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Solstice
Au solstice d'hiver, nous célébrons le milieu de la nuit polaire. Désormais, le soleil va se rapprocher progressivement de l'horizon. Prochain lever prévu le 15 février. Mais la moitié de l'hivernage n'est pas pour tout de suite, heureusement ! Voilà deux mois et demi que Vagabond a jeté l'ancre au fjord du Cap Sud, il y sera retenu par la banquise pendant encore sept mois environ.
France vient de déplacer le filet à phoque, en espérant plus de résultat. Elle maintient les trous ouverts et le relève tous les jours. Pas d'urgence, les chiens ne sont pas encore affamés. A bord, la fabrication de cadeaux, de bougies, de décorations diverses, de biscuits... occupe toute la famille. Curieusement, en cette veille de fête, France aurait déjà mal au foie, et je suis dérangé par une dent douloureuse ! Cela ne nous empêchera pas de faire vendredi, si la météo le permet, le trajet jusqu'à Grise Fiord, où nous sommes invités pour Noël.
Cache cache
Il fait vraiment nuit ce midi, lorsque je pars pour les mesures scientifiques. La lune est couchée pour huit jours, le soleil est au plus bas sous l'horizon (le solstice d'hiver est dans deux jours), et surtout, le ciel est couvert. De plus, il neige et il vente, la visibilité est donc très réduite. Pour une fois, je dois conserver ma lampe frontale allumée pendant les cinq heures de manip. Mais par chance, je distingue encore mes traces des précédents relevés. En fait, je n'ai encore jamais eu besoin de GPS pour m'orienter à travers le fjord. Passée l'excitation du départ, la chienne Bella semble elle aussi plongée dans ses pensées, jusqu'à la découverte de traces d'ours, assez récentes. Difficile à dire avec la neige qui tombe. L'animal a rejoint la "piste", et nous précède. Bella renifle la neige activement. Le petit traîneau me paraît un peu loin derrière, je décide de garder le fusil sur moi, même si j'utiliserais d'abord le pistolet d'alarme si besoin. Les traces sont par moment très bien marquées, ce n'est pas un ours énorme, mais déjà de belle taille. Auparavant, j'avais plusieurs fois observé des traces de renards, eux aussi attirés par cette "piste" étrange qui traverse le fjord. Finalement, quatre kilomètres plus loin, nous atteignons l'iceberg à côté duquel je fais les relevés hydrographiques deux ou trois fois par semaine. L'ours en a fait le tour, il est peut-être en train de faire une sieste derrière, nous n'irons pas vérifier. Au retour, je devine à peine le feu en tête de mât de Vagabond, il scintille entre les flocons.
EM31
Pourquoi promenons nous un glaciomètre électromagnétique (EM31), tous les trois jours, à travers le fjord du Cap Sud, sur une dizaine de kilomètres ? Réponse de Christian Haas, professeur de géophysique de la glace de mer à l'Université d'Alberta à Edmonton (Canada) :
La banquise dans l'Arctique canadien est un composant important de l'environnement naturel, du mode de vie et de la culture des hommes. C'est un indicateur sensible du changement climatique et un obstacle à la navigation et aux opérations en mer. Dans le but de mieux comprendre les variations régionales et temporelles de la banquise dans l'archipel canadien, des chercheurs de l'Université d'Alberta ont initié un projet d'observation de la banquise qui inclut de la détection par satellite des types et des états de développement de la glace, et des observations d'épaisseurs de glace in situ. Le programme prévoit de répéter des séries de mesures d'épaisseurs de glace dans les mêmes régions tous les printemps et pendant plusieurs années, en utilisant des capteurs électromagnétiques d'épaisseur remorqués par des motoneiges, par exemple, entre et autour des villages. Les mesures au fjord du Cap Sud contribuent de façon significative à ces observations en apportant des informations sur le cycle saisonnier de la croissance et de la fonte de la glace, qui donne un contexte temporel pour les séries de mesures à travers le détroit de Jones. Elles peuvent aussi mieux révéler les impacts des courants et de la stratification de l'océan, ainsi que des conditions météo sur les épaisseurs de banquise mesurées au printemps. Par conséquent, le fjord du Cap Sud est inclus dans la série de mesures prévue entre Resolute Bay et Grise Fiord en mai 2012.
