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Concentré arctique

  • 0636 Eclipse solaire ©EB
  • 1100 Eric collecte glace iceberg ©Terry Noah
  • 1230 Eric station oceano devant glacier Jakeman ©Terry Noah
  • 1330 Eric filtrations mini labo sur banquise ©Terry Noah

10 juin 2021 : quelle journée !

Terry et moi sommes installés depuis la veille dans sa nouvelle cabane au fond du fjord Fram, à 50km à l'est de Grise Fiord. Nous sommes ses tous premiers occupants ! Le cadre est magnifique, les saxifrages pourpres sont en fleur, nos motoneiges (grosses cylindrées !) sont garées à quelques dizaines de mètres sur une banquise encore bien solide... Sérénité printanière.

L’éclipse de soleil est au rendez-vous, les astres jouent avec la brume et nous offrent un spectacle superbe dès 6h du matin. Ça commence fort.

Quelques heures plus tard, malgré la brume et alors que les mises en garde étaient nombreuses à notre départ de Grise Fiord quant à l'état de la banquise et aux zones de glace mince aux abords du glacier Jakeman, nous voilà en train de percer 136cm de bonne banquise au pied de la muraille de glace pour envoyer la bathysonde jusqu'au fond puis prélever des échantillons d'eau de mer à différentes profondeurs. Au fil d'une longue journée de manips, nous ferons ainsi 7 stations océanographiques en nous éloignant progressivement du glacier. Un succès. Dans deux mois, lors de la campagne d'été, nous répéterons ces mesures depuis Vagabond, il n'y aura plus de banquise et il faudra composer avec la houle, le vent, le courant, les glaces dérivantes... Vive le printemps !

En chemin, nous grimpons sur un iceberg pour mieux observer les environs et pour collecter de la glace qui nous donnera de l'eau excellente pour le thé et la cuisine. Terry nous régale avec le produit de sa chasse et de sa pêche qu'il a soigneusement préparé avant notre périple : caribou séché ou fumé, omble chevalier séché ou fumé, et ragoût de bœuf musqué ! C'est tellement meilleur que tout ce qu'on trouve dans la boutique du village. Nous observons un étrange renard culotté de noir près de la cabane, des boeufs musqués et leurs petits, des lagopèdes immobiles, des oies qui achèvent leur migration, des canards eiders en formation, des traces d'ours fraîches... et de nombreux phoques annelés sur la banquise, allongés à côté de leurs trous. Terry est très content lorsqu'il découvre que c'est un jeune phoque que je réussi à tirer car sa famille attend depuis Noël l'occasion de préparer un uyuq (ragoût de phoque), que je serai invité à partager dans quelques jours, à notre retour à Grise Fiord. La peau est superbe, je la conserve précieusement.

Cette journée nous offre un concentré de la vie arctique que nous aimons, juste pour mes 52 ans, intensité mémorable. Le récepteur satellite a sonné de nombreuses fois aujourd'hui, véhiculant tout plein de bons souhaits. De retour sur Vagabond à Grise Fiord, il me restera à ouvrir les cadeaux confiés par nos filles avant mon départ de Bretagne en avril dernier.


De retour à Grise Fiord

  • 1528 Vagabond au centre de Grise Fiord ©EB
  • 2254 Trou pour perche de suivi de fonte du glacier ©EB
  • 1325 Relais VHF sommet Nuvuk pres de Grise Fiord ©EB
  • 1436 Mesure de la taille d un chabot ©EB

Événement ce week-end à Grise Fiord : le Fishing Derby. C'est aujourd'hui la troisième et dernière journée de la grande compétition de pêche annuelle. Pêche à l'omble arctique dans un lac de l'île Devon, à une douzaine d'heures de motoneige (la banquise est très accidentée cette année), ou pêche au chabot sous la banquise pour ceux qui n'ont pas quitté le village.

Hier, depuis un sommet à 800 mètres au-dessus de la banquise, la vue panoramique était extraordinaire. Météo et conditions de neige idéales, une longue rando à ski qui achevait de me faire oublier les trois semaines de voyages et de quarantaines pour retrouver Vagabond.

C'est très ému que j'ai posé mon sac à bord jeudi dernier. Plusieurs éléments me rappelaient le grand voyage de l'an passé : assis à la même place dans le même avion, en vol vers Vagabond, survolant tant de lieux visités lors de nos précédents hivernages et navigations dans la région... Après 18 nuits d’hôtels, 5 tests PCR (tous négatifs !), 9 escales depuis Paris, d'incessants contrôles de documents, j'étais impatient. La mort de notre copain guide Alain me hantait. La playlist de mes filles, restées en Bretagne avec France jusqu'à la fin de l'année scolaire, décuplait mes sentiments !

