La sortie au camp de glace avec les elders, ainsi sont nommés les ainés, a
enfin pu avoir lieu; en effet, le ciel en décidait autrement depuis 2
semaines. Vent, brumes, neige, slush... puis vient l'urgence d'avant les
grands départs, avant qu'ils ne partent pour leurs campements d'été.
Ce fut avec curiosité, une belle dose de bonne humeur et de bienveillance
qu'une quinzaine de personnes âgées de plus de 60 ans nous ont suivi jusque
dans notre tente inondée. Ambiance magique dans son obscurité, faisant éclater
la lumière turquoise par le trou du milieu, scintiller les reflets rouges du
bas de la tente sur les 5 cm d'eau inondant le plancher. Chaque paire d'yeux a
suivi le messager qui referma la bouteille Niskin, inspecta les instruments
bizarre perchés sur des caisses, une rampe à filtration ici, un gros filet à
plancton là... Celui ci leur révéla d'ailleurs quelques planctons tout de bleu
irisés. Puis dehors, ambiance enjouée autour du carottage fait à la main, avec
concours de qui aura la fin de la carotte ! Les algues du dessous de la
banquise deviennent une réalité pour chacun de nos invités; certains,
auparavant, avançaient avec certitude que ce devait être des sédiments brassés
venus du fond...
A midi sonnant, certains se serrent dans la cabane chauffée pour déguster
sandwichs et crêpes faits par nos soins. Puis, les rôles s'inversent. Les
femmes inuites nous offrent la cérémonie traditionnelle qui préside à chaque
événement important : l'une d'entre elles a apporté un qulliq (lampe à
huile) afin de faire jaillir le feu. La vie. En terre émaillée ou fait de
métal, le réceptacle est empli d'huile de phoque. Sur son bord est disposé un
petit tas de végétaux séchés qui sera allumé, puis répandu sur tout un bord du
qulliq, agissant comme une mèche de bougie. C'est le foyer, chauffage et
fourneau qui maintenait la vie et la lumière dans les igloos et autres maisons
de tourbes et bois flotté. Patiemment, aidées d'une des leurs qui traduit, les
ainées répondent à toutes nos questions. Nous sommes comme des enfants,
tournés vers leur passé, leur savoir. Scientifiques et inuits, comme dans un
igloo au coin du qulliq. Simplicité, tranquillité, l'échange en est un vrai,
réciproque. "Nous ne vous oublierons pas" nous disent ils, nous remerciant de
les avoir accueillis.