Grand beau temps, mer d'huile et baleines pour traverser le golfe de Boothia.
L'équipage est gâté ! Alicia et France en profitent pour trier les
échantillons de coralline, en compagnie des filles qui jouent sur le pont
avant.
Alors que la nuit tombe, Vagabond retrouve l'île Baffin en se faufilant entre
les glaces dérivantes. Les premiers morceaux de banquise depuis que nous avons
quitté Qikiqtarjuaq, fin juillet ! Quart de nuit magique. Une étoile
filante très brillante, verte, m'indique la direction à suivre. Radar, sonar
et phare me permettent de trouver un mouillage tranquille, dans quelques 4
mètres d'eau, afin d'attendre le lever du soleil pour reprendre notre route.
Les cartes des glaces sont claires : la voie est presque libre, seulement
50 milles à parcourir entre petits et gros fragments de banquise éparses. En
début d'après-midi, malgré le vent qui augmente progressivement, nous
choisissons une grand plaque de glace pour nous y amarrer. France me guide
depuis le nid de pie, puis me remplace à la barre pour maintenir l'étrave en
appui contre la glace, le temps que je pose une broche à glace et tende
l'amarre. Nous sommes alors à l'entrée du détroit de Fury et Hecla et dérivons
à un noeud vers l'est avec le courant, dans la bonne direction !
Aurore a déjà enfilé sa combinaison. La voilà qui patauge dans les flaques qui
jonchent la banquise, dans lesquelles France et Alicia collectent de la bonne
eau douce. Céline et Yves explorent les abords de notre plaque en plongée.
Léonie court, saute, plonge à son tour. Puis vient l'heure de faire une
séquence photos et vidéos pour nos partenaires. Nous étions tous en manque de
glace !
Finalement, nous passons la courte nuit amarrés à notre plaque de glace. Vers
3h du matin, nous embouquons le long détroit (80 milles). Adieux les glaces,
vive le vent et le courant portants, nous filons à plus de 9 noeuds par
moment. Visiblement, que la marée soit montante ou descendante, le courant
reste favorable. Les cartes marines électroniques n'existent pas encore pour
cette région, pas plus que pour l'ensemble du bassin de Foxe. Alors nous
utilisons une copie de la carte papier confiée par le commandant de
l'Amundsen, sur laquelle est dessinée la route du brise-glace. Bien qu'elles
ne comportent pas d'indication de profondeur, les cartes terrestres sont
précises et très utiles également. De même que les images satellite
téléchargées auparavant sur GoogleEarth. Au plus étroit (Labrador Narrows), le
passage fait tout de même 2km de large. Rapidement et sans encombre, nous
entrons dans le bassin de Foxe.
L'arrivée à Igloolik est plus éprouvante. Yves tente de trouver une passe
entre les hauts-fonds depuis le nid de pie, tout en se faisant joyeusement
secouer. En général, on voit bien mieux les fonds depuis le haut du mât que
depuis le poste de barre. En vain, il nous faut rebrousser chemin et faire
tout le tour d'un petit îlot avant de pouvoir entrer dans la baie très
protégée de cette importante communauté du Nunavut.
Selon les instructions nautiques, "Il n'est pas possible pour des navires
autres que des brise-glaces d'essayer de passer par Fury and Hecla Strait".
L'absence de glace cette année est exceptionnelle. Nous apprenons que notre
collègue David Cowper, à bord de Polar Bound, est passé dans l'autre sens la
semaine dernière. Vagabond serait le premier voilier à emprunter cette route.
Un bateau de croisière devrait franchir le détroit dans deux jours. Nos amis à
bord du voilier Pachamama prévoient aussi de passer par là dans quelques
jours.
Il semble que désormais, c'est l'absence de cartes marines qui rend difficile
la navigation dans cette région, et non les glaces dérivantes. Pour les
petites embarcations des chasseurs, moins de glaces signifie plus de vagues,
ce qui est bien plus périlleux.