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Mosaic

  • Mosaic
  • Vagabond arctic bay freezeup by Clare Kines

J'embarque demain matin à bord du Kapitan Dranitsyn (voir sa position). Depuis Tromso, la ville natale de Léonie, et tandis qu'Aurore fête ses 10 ans, je m'apprête à une longue mission sans mon équipage familial... Le brise-glace russe va rejoindre l'expédition Mosaic, près du pôle Nord. Une centaine de scientifiques, techniciens et marins se relaient tous les deux mois à bord du brise-glace allemand Polarstern pour une dérive arctique d'un an. La deuxième équipe, dont je fais partie, sera de retour à Tromso début mars.

Il s'agit de faire une étude complète de l'océan Arctique, avant qu'il ne soit exploité. Les changements en cours sont considérables, comme le constatent actuellement Mike Horn et Borge Ousland qui tentent de finir leur traversée de l'Arctique avant l'hiver. Très fatigués et presque à cours de vivres, ils devraient être récupérés bientôt. Voir leur position.

En attendant, près d'Arctic Bay, Natasha a rejoint Louis à bord de Vagabond. Dans cette baie protégée, la banquise est maintenant assez épaisse pour circuler sereinement (environ 30cm). Les prélèvements d'eau et de coralline se poursuivent, mais la plongée ce matin était compliquée... La nuit polaire s'est installée depuis mi-novembre, jusqu'à fin janvier, le thermomètre indique -23°C. Cette période est privilégiée pour participer à la vie sociale du village voisin.


Changement d'équipage

Louis est arrivé hier midi, avec nos amis pilotes Georges et Sophie, à bord du petit Pilatus chargé de vivres et d'équipements divers. Leur vol depuis Montréal était superbe ! Après une joyeuse soirée à bord et quelques heures pour passer toutes les consignes à Louis, nous lui confions Vagabond et les protocoles scientifiques pour 4 mois. La banquise est sur le point d'immobiliser notre bateau. Il y a eu beaucoup d'hésitations quant au mouillage idéal : un bon abri, pas trop proche de la berge, dans une vingtaine de mètres de profondeur maximum, pas trop loin ni trop près du village... L'hivernage se prolongera jusqu'à la débâcle, en juillet 2020 !

L'album photo de l'hivernage 2019-2020 sera mis à jour régulièrement.


Ours et quotas

  • Arctic Bay 1030 habitants

Réunion publique hier soir, organisée par l'association des chasseurs dans la salle communautaire d'Arctic Bay. Le quota pour la saison 2019-2020 est de 24 ours, moitié mâles et moitié femelles. 9 ont déjà été tués pour se défendre lors des derniers mois, dont deux oursons qui comptent pour moitié. Il reste donc un quota de 16 pour la communauté. Il a été voté à deux voix près que les 5 pourvoyeurs du village ne pourront organiser qu'une seule chasse sportive chacun, au lieu de deux habituellement. Ces chasses sportives se font obligatoirement en traîneau à chiens et sont réservées à des clients étrangers qui déboursent trente mille dollars en moyenne pour un trophée. Des 11 tags restants, il a été décidé que 5 pourront être chassés à partir de minuit hier soir ! Peu après la réunion, les premiers bateaux quittaient la baie... Quant aux 6 tags restants, une réunion déterminera le 28 février 2020 s'ils seront tirés au sort ou bien laissés aux 6 premières chasses fructueuses, comme cet automne. Les peaux d'ours se vendent environ 400$ le mètre. La viande est consommée par la communauté.


Ecole

  • Classe Aurore grade 5 Arctic Bay 2019-2020
  • Classe Leonie grade 8 Arctic Bay 2019-2020

L'école ici, à Arctic Bay, c'est... bruyant! Ce n'est pas très discipliné et, surtout le matin, je n'ai à grand chose à faire car je suis presque la seule à travailler et ce n'est pas le même niveau, à peine la moyenne en France (du moins je pense...). Le matin, on travaille en anglais les maths, la science et l'anglais lui même; et l'après-midi c'est en inuktitut qu'on travaille l'histoire, la santé et l'inuktitut. Nous faisons aussi du sport trois fois par semaine et une demi-heure de classe culturelle où nous pouvons coudre ou faire différentes choses en perles. De mon côté, j'ai déjà fait deux bracelets et je me lance dans des gants en peau de phoque pour lesquels je n'ai que l'extérieur à coudre car j'ai trouvé un intérieur déjà cousu.

