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Resolute Bay
South Camp Inn. C'est le nom de l'hôtel où nous attendons l'appel de Kenn Borek, l'unique compagnie aérienne qui assure la liaison entre Resolute Bay et Grise Fiord. Voilà une semaine que nous sommes partis de France, nous espérons rejoindre Vagabond et nos amis de Grise Fiord avant Noël ! Six d'entre eux sont avec nous, impatients de retrouver les leurs.
Notre retour au Canada fût marqué par une soirée festive et une courte nuit chez des navigateurs polonais, à Toronto. Ensuite, le mauvais temps nous a poussé à découvrir Iqaluit, la capitale du Nunavut (6500 habitants) : deux agréables journées inattendues avec Sue, notre hôte. Enfin, depuis samedi, nous sommes coincés par le blizzard à Resolute Bay. A cela s'est ajouté hier une coupure de courant généralisée ! Où l'on comprend la dépendance énergétique d'un petit village plongée dans la froide nuit polaire...
Les rencontres ne manquent pas et trompent facilement l'attente, Aurore et Léonie ont même pu voir le père Noël !
Séjour en France
Séjour en France
Finalement, le Twin Otter de Kenn Borek est arrivé. Nous avons confié Vagabond à Jeffrey et fait nos adieux pour deux mois à nos amis de Grise Fiord. Compte tenu des 24h de retard, nous devions attendre l'avion suivant pendant cinq jours à Resolute Bay... mais par chance, un avion de Northwestern passait par là et les deux pilotes nous ont offert un vol dès le lendemain matin pour Yellowknife ! Rencontre et expérience inoubliables, chacun de nous ayant pu s'asseoir dans le cockpit et tenir le manche. Notre parcours fût ensuite totalement modifié puisqu'avant d'atteindre Paris, nous avons changé d'avion à Calgary et Londres. Au dessus du nord du Québec, les aurores boréales étaient fantastiques.
Après dix-sept mois dans l'Arctique, au menu depuis dix jours, et pour les quelques semaines à venir : retrouvailles avec nos familles, amis et partenaires; festivals, colloques et salons. Léonie a retrouvé l'école d'Hanvec, accompagnée pour la première fois par sa petite soeur Aurore.
Voir la météo à Grise Fiord.
En partance
Depuis deux semaines, nous préparons Vagabond pour l'hiver, ainsi qu'un voyage en avion jusqu'en France. Pendant notre absence de deux mois, nos amis de Grise Fiord veillerons sur Vagabond et sur le matériel scientifique. Du sable et des graviers ont été accumulés autour de la coque pour améliorer l'isolation thermique. Deux grosses caisses d'épicerie sont arrivées pour nous le mois dernier avec l'un des deux cargos de l'année. Peu après, l'autre navire, un tanker, a ravitaillé le village en carburant pour un an : un million de litres de gasoil et cent milles litres d'essence! Il fait désormais suffisamment froid pour conserver nos produits congelés dehors. Puisque Vagabond est au sec, des toilettes sèches ont été fabriquées; nous ne manquerons pas sciure car une nouvelle mairie - salle polyvalente est en construction. Léonie va à l'école tous les jours et progresse vite en anglais et en inuktitut. Le petit lac au centre du village est suffisamment gelé pour les joueurs de hockey, et nos filles découvrent avec joie le patin à glace. Boeufs musqués et lièvres arctiques sont nombreux autour du village, et même un ours rôde depuis une semaine. Il a trouvé des restes de viande de baleine et revient inexorablement finir son petit festin. J'étais donc particulièrement vigilant en grimpant sur le mont Greenlander, qui surplombe le village. La semaine dernière, les vagues venaient se briser contre la coque : sensation très étrange à bord d'un bateau immobile ! La mer commence maintenant à geler, l'eau devient plus épaisse en surface. Les chutes de neige et les coups de vent empêchent l'avion de venir : les 120 habitants de Grise Fiord attendent les dindes pour fêter Thanksgiving, tandis que nos sacs sont bouclés...