Sur la piste avec Elvis
Histoire de faire connaissance avec le seul mâle de notre petite meute, c'est Elvis que j'ai attaché aujourd'hui à la pulka pour les manips scientifiques. Visiblement, il a été un peu déboussolé par mes activités étranges sur la banquise. Mais il est resté sagement dans mes traces en tractant efficacement la précieuse pulka sur une dizaine de kilomètres. Dans la nuit, par -30°C, avec un petit vent du nord, je n'étais guère causant... peut-être qu'un bon dessin serait plus clair ?
Et de 2, et de 3, et de 4 !
Elvis, Bella et Marly, frère et soeurs de Unnuaq (nuit, en inuktitut, c'est le nom donné à notre première chienne), sont arrivés hier soir ! Laisa et Norman ont joué une fois encore les Pères Noël : trois chiens, un filet plus adapté pour les phoques que notre filet de pêche de 25m, deux phoques d'avance pour nourrir les chiens, des parkas chaudes pour chacun, des fruits et légumes frais (raisin, tomates !...), des peluches, des bonbons et du dentifrice (!) pour les enfants, et même un petit sapin de Noël (artificiel, tout de même). Visite et cadeaux totalement inattendus, nous sommes très touchés par tant de générosité. De plus, Laisa nous propose de venir chez elle "en ville" pour Noël, et nos invités surprises ont déjà acheminé un immense traîneau pour transporter équipage et bagages depuis Vagabond jusqu'à Grise Fiord. Il ne nous reste plus qu'à le remplir ! Norman tentera de venir chercher le traîneau et son contenu le 23 décembre, si les conditions le permettent. A peine le temps de partager un thé et de les remercier (nous avions malheureusement fini le gâteau au chocolat juste avant leur arrivée), qu'ils repartent, au claire de lune, afin de retrouver deux chasseurs qu'ils ont laissé en route sur la banquise. Non loin de notre fjord, ils ont croisé les traces fraîches d'une ourse et de ses deux oursons.
Samedi soir déjà, peu après la magnifique éclipse de lune, et tandis que nous étions en train de décorer le carré avec des guirlandes de Noël, Laisa, son mari Aksakjuk et deux jeunes garçons avaient débarqué sans prévenir. Ce fût une grande joie de les revoir, de découvrir tout ce qu'ils nous avaient apporté spontanément (courrier, aliments frais, jus de fruits, anorak et kamiks pour Aurore...), et de prendre des nouvelles du village. La chasse va bon train (ours, phoque, caribou, lièvre), l'école est ouverte à nouveau après deux semaines de fermeture en raison d'un problème de canalisation, et les préparatifs pour Noël sont intensifs.
Quelle nuit fait-il ?
Ciel dégagé au petit matin, les étoiles éclairent faiblement la banquise et les montagnes enneigées, autour de Vagabond. Quelques aurores boréales timides offrent un peu de couleur à la scène. A la mi journée, sans effacer les étoiles, un léger crépuscule donne une impression de clarté pendant une paire d'heures. Dans l'après-midi, c'est la lune qui prend le relais. Tel un projecteur, elle illumine le décor jusqu'au lendemain. Le mât de Vagabond projette son ombre sur la neige et devient cadran lunaire. Finalement, la nuit polaire n'est pas souvent noire ! Il peut parfois faire plus sombre à midi qu'à minuit, à en perdre notre sommeil.
Par définition, le crépuscule n'est pas le même pour tout le monde. C'est la lueur émise par le soleil lorsqu'il est jusqu'à 18° sous l'horizon pour les astronomes, 12° pour les marins, et 6° pour les simples terriens. Les différents crépuscules départagent donc les hommes selon leurs aptitudes à déceler la lumière. Ici à une latitude de 76°27’N, à midi au coeur de la nuit polaire, le soleil atteint 9° sous l’horizon. Presque la nuit pour les marins, nuit noire pour les terriens. Mais pourtant, quelle clarté ! Nous flirtons avec les privilèges des astronomes.
Si le ciel est dégagé samedi 10 décembre au matin, nous observerons une éclipse totale de lune.