Il n'y a pas beaucoup d'élèves, surtout pour moi qui reviens d'une classe de 39 en Équateur. Le matin, ça tourne autour de 10 élèves, et l'après-midi, plus autour de 13 car certains dorment le matin mais viennent quand même l'après-midi. C'est assez équilibré entre filles et garçons. C'est vrai que j'ai déjà une petite idée de ce que je voudrais faire plus tard : biologiste spécialisée dans le réchauffement climatique. Eux, je ne suis pas sûre qu'ils aient beaucoup d'idées. Nous connaissons la famille de Horizon (une de mes camarades) et je sais que sa mère voudrait qu'elle ait son propre attelage (là, j'avoue que je suis presque jalouse...). Sinon, en sport, c'est souvent des jeux, mais je n'y participe pas souvent car j'ai du mal à les comprendre et eux à m'expliquer. Je fais ce que je peux pour travailler mon école française à bord de Vagabond, mais je n'ai pas reçu beaucoup de travail...


Chasse au phoque

  • Tom et Eric partent chasser le phoque
  • Barque brise-glace Adams Sound

Hier, Tom m’a proposé de l’accompagner, il a besoin de viande de phoque pour nourrir son attelage de chiens. Eux aussi attendent la banquise avec impatience pour se dégourdir les pattes ! Bien emmitouflés dans nos parkas, nous remontons le fjord Adams Sound à près de 40 nœuds. L’eau est lisse comme un miroir, il neige et nous plissons les yeux pour scruter la surface à la recherche d’un museau qui pointerait son nez pour respirer. Là, Tom en voit un, il arrête net son bateau, coupe les moteurs, et attend que l’animal refasse surface… Dix minutes, le voilà ! Il tire trop haut, le phoque plonge. Nous attendons à nouveau, Tom tire mais le rate encore. Au bout de 4 essais, il rigole en surnommant sa cible « le phoque magique », et il décide d’aller voir vers le fond du fjord. La banquise a commencé à se former, mais à ma grande surprise, sourire aux lèvres, Tom ne ralenti pas : sa barque, lancée à vive allure, vient se frayer un chemin en cassant les 3 ou 4 cm de glace. Spectaculaire ! Ca et là, on aperçoit des trous de respirations fait par quelques phoques, bien visibles sur cette jeune banquise sans neige. Tom m’explique qu’il est plus facile de chasser quand la mer devient épaisse, juste avant de geler, car il n’y a presque plus de houle et que le bateau est alors très stable pour viser.


Etudier la croissance de la coralline

  • Echantillons coralline et capteurs prets au deploiement
  • Pano Arctic Bay equinoxe

Déjà un mois que nous sommes arrivés à Arctic Bay. Aurore et Léonie ont pris leurs marques à l'école Inuujaq, et nous faisons connaissance peu à peu avec cette communauté de 1030 personnes, très accueillante. La préparation du programme scientifique nous a largement occupés depuis le 14 septembre, avec Jessica Gould qui vient de repartir ce matin pour son université à Boston.

Donc ça y est, 142 échantillons de coralline ont retrouvé leur habitat, à 15m de profondeur, à 2km du village. Les premières plongées ont été un réel soulagement, j'ai trouver suffisamment de beaux morceaux de coralline en 4 petites plongées. Ensuite, il a fallu les choisir, les nettoyer, retailler les plus gros, les tremper pendant 48h dans un bain coloré pour marquer le début de l'étude, les coller sur leurs petits supports, les peser avec précision, les photographier, et enfin les installer par groupe de 10 sur des plaques équipées de capteurs de lumière, température, pH et salinité. Finalement, le 28 septembre, en une longue plongée de 50 minutes, j'ai planté les 19 piquets dans le sol marin, et placé autant de plaques d'échantillons de coralline et capteurs. L'étude de la croissance de cette algue si spéciale commençait.


Cartographie des fonds marins dans des zones non cartographiées pour la modélisation des océans, par Gabriel Joyal

  • Releve sonar multifaisceaux front du glacier Cap Norton Shaw
  • Sonar multifaisceaux et bras repare