A terre
Le 17 septembre, nous saisissons une bonne fenêtre météo et quittons le Groenland. La traversée vers le Canada est rapide mais fatiguante. Le vent nous pousse dans la bonne direction, mais il est difficile, dans les nuits houleuses, de distinguer les blocs de glace des moutons... Par contre, les enfants sont complètement amarinés, et sautent de joie en apercevant Grise Fiord, le 19 au matin ! Jeffrey suit le parcours de Vagabond sur Internet et nous accueille par radio, puis des amis viennent à notre rencontre sur la plage, et Liza organise le soir une petite fête pour notre retour. Un doux sentiment de retour à la maison.
Déjà, le lendemain, toutes les conditions sont rassemblées pour sortir Vagabond de l'eau : fort coefficient de marée, mer calme et bulldozer disponible. A 16h, le bateau est au sec, pour dix mois ! Ainsi, encouragés par nos amis, nous passerons l'hiver au coeur du village, proches d'eux, des chiens, de l'école... Une nouvelle vie commence. Nous voilà également bien situés pour entreprendre le programme hivernal de mesures scientifiques, renouvelé et étoffé par les chercheurs.
Il n'y a pas de baie abritée devant le village; il aurait été trop risqué, en cette période de tempêtes, de jeter l'ancre et d'attendre, comme d'habitude, que la banquise se forme.
Chez Ole à Savissivik
Dernière escale au Groenland pour Vagabond, Savissivik, à peine 50 habitants; c'est le plus proche village de Grise Fiord, notre destination finale de l'autre côté du détroit de Smith, au Nunavut (Canada). Entourés par d'immenses icebergs, nous jetons l'ancre devant le village enneigé et débarquons tant bien que mal sur la berge balayée par les vagues. Le temps pour Léonie et Aurore de retrouver le square bien apprécié l'été dernier, et nous voilà déjà chez Ole Kristensen, qui nous accueille spontanément dans sa petite maison en bois. Ole est chasseur, et fait vivre sa famille de huit enfants avec les fruits de sa chasse. Ses deux aînés sont à l'école à Qaanaaq et à Aasiaat, trois autres sont à l'école du village (6 élèves au total, de 6 à 13 ans), les plus jeunes sont encore à la maison. Léonie et Aurore sont vite intégrées dans ce monde d'enfants ! Ole nous raconte comment il chasse l'ours (environ cinq par an), le morse, ou le narval (avec les photos de Nathalie et Alain Antognelli). Il a 25 chiens, et préfère chasser avec eux plutôt qu'en bateau, inévitable en fin d'été, car le carburant coûte cher. A 12 ans, son fils Qaaqqutsiannguaq chasse déjà avec son propre attelage de cinq chiens.
Très peu d'étrangers s'arrêtent à Savissivik, et notre visite à l'école devient un petit évènement ! L'hélicoptère passe deux fois par semaine, le bateau une fois par an. Pas de route, pas de voitures, quelques rares motoneiges délaissées, mais Internet et téléphones portables pour la plupart. La vie du village pourrait néanmoins changer dans un futur proche : un représentant de Shell viendra demain présenter aux habitants le détails de leurs prospections dans la région...
En mission pour la Nasa
Vagabond remonte doucement vers le Nord, en visitant chaque grand fjord glaciaire. Pour Eric Rignot et ses collègues du Jet Propulsion Laboratory (Nasa), pendant deux semaines, nous effectuons des relevés bathymétriques et hydrographiques, à l'aide d'un sondeur grands fonds et d'une bathysonde (CTD). Nos amis Gilbert et Annick se joignent à notre équipage familial d'Uummannaq à Augpilagtoq, pour le début de ces travaux. Les mises au point, laborieuses, seront utiles pour une campagne plus ambitieuse prévue l'an prochain. Nous alternons entre le littoral, ouvert à la houle du large, et le fond des fjords, très englacés. Les lumières de septembre sont magnifiques, les coups de vent aussi ! Difficile de trouver un mouillage de nuit, dans un fjord escarpé et encombré de glaces, lorsque la houle, le vent et la neige s'en mêlent. Dans ces conditions, descendre la bathysonde à 500m n'est pas non plus de tout repos !
