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Harmonie

  • Passage d un ours

La saison de chasse à l'ours et au narval est terminée à Qikiqtarjuaq. Les Inuit sont les seuls à pouvoir chasser ces espèces, dans un cadre très réglementé. Seules quelques prises sont autorisées annuellement et sont attribuées par tirage au sort. Des officiers de conservation, que nous avons accueillis à bord, veillent au bon respect des règles. La viande, partagée, nourrit la communauté, et les peaux sont recyclées en moufles, bottes, ou vendues. Rien de l'animal n'est gaspillé. Cette chasse de subsistance est culturelle, elle découle d'une connaissance accrue des ressources et est pratiquée dans le respect d'un environnement qui nourrit depuis des millénaires. Il ne faut d'ailleurs jamais se moquer de l'ours polaire, il entend tout !

Le dernier narval attrapé, le dernier ours dépecé, les allers-et-venues sur l'eau se font donc plus rares, les moteurs hors-bord se taisent, seule la recherche de phoques mobilise encore une partie du village. Quelques chasseurs infructueux font une halte à bord de Vagabond dont le café et le thé ont excellente réputation. C'est l'occasion de bavarder. Les amitiés sont faciles, déjà nous passons du temps dans plusieurs familles au village, chacune nous invitant pour une douche, un café, ou juste papoter… On nous raconte comment des familles de Kivitoo et de l'île Padloping ont été déplacées pour construire la station FOX-5 de la DEW Line et ainsi former Qikiqtarjuaq dans les années 50. Certains conservent un souvenir amer et vivace de cet événement, accusant le gouvernement d'avoir brûlé leurs maisons et assassiné leurs chiens. Dans ce nouveau village, il a fallu tout réinventer, s'organiser pour aller faire son épicerie à Pangnirtung en attelage de chiens, un voyage épique à travers la fameuse Pang Pass, qui pouvait durer plusieurs jours.

Pendant ce temps, les traces d'ours deviennent nombreuses sur la rive. Au cours d'une ballade, on a d'ailleurs aperçu un jeune mâle se rassasier sur une carcasse de narval. Novembre sera leur mois, à l'arrivée de la banquise et de la nuit polaire. Le soleil ne monte déjà plus très haut (moins de 10° au dessus de l'horizon), rasant les montagnes et nous offrant des lumières magiques. Qikiqtarjuaq se prépare à l'hiver.


Narvals d'octobre

  • Viande fraiche pour equipage de Vagabond
  • Degustation narval a bord

C’est avec un grand plaisir que nous prenons tempo- rairement le relais d’Éric, France, Léonie et Aurore sur Vagabond. « J’espère que vous savez tout bien faire maintenant ? » nous disait Léonie avant son départ. Rapidement, nous avons pris nos marques et notre rythme se calque sur celui du nord.

Le mois d’octobre est un mois de chasse au narval et à l’ours polaire à Qikiqtarjuaq : chaque jour, des dizaines de bateaux de chasseurs sillonnent la baie à la recherche de la licorne des mers. Il en restait sept sur le quota annuel quand nous sommes arrivés, il en reste un seul aujourd’hui. Toute la communauté vibre au rythme des chasseurs. Trois narvals ont été chassés proches du bateau, nous avons pu assister à la découpe la nuit tombée. Six bateaux, une douzaine d’hommes et de femmes de tous âges affairés autour des trois carcasses, découpe du maktak (peau et 1 cm de gras), découpe de la viande et « on laisse le reste pour les ours – trop maigres en ce moment – ou pour les gens du village qui ont des attelages de chiens ». La répartition de la viande en dit long sur les façons de vivre ici : une fois que l’entourage du chasseur principal en a suffisamment, il invite ensuite les autres membres de la communauté, via la radio locale, à se rendre chez lui pour se servir si besoin. Un peu pour chacun, et toujours en pensant à ceux du village qui mangent moins.