Le chien
Hier, deux des trois chiens sont soudainement repartis vers le village ! Celui qui reste, dont nous ne connaissons pas encore le nom, semble heureusement s'attacher à nous. Il veille consciencieusement sur notre refuge, et tire volontiers la pulka pleine de glace d'iceberg ou d'équipement scientifique. Il offre ainsi un gain de temps appréciable dans nos travaux, et une réelle sécurité dans la nuit polaire, lorsque nous sommes concentrés sur la collecte de glace pour l'eau douce ou sur les relevés hydrographiques. Il est de plus doux et joyeux avec les enfants, ce qui n'est pas toujours le cas avec les chiens polaires. Notre réserve de viande de phoque s'amenuise, mais un filet sera bientôt en place sous la banquise pour tenter d'assurer ses prochains repas. Pas question de le faire jeûner par -35°C.
Mémorable anniversaire
La nuit dernière, vers minuit, j'aperçois soudain des lueurs venant de l'extérieur. Deux phares approchent de Vagabond ! Norman et Manasie ont réussi à venir depuis Grise Fiord, l'un en motoneige, l'autre en quad. La banquise était très mince par endroit, nous racontent-ils, en nous tendant un carton plein de courrier. Ils ont mis près de dix heures pour parcourir les cinquante kilomètres : quelques problèmes de motoneige, banquise fragile et fracturée, mais surtout, il fallait attendre les chiens qui suivaient en courant dans leurs traces ! Nos trois nouveaux compagnons ne sont pas encore là. En attendant, Norman et Manasie peuvent se restaurer à bord, sécher les bougies de la motoneige, nous confier un exemple de harnais, deux chaînes et un peu de phoque d'avance pour les chiens, ainsi que des kamiks pour Aurore qui fête ses deux ans aujourd'hui ! C'est une grande joie pour nous tous de recevoir nos premiers visiteurs et d'avoir des nouvelles du village, où déjà les fêtes de Noël se préparent activement. Fatigués, Norman et Manasie ne tardent pas à repartir pour Grise Fiord, il est près de trois heures en ce lundi matin, mais les chiens ne sont toujours pas là... Nous dormons quelques heures et découvrons ensuite avec soulagement que les chiens sont arrivés. Quant à Léonie et Aurore, elles dormaient si profondément qu'elles n'ont rien entendu de toute la nuit ! Avant de réparer notre générateur avec la pompe si attendue, place à la fête préparée pour Aurore depuis quelques jours.
Depuis l'espace
La banquise n'est toujours pas praticable, entre Grise Fiord et Vagabond, comme le montre cette vue de l'espace. Explications de Jean-Yves Lebras, de CLS Toulouse :
"Cette image est le résultat d'une acquisition du satellite ENVISAT et de son capteur radar ASAR (Advanced Synthetic Aperture Radar). Ce satellite est opéré par l'Agence Spatiale Européenne (ESA).
L’imagerie SAR offre aujourd’hui un potentiel considérable dans le domaine de l’observation et la surveillance de l’environnement marin. Ce potentiel existe tant à travers la diversité des informations qu’il est possible d’en extraire (détection de pollutions par hydrocarbures et des navires, mesures d’états de mers, de champs de vents, détection d'icebergs, cartographie des glaces) qu’à l’opportunité unique d’obtenir de telles informations avec des résolutions spatiales inégalées, et ce de jour comme de nuit.
Les niveaux de gris représentent la puissance de l'onde électromagnétique reçue par le radar. Sur la glace de mer, la puissance de rétrodiffusion dépend de nombreux facteurs tels que la densité de la glace, la rugosité de sa surface et son niveau de fracturation.
Les images sont transmises à Vagabond dans le cadre d'un projet financé par la Commission Européenne, SIDARUS, et coordonné par l'institut norvégien NERSC. Le projet a pour but de développer de nouvelles applications et nouveaux services à partir de données satellite dans les zones à haute latitude (aide à la navigation, suivi des animaux et de leur habitat en particulier). La société CLS partenaire de ce projet effectue l'acquisition et l'analyse des données radar ENVISAT, qu'elle transmet à Vagabond sous forme compressée depuis sa station VIGISAT de Brest (www.vigisat.eu)."