A notre grande surprise, non loin du glacier Kakivfait, nous rencontrons tour à tour quatre bateaux de pêche qui naviguent aussi lentement que nous à travers de fortes concentrations de glaces. La veille au soir, non loin de là, j'ai plongé pour vérifier le bon état du sondeur : eau limpide, -1°C, 600m de fond !
Les villages nous offrent régulièrement de très belles rencontres, et parfois de bons mouillages. A Augpilagtoq, Thomas essaie de nous vendre une énorme géode et nous fascine avec ses dizaines de trophées gagnés lors de courses en traîneaux à chiens. A Naujat, Gabriel apprend la patience à nos filles qui veulent s'approcher de petits chiots; tandis que deux autres chasseurs s'entraînent dans leur kayak devant le village, au crépuscule. A Nuussuaq, où nous sommes heureux de revenir (photo 2011), Aurore et Léonie s'intègrent facilement aux élèves de l'école pour quelques travaux manuels.
Cap au nord
Les géologues sont repartis vers Brest. Allégé de 900kg de roches et de matériel, Vagabond ne pique plus du nez ! Il regrette déjà les explications de René, les laves en coussins, les glaces qui le chassent du mouillage en pleine nuit, l'exploration de petites criques en annexe, les pleins d'eau douce dans les cascades, les caisses plastiques trouvées sur les plages et utiles pour ranger les échantillons de roches, les apéros animés, les débarquements sportifs sur les plages, le ronron de la carotteuse...
Avant d'enchaîner sur la mission suivante et de remonter vers Grise Fiord, nous récupérons à Uummannaq, plus grosse ville visitée depuis juin 2011 (1400 habitants), une partie du ravitaillement pour l'hiver, en provenance de nos partenaires français ou du Danemark : vivres, pièces détachées et équipements de rechange. Profitant du beau temps, je passe deux heures sous la coque, en plongée, pour installer la sonde nécessaire à la prochaine mission. Ann Andreasen, enthousiaste et dynamique entrepreneuse, nous fait visiter la maisons des enfants qu'elle dirige (rendue célèbre par le film Inuk), l'Institut Polaire qu'elle préside, et une expo sur Jean Malaurie.
Lancé dans un grand périple autour du monde, Coriolis vient jeter l'ancre à côté de Vagabond pour une rencontre inespérée. Nous sommes tous invités à bord pour la soirée. L'équipe arrive de Mourmansk, elle a renoncé au passage du Nord-Est, et s'engage à présent dans le passage du Nord-Ouest !
A Illorsuit, escale suivante, France pêche une quinzaine de morues en vingt minutes ! Puis Vagabond longe à nouveau toute la côte du Svartenhuk, dont les relevés bathymétriques intéressent aussi les géophysiciens de la mission Volcabasin du mois dernier. Dans le fjord Arfertarssuk, ex-camp de base de la mission, nous avons rendez-vous avec Claudine et Alain Caradec, à bord de Kotick. Un bonheur de faire plus ample connaissance avec ces grands navigateurs.
Retour des géologues, lourdement chargés
Il fait un temps splendide lorsque Vagabond se faufile entre les icebergs et quitte le Svartenhuk. L'expédition scientifique Volcabasin s'est terminée avec succès, cap sur Uummannaq avec des centaines de kilos de roches et de matériel. Laurent Geoffroy, chef de mission :
"L’objectif scientifique de la mission est d’étudier un prisme épais de formations volcaniques d’âge Tertiaire situé à la limite entre lithosphère continentale et lithosphère océanique et qui est en grande partie émergé. Ce prisme magmatique est l’expression de la rupture lithosphérique à l’Eocène entre les plaques Groenland et Nord-Amérique au-dessus d’un manteau particulièrement chaud. Cette rupture est à l’origine d’un type particulier de marges passives, les marges passives volcaniques. L’étude détaillée des laves et des projections volcaniques doit permettre, notamment, de caractériser la composition et la profondeur des réservoirs mantelliques associés à ce magmatisme anormal et de relier cette fusion à la déformation en extension de la marge. D'un point de vue général, il s’agit de mieux comprendre les mécanismes de rupture de la lithosphère continentale en contexte de flux thermique particulièrement fort."