La communauté a eu droit de chasser cinq ours cet automne (le quota total pour l'année est de dix). Les noms des chasseurs sont tirés au sort, quelques-uns chaque soir. Après la chasse et le découpage de la viande vient le temps de préparer la peau, tâche à laquelle nous avons assisté lors d’une soirée chez des amis au village.

Chaque visite au village nous permet de rencontrer un peu plus la communauté et d’échanger, de partager avec eux. « Tu connais Léonie ? » nous demandent ses copines d’école. Ils sont assez intrigués par ce bateau qui va rester tout l’hiver ! Depuis peu, certains curieux nous rendent visites à bord. Nous échangeons alors le temps d’un café de grandes conversations en anglais ou en inuktitut aidés (toujours !) du fameux langage international des signes !

La chasse se termine ces jours-ci, et elle ne reprendra qu’en janvier avec quelques ours polaires de plus a priori.


Nouvel équipage

  • Avec Valentine et Vincent remplacants pour 3 mois

Valentine et Vincent sont arrivés jeudi à Qikiqtarjuaq, ils sont aujourd'hui prêts pour veiller sur Vagabond pendant notre absence de trois mois. Depuis deux ans et demi, nous n'avons passé que deux mois en France. Nous sommes un peu nostalgiques de quitter cette région magnifique, d'autant plus en cette saison, mais très heureux de revoir bientôt nos familles, amis et partenaires. Quelques festivals et conférences sont au programme.

Vagabond est prêt pour l'hiver, il fait -8°C ce matin, mais la banquise ne devrait se former que dans un mois (la mer est déjà gelée à Grise Fiord). Météo magnifique ces derniers jours, et Aurore a pu découvrir ses premières aurores boréales ! Un appareil photo a été installé pour neuf mois, il devrait prendre une image toutes les heures du site d'hivernage... Les chasseurs nous rendent visite de temps en temps, Vagabond est à trois kilomètres du village. Samedi, ils étaient curieux d'apprendre que des narvals venaient de passer. Un autre chasseur est venu hier pour nous offrir un gros omble chevalier !

Une belle journée de fête, mardi dernier, à l'occasion des trente trois ans de Qikiqtarjuaq (ce n'était auparavant qu'un hameau), nous a permis de rencontrer une bonne partie de la communauté, et de répondre à nombre d'interrogations des villageois. Sam, le mari de Mary, maire de Qikiqtarjuaq, était ravi de recevoir la peau de boeuf musqué apporté de Grise Fiord, de la part de sa mère Minnie. Au téléphone, elle disait à son fils que "ça fait vide sans Vagabond".


Installation à Qik

  • Leonie decouvre sa classe
  • Plein de carburant avant hivernage a Qikiqtarjuaq

Qikiqtarjuaq, 500 habitants environ, très accueillants. Nous y sommes depuis mardi soir, à peine une semaine après avoir quitté Grise Fiord. La dernière nuit de navigation fût longue : le vent (léger) était de face, une houle venait du large, l'obscurité était totale à cause des nuages, il neigeait fort par moment et le radar ne distinguait plus les icebergs et autres glaces. Finalement, nous avons trouvé la petite baie convoitée, à trois kilomètres du village, malgré l'imprécision habituelle des cartes dans ces régions peu fréquentées.

Dimanche dernier à Clyde River, nous avons vécu quelques belles rencontres, et retrouvé Bob Shepton et son équipage à bord de Dodo's Delight. Il y a eu près d'une trentaine de bateaux dans le passage du Nord-Ouest cet été !

