Mourmansk il y a tout juste deux ans. Il tentait alors le passage du Nord-Est sans autorisation, mais avait fini par rebrousser chemin en raison des glaces et de la brume.

La voix est libre pour nous vers le nord désormais, jusqu'à Qaanaaq (Thulé). Les glaces n'ont pas résisté au coup de vent des 9 et 10 juillet, comme le montrent bien, entre autres, les images radar transmises par l'équipe de Brest de CLS (collaboration dans le cadre du programme SIDARUS). Notre escale à Upernavik sera la plus courte possible, nous avons hâte de découvrir l'autre côté de la baie de Melville, et peut-être, d'observer quelques morses !