Combinaison de la recherche sur le changement climatique et de la bathymétrie participative. La vitesse et la dynamique des glaciers de marée sont fortement influencées par la morphologie sous-marine près du terminus. La profondeur de l'eau sur le front des glaciers et la bathymétrie du fjord déterminent la circulation et la stratification de l'eau de mer dans le fjord, ainsi que les échanges d'eau sur le plateau continental. Ces processus ont une influence considérable sur la régulation du taux de fonte sous-marine, le retrait des fronts des glaciers, le vêlage des icebergs et, ainsi, la contribution des glaciers maritimes à l’élévation du niveau de la mer. Malheureusement, les données bathymétriques existantes dans l'Arctique canadien présentent de grandes lacunes, la majorité des fjords glaciaires étant complètement inexplorées, empêchant les modèles océaniques numériques de caractériser avec précision la circulation océanique et l'influence de l'océan sur le bilan massique des glaciers se terminant en mer. Afin d'augmenter la résolution spatiale de la bathymétrie dans des fjords inexplorés, il est nécessaire de développer de nouveaux programmes de cartographie dans le Haut-Arctique, en utilisant des méthodes acoustiques ou optiques. À ce jour, les grands navires océanographiques (le brise-glace Amundsen, par exemple) avec un tirant d'eau plus important, ne conviennent pas à une navigation sûre dans les zones littorales peu profondes et non cartographiées, alors que la technique de télédétection par satellite fournit des données bathymétriques à résolution plus grossière. Au cours des trois dernières semaines, avec un sondeur multifaisceau, nous avons collecté des données depuis Vagabond sur la côte est de l'île d'Ellesmere au cours d'une campagne de recherche dédiée à la cartographie des fonds marins. Ce programme de recherche novateur a été rendu possible grâce à la collaboration entre des chercheurs universitaires, R2Sonic LLC et le Service hydrographique du Canada. Les résultats mettent en évidence le rôle majeur joué par la géomatique marine dans la recherche sur les changements climatiques. De plus, les données de recherche partagées avec les autorités fédérales permettront la mise à jour des cartes arctiques, dans un contexte de trafic maritime et de tourisme accru dans les fjords glaciaires de l'Arctique canadien.


Vie de contrastes

  • Equipage Vagabond a Arctic Bay
  • Minuit baie Talbot 25 aout

Comment décrire les contrastes que nous ont offert les missions de cet été. Pour ne parler que du coté Nunavut, les trois semaines passées avec Maya Bathia et ses collègues autour du Jones Sound n'ont été que beau temps, débâcle autour de Grise Fiord, manips à la dérive devant de majestueux fronts de glaciers et même camping ! Avec Andrew Hamilton et Gabriel Joyal les trois semaines suivantes nous sommes montés vers le nord, le froid et les brumes. Avons dû nous abriter d'un coup de vent, filer vent arrière par forte houle, faire demi tour dans cette baie Talbot, objectif principal de la mission pour blocus de glace... Nous y avons même cassé le bras du si précieux sondeur multi-faisceaux à cause de trop de chocs inévitables. Mais nous y sommes retournés et avec patience, sommes parvenus à faire le travail prévu à force de tours et de détours dans le labyrinthe embrumé, et à larguer un mouillage océanographique (chapelet d'instruments flottants dans la colonne d'eau) qu'Andrew tentait de réaliser depuis 4 ans sans succès ! La redescente vers Arctic Bay où Vagabond va hiverner s'est faite pratiquement d'une traite, avec pour carotte la rencontre avec l'Austral, paquebot de la compagnie Ponant, où nous avons donné une conférence. Une vraie escale technique ainsi qu'un moment hors du réel goûtant à un luxe extrême. Et d'autant plus après quelques jours à se nourrir comme on le peut en fonction de la mer, à être tendu ou même à ressentir l'angoisse dans du vent trop fort avec une grand voile coincée haute...

Vie de contrastes... pour résumer le sentiment du moment, vivre sur un voilier dans l'Arctique avec des missions toujours différentes, c'est expérimenter une vie de forts contrastes semée de moments magiques comme de moments vraiment durs. Même en famille, les moments durs soudent et les retours au positif n'en sont que plus forts. Expérimenter la fatigue, la faim et même la peur permet d'apprécier plus encore les moments de beauté et de joie. Tout est exacerbé. Et puis cette vie nous l'avons choisie, la faisons devenir réalité chaque année depuis 20 ans, et rien ne vaut cette liberté. Liberté de profiter de ces territoires qui continuent de nous fasciner en même temps que de nous rendre utiles à la science.