Qikiqtarjuaq est construit sur l'île Broughton, face à l'immense île Baffin. Lors d'un comptage très récent, quinze ours ont été repérés sur la petite île ! La population augmente vite depuis qu'il n'est plus chassé, les villageois nous ont vite mis en garde. Les narvals sont très nombreux également, et la saison de chasse vient de s'achever avec 26 captures jeudi dernier (quota total par an : 70). Tous les bateaux étaient sortis du petit port, c'était le bon moment pour y entrer avec Vagabond et faire le plein des réservoirs de gasoil et d'eau ! Léonie va à l'école Inuksuit depuis mercredi, Aurore a découvert l'espace pour les jeunes enfants hier, toutes les deux sont ravies d'avoir de nouvelles copines. Armés de cadeaux confiés par notre amie infirmière de Grise Fiord, qui a vécu cinq années ici, nous faisons peu à peu connaissance avec les familles de Qik.

Quel confort d'avoir un réellement bon abri si près du village ! En attendant la formation de la banquise, si la mer est bonne, nous pouvons rejoindre le village en annexe en vingt minutes, ou bien en déplaçant Vagabond et en jetant l'ancre temporairement juste devant le petit port.


Pleine lune et anticyclone

  • Ile Bylot

Vagabond est à mi-parcours entre Grise Fiord et Qikiqtarjuaq (1200km). C'est l'équinoxe, France et moi avons autant de quarts de nuit que de jour. L'hiver s'annonce précoce cette année, mais par chance un bel anticyclone s'est installé sur notre route. La pleine lune et le soleil nous permettent de mieux repérer les icebergs et d'admirer les côtes très enneigées des îles Devon, Bylot, et Baffin. Les vents portants ou faibles limitent considérablement les embruns givrants !

Finalement, France et moi avons pu débarquer à Grise Fiord mardi matin, et y retrouver Aurore et Léonie, bien entourées. Tandis que France s'occupait d'officialiser notre entrée au Canada, avec Ed et Patrice de la Gendarmerie Royale, je gravissais la montagne voisine pour récupérer le troisième et dernier appareil photo. Un jeune chien libre m'a suivi tout du long, pas toujours très rassuré dans les pentes neigeuses ! Le soir même, alors que la nuit tombait, il était temps de hisser les voiles. A nouveau, beaucoup d'amis sont venus sur la plage, pour nous dire adieux cette fois. Gorges nouées. Deux ans de partage, dur de tourner la page.

Hier matin, notre petit équipage familial s'est réveillé au mouillage, à l'abri du cap Bathurst (île Bylot), reposé. Un ours est passé sur la berge tranquillement. Peu après, Vagabond a rejoint son propre sillage, laissé il y a dix ans à la fin de son tour de l'Arctique.

Demain, nous ferons escale à Clyde River, seul et unique village sur notre route.


Adieux au fjord du Cap Sud

  • Retour Vagabond a Grise Fiord

"Léonie ! Léonie ! Léonie !", scandaient ses copines alors que nous approchions du rivage en annexe. Nombreux de nos amis de Grise Fiord étaient là samedi soir, pour nous accueillir, à notre retour du Groenland. Un peu fatigués par la traversée depuis Qaanaaq, nous étions d'autant plus émus. Les vents étaient portants, heureusement, mais la houle forte et le pilote automatique en panne. France en est tombée sur la tête, sans conséquence hormis une escale imprévue aux îles Carey. Superbe archipel, totalement inhabité mais nettement plus abrité que nous l'espérions, parfait pour y trouver un peu de repos. Quant à Léonie (6) et Aurore (3), elles sont restées en pleine forme pendant toute la traversée entre le Groenland et le Canada ! Et sont ravies d'être à Grise Fiord depuis, accueillies par Joanne, l'infirmière.

France et moi sommes repartis aussitôt pour le fjord du Cap Sud, cinq heures plus loin. Une météo exceptionnelle nous a permis de mener à bien diverses missions, et de faire nos adieux à notre inoubliable site d'hivernage (2011-2012). Après une courte nuit au mouillage, il s'agissait de gravir la pyramide voisine pour récupérer deux appareils photos, installés avec Christian Haas en mai dernier. Assez peu de neige finalement, le terrain était tout à fait praticable, et la vue magnifique sur toute la région. Pas un souffle, grand soleil, nous sommes restés plus d'une heure au sommet. Ensuite, on ne pouvait quitter la zone sans faire une CTD au milieu du fjord, à l'endroit habituel. De même que deux lignes de sondes, toujours à la recherche d'explications sur les échanges particuliers entre ce fjord et l'océan. Un prélèvement de plancton pour finir, et nous faisions route vers Grise Fiord, heureux de ce petit week-end à deux !

Le vent et la houle nous retiennent à bord depuis hier soir, vivement l'occasion de débarquer pour revoir brièvement nos amis avant de faire route vers le sud.


De la baie Marshall à Qaanaaq

  • Tous les drapeaux du monde

6 septembre. En attendant la marée haute qui permettra de relever l'ancre, nous profitons à nouveau du soleil pour un pique nique à terre. Il est temps de faire route vers le sud. Les glaces se sont rapprochées de la côte avec le vent de sud-ouest, la lumière est belle. Afin d'étayer son message de conscience face aux convoitises tournées vers les régions arctiques, Emmanuel aidé de Catherine et Bénédicte déploient les 193 drapeaux en une ronde colorée sur une belle plaque de glace. Vagabond tourne autour d'eux afin d'immortaliser en images cet instant symbolique. Emmanuel, avec sa plume engagée, transmettra plus tard son message aux différents pays. Comme prévu, la brume tombe et le vent se lève vers une heure du matin, Vagabond jette l'ancre à proximité de l'île Littleton, dans une petite baie qui découvre presqu'entièrement à marée basse ! A terre, nous observons encore beaucoup de restes de huttes de pierres.

  • Eric prelevement plancton

Le lendemain, le vent souffle toujours fort lorsque nous cherchons un mouillage pour explorer l'île de Littleton. Après en avoir fait le tour, une partie de l'équipe parvient à débarquer, à la recherche de vestiges laissés par les explorateurs du siècle dernier. Malheureusement, la neige couve ses secrets, seul le gros cairn au sommet de l'île se manifeste. Là encore, une bouteille et un message laissés par l'équipage de Dagmar Aaen il y a 4 ans. Eric peut tout de même inspecter la station météo réinstallée voilà deux ans. Le vent est fort, très fort en haut de l'île. Puis Vagabond, dos au vent, poursuit rapidement sa route vers l'abri le plus proche, la baie Kenrick, en attente pour passer le fameux cap Alexander. Dès le lendemain le vent mollit, la route est radieuse le long de la côte enneigée. Si calme que le filet à plancton est remis à l'eau, de minuscules organismes très rouges s'agitent au fond de leur bouteille ! Dans la nuit Vagabond laisse tomber son ancre à quelques heures de Qaanaaq avec un jour d'avance sur l'avion de nos amis.

  • Tempete 65 noeuds au mouillage

Aurore et Eric partent en balade à terre, par un temps splendide, pendant que le reste de l'équipe fait la grasse matinée. Mais l'ultime pique-nique à terre est soudain écourté par de sérieuses bourrasques. Nous redescendons vers la plage le plus vite possible et la mer, d'huile auparavant, est déjà bien agitée lorsque nous retrouvons Vagabond. Très rapidement, quarante puis cinquante nœuds s'établissent, puis soixante, jusqu'à soixante cinq nœuds en rafales ! l'ancre dérape, la mer est blanche, des bouts d'iceberg passent rapidement à nos cotés... C'est au moteur, toute l'après midi, que nous soulageons notre mouillage. Tension, histoires pour enfants, chacun s'occupe à bord non sans admirer le spectacle au dehors, tout en tirant des bords sur place ! Au matin suivant le vent se calme finalement, l'ancre a dérapé sur 800 mètres ! Vagabond a juste le temps de tracer vers l'aéroport pour déposer l'équipe, sans même passer par le village.