L'Austral

  • Leonie grand piano L Austral
  • Aurore au bout de Croker Bay a bord de L Austral

Au début, Léonie, qui était debout la première, nous a réveillé en tornade : "Y'a L'Austral qui est là !!!". En fait, c'était un autre paquebot, le National Geographic Explorer. Nous avons finalement du patienter jusqu'à 13h30, un zodiac est venu nous chercher. Papa nous avait dit de mettre les habits étanches, et finalement, ça n'a pas mouillé. Une fois sur L'Austral, nous sommes allés à la passerelle où le capitaine, Patrick, nous attendait. Ensuite, Léonie est allée prendre sa douche dans la cabine que nous avait réservée l'équipage, pendant que nous, le capitaine, la docteur et le second allions dans le café au troisième étage (le plus grand). Une fois que nous avions pris une douche à tour de rôle, nous sommes retournés à la passerelle, puis avec le pilote des glaces, nous avons dégusté un goûter de fruits et légumes. Le pilote des glaces m'a ensuite emmené chez la coiffeuse. Elle m'a fait deux petites tresses et des anglaises. Léonie, elle, a eu deux tresses. J'ai retrouvé papa et Gabriel dans un café (pas le 3), ensuite, le commandant, la docteur, le photographe (Philip Plisson), le chef mécanicien, et nous, sommes allés prendre un apéro. Ensuite, nous avons été au restaurant. Il y avait plein de crudités. C'était délicieux. Pendant le film, Léonie et moi, avons fait une visite guidée avec la docteur. On a même été dans les endroits réservés à l'équipage ! Après, nous sommes montés sur la scène, pour répondre à des questions. Enfin, un zodiac nous a ramenés sur VAGABOND, avec un carton de fruits, la soudure du bras du sonar, et un bidon d'huile moteur. C'était une journée extraordinaire, mais VAGABOND c'est chouette aussi !


Talbot Inlet

  • Objectifs campagne Talbot Inlet
  • Depart Andrew pour Resolute

C'est un réel soulagement pour tout l'équipage : l'abri derrière l'île Easter, dans Talbot Inlet, est bon. Nous y restons pendant 2 nuits afin de laisser passer un coup de vent de sud-est. Profitant d'accalmies, nous tentons par le sud de rejoindre Wykeham et Trinity, objets de notre mission. Ces glaciers seraient les deux plus gros producteurs d'icebergs de tout le Canada. C'est l'occasion d'explorer l'étroit et peu profond passage entre les îles Easter et Ellesmere, qui serpente entre deux autres glaciers, plus tranquilles. Superbe, mais à la sortie du passage les glaces nous retiennent et finissent par casser le bras du sonar ! La bathymétrie se poursuit malgré tout avec le sondeur de Vagabond (mono-faisceau).

Nous déjouons les glaces en passant par l'est et parvenons à déployer le mouillage océanographique complet qu'Andrew a cherché à installer dans Talbot Inlet depuis 4 ans, avec le brise-glace Amundsen. Assurément Vagabond peut s'aventurer plus librement dans des eaux non cartographiées, et manœuvrer plus facilement entre les gros icebergs et les plaques de banquise qui encombrent constamment la baie.

Impossible malgré tout d'atteindre les glaciers convoités, mais nous parvenons à prouver qu'il n'existe pas de seuil entre la baie Talbot et le détroit de Narès, il y a donc une grande probabilité pour que des eaux atlantiques viennent lécher les fronts des glaciers Wykeham et Trinity. Il nous faut une dizaine d'heures de navigations dans les glaces pour réaliser deux séries de relevés hydrographiques (transects CTD), nord-sud et est-ouest. Pour Andrew, l'essentiel est fait.

Tout est si calme qu'on entend le souffle de l'ours. Rencontré une heure auparavant, sorti de la brume, il nous retrouve de l'autre côté de la grande plaque de glace, tandis que Vagabond est à l'arrêt pendant la pause repas. L'ours est très proche, juste un petit bras d'eau nous sépare, nous nous observons longuement. Le lendemain, au mouillage dans la baie Cadogan, je surprends un ours nageant vers Vagabond. Il fini par faire demi-tour et retourne vers la berge. Ces rencontres sont toujours aussi fascinantes.

Andrew doit rejoindre sa famille au plus vite mais la météo n'est pas favorable et le Twin Otter (petit avion tout terrain) ne peut malheureusement pas le récupérer près du cap Isabella. Alors, avant de filer vers le sud, il savoure avec nous les très belles conditions pour faire une série de CTD dans le fjord Cadogan, qui héberge sans doute le glacier le plus épais du Canada.

Deux jours de navigation tonique, sans escale, jusqu'à Dundas Harbour au sud de l'île Devon, et Andrew est finalement récupéré par un Twin Otter, moins de 2h après notre arrivée.

Nous apprenons alors que des débris d'une fusée russe sont tombés exactement sur notre route, quelques heures après notre passage !