Seuls à nouveau, tous les quatre, nous allons rendre visite à Birthe et Hans et profitons du retour du beau temps, à terre. Par un heureux hasard nous retrouvons Marius et Naja, qui nous avaient si chaleureusement accueillis chez eux à Savissivik voilà deux ans. Nous sommes aussi déçus qu'eux de ne pouvoir honorer leur invitation, puisque nous sommes sur le départ et le créneau météo n'attend pas !

Toutes les photos.


Sortis du piège de glace

Cette baie Fram est un piège protecteur, Vagabond risquerait d'y passer l'hiver... Le pack défilant dans le détroit de Rice depuis hier (1er septembre) nous engage à le suivre, en direction du sud. Dès la sortie de la baie nous sommes emportés sur un tapis roulant qui charrie des plaques agressives, épaisses, offrant peu de marge de manœuvre. Sans parler du petit vent contraire qui pousse Vagabond sur un bord de l'étroit détroit. Lorsque les mouvements se calment, c'est parce que le chenal est rempli, les glaces sont imbriquées en un puzzle géant. Une plaque trop haute vient emboutir l'arrière de Vagabond déjà immobilisé, pliant le câble qui tient le mât, sous la plate forme arrière... Heureusement, celle-ci se contente de se déformer sous la pression.

  • Baie Cache

Nous bataillons pour éviter de trop exposer la coque, et moins d'un mille nautique a été parcouru en une demi journée ! Après une heure de répit, à notre grande surprise, le courant s'inverse, nous tentons cette fois de repartir vers le nord. Atteignant rapidement la sortie du chenal, nous découvrons enfin une bande d'eau libre le long de l'île Pim, nous voilà sortis du piège ! Nous passons devant le camp Clay, mais il y a trop de neige pour l'observer. De plus, une large barrière de pack compact nous sépare toujours de l'eau libre, en direction du Groenland. Nous sommes à l'endroit le plus étroit du détroit de Smith et l'apercevons, rose sous les rayons du couchant, à 20 miles nautiques, bien moins enneigé que le Canada blanc. Les scientifiques qui nous envoient les cartes de glaces et photos satellites annoncent des conditions hivernales en avance d'une semaine. Dans le passage du nord ouest, des voiliers capitulent. Plus au Nord, l'équipage de Babouchka vient de se faire récupérer par un brise-glace russe. Dans le bassin de Kane, juste au dessus du détroit de Smith, la nouvelle glace se forme déjà. Après une tentative infructueuse, nous amarrons Vagabond à une plaque de glace, non loin de l'île Brevoort, où il nous est impossible de débarquer : nous espérions pouvoir inspecter, voire réparer, la station météo, récemment détruite par un ours, vraisemblablement. Par contre, tout en dérivant, Eric parvient à faire une dernière mesure avec la CTD (fin de la section à travers le détroit de Smith). A onze heure du soir, profitant du calme avant le vent annoncé, Emmanuel se remet à la perche, Eric à la barre, tandis que France remonte dans le nid de pie et guide Vagabond dans ce labyrinthe de glace. A quatre heure du matin elle redescend, les glaces s'espacent. A six heure, sous les premières rafales de vent, Vagabond mouille dans le refuge de Cache Point, une jolie petite baie escarpée. Seuls Aurore, Léonie et Eric débarquent à terre, toujours avides de découvertes : vestiges de campements inuits (ronds de pierres), restes de cabane, cairns et inscriptions dans le lichen laissés par les rares navigateurs et chasseurs de passage.

  • Seul sur sa plaque de banquise
  • Mission accomplie

Le 5 septembre après un bon repos, nous décidons d'aller explorer un peu plus au nord la terre d'Inglefield, laissant définitivement de coté le projet initial de poser le pied sur l'île Hans, trop au nord et noyée dans les glaces (carte des glaces impressionnante !). En chemin, nous approchons d'une autre île de glace (PII2012A1d), plus petite que la première mais bien plus escarpée. Majestueuse falaise de glace que Vagabond longe puis contourne, avant de poursuivre dans une brume de plus en plus dense. Emmanuel profite de l'éclaircie pour une séance filmée, marchant seul et perplexe, sur une plaque de banquise... Les cartes deviennent décalées, mal dessinées, complètement fausses ! Ce soir, pour entrer dans la baie d'Inuarfigssuaq par 78°31 Nord (baie Marshall), seul le radar permet de deviner la réalité des lieux, sous les rafales de neige et la brume persistante. Le vent du sud s'est relevé, ce n'est qu'au lendemain matin que nous découvrons notre abri dont une grande partie s'est vidée d'eau : à marée basse, il ne reste plus qu'un mètre d'eau sous la coque ! Enfin, le soleil est de retour. C'est ici, au plus nord de notre parcours (toast!), que nous déposons les vivres et carburant pour l'expédition de Alex Hibbert (Dark Ice Project). Après les débarquements en annexe, il nous faut plus de trois heures pour enfouir tant bien que mal sous des pierres les 8 bidons et 11 sacs, afin qu'ils échappent à la curiosité et à la voracité des ours. Pendant ce temps, Catherine et Emmanuel photographient chacun de leurs 193 drapeaux sous ces hautes latitudes, dans ce cadre unique et en sursis. L'endroit est magnifique... Collines et montagnes offrent plusieurs point de vu sur le large, trois lacs d'eau douce et peut être poissonneux s'éparpillent alentours, un site idéal pour hiverner ! Des bidons de carburant indiquent que le site peut être utilisé par un aéronef pour se poser.


A propos des îles de glace, par Preben Gudmandsen (Institut National Spatial du Danemark)

  • Ile de glace PII2012A1d-2km2

Eric, je crois que nous observons actuellement un nouveau phénomène, mais que sait on du passé, lorsque nous n'avions pas de satellite pour nous aider ?

Mes premières observations de vêlage du glacier Petermann, dans les années 90, étaient basées sur des images satellites du chenal Kennedy qui présentaient trois plaques de banquise différentes de toutes les autres en provenance de la mer de Lincoln. Ces images SAR furent enregistrées par hasard par le satellite européen ERS-1 quelques semaines après son lancement en 1991. Par chance, d'autres observations prises deux et quatre semaines avant ont montré que ces morceaux de banquise venaient du glacier Petermann. En me basant sur des observations aériennes antérieures, j'en ai déduit que le vêlage aurait lieu tous les 9 ou 10 ans.

Le vêlage suivant a eu lieu en 2000, j'avais donc raison, mais le climat a changé depuis et le vêlage majeur suivant eu lieu en 2008, toutefois plus petit qu'avant et que ce que nous avons vu récemment. Comme vous le savez, nous avons eu d'autres vêlages du glacier Petermann en 2010 et aussi en 2012. Ces vêlages majeurs proviennent de plus haut sur la langue flottante du glacier, ce qui signifie que l'épaisseur et donc le tirant d'eau a augmenté (le principal processus de fusion de la langue du glacier a lieu à partir de l'eau sous-jacente).

Cela signifie que nous avons plus d'îles de glace qu'avant, et en raison de l'augmentation du tirant d'eau, la probabilité d'échouage augmente. Oui, c'est une situation particulière que nous vivons.

Les images d'ERS-1 de la mer de Lincoln ont montré que, en 1991, il y avait aussi une île de glace venant du glacier Steensby ou du glacier Ryder mais je n'ai qu'une seule observation. Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est que cela arrive de nouveau et plus fréquemment qu'auparavant.

De plus, vous observez une situation unique avec ces nombreux fragments de vêlages du Groenland, disséminés le long de la côte de l'île de Baffin, sondant la bathymétrie côtière (méconnue). Ne connaissant pas le tirant d'eau exact des icebergs, cela est toutefois d'intérêt mineur. Plusieurs d'entre eux se sont échoués sur leur parcours, ont repris leurs dérives pour s'échouer un peu plus au sud.

Oui, vous rencontrez quelque chose de très intéressant.