40°C d'écart entre Ottawa et Grise Fiord mais de nombreux "welcome home" chaleureux.

Le lendemain déjà, je récupérais du matériel scientifique pour les manips à venir, je recevais ma première injection de vaccin, et, totalement comblé au guidon d'une motoneige, j'accompagnais Jimmy pour six heures de forages et mesures sur le glacier voisin. Pour comprendre l'importance de ce glacier pour la communauté, lire l'article Les robinets de Grise Fiord bientôt à sec (Radio-Canada, 5 mai 2021).


Christian Morel récidive

  • 20200321j Light painting ©Christian Morel
  • 20200321i Light painting ©Christian Morel
  • 20200321h Light painting ©Christian Morel
  • 20200321g Light painting ©Christian Morel

C'était il y a un an. France accueillait une résidence d'artistes à bord de Vagabond, pris par la banquise devant Arctic Bay, au Nunavut. Et puis les restrictions sont tombées, les artistes sont repartis précipitamment. Parmi eux Christian Morel, photographe, habitué de la banquise et du cocon Vagabond.

Ses photos parlent de l'équilibre recherché par les Inuit, entre tradition et modernité; un constat très porteur pour parler de notre rapport à la terre et à la consommation.

Christian Morel explique :

"Les Inuit ont dans une main un Iphone dernier cri et dans les yeux une étincelle d’amour pour ces territoires si rudes où partir pêcher ou chasser reste une nécessité vitale.

J’ai cherché à mettre en lumière ce paradoxe, à imager cette séparation invisible, sorte de passage virtuel dans l’espace-temps et entre deux mondes. Durant cette résidence, et avant que la pandémie covid-19 ne vienne stopper soudainement dans son élan, j’ai pu travailler sur une série de mises en scènes avec des Inuit du village d’Arctic Bay (Ikpiarjuk). Toutes exclusivement photographiées dans l’obscurité, aux heures les plus froides du printemps pour que la technique du light-painting puisse souligner ce déphasage entre réalité et histoire.

Une approche photographique particulièrement exigeante pour chacun, mélangeant temps de pose très longs et mouvements lumineux par -38°C. Que ce soit pour les Inuit volontaires devant « garder la pose » sans trop trembler, pour ma fidèle accompagnatrice Léonie sans qui je n’aurais pas su aller au bout de cette ambition photographique, pour moi-même ou pour le matériel."

En 2016, lors d'une résidence à bord de Vagabond près de Qikiqtarjuaq (Nunavut), Christian nous racontait des histoires de banquise.

Amoureux des environnements polaires de longue date, Christian a réalisé un précieux travail sur notre patrimoine polaire en 2007-2008, au coeur de l'Année Polaire Internationale.


Une épopée artistique

  • 20200315 Maude et Mathurin rencontrent les inuit de l atelier d art ©France Pinczon du Sel
  • 20200318f Maud et Mathurin decouvrent le quamutiq ©France Pinczon du Sel
  • 20200320 Fin residence artistes ©Maude Fumey

La période est propice pour regarder en arrière, ne serait-ce que depuis le premier confinement. Et ce moment correspond à la venue sur Vagabond de Maude et Mathurin du groupe ToNNe, fabricant de spectacles de rue. Une belle histoire.

Pour moi elle commence un an auparavant avec l'envie de proposer une deuxième résidence d'artistes à bord de Vagabond, qui questionnerait sur les changements climatiques, afin de réveiller la conscience des jeunes sur le devenir de notre planète échauffée. Un partage entre artistes, scientifiques et Inuits, entre témoins, chercheurs et échafaudeurs d’autres possibles.

Et cette envie se concrétise grâce à Caroline Raffin, directrice du Fourneau, Scène Nationale des Arts de la Rue à Brest... et maman de Tinaïg, amie d'Aurore !

Dès lors la venue de Mathurin Gasparini, directeur artistique du groupe ToNNe et de Maude Fumey, comédienne, s'organise. Ils arrivent le jour dit à Arctic Bay, tandis que Eric, englacé sur le Polarstern encore plus au nord, ne parviendra pas à les rencontrer; la pandémie s'est déjà installée.

Maude et Mathurin préparent une création : "NuNaVuT !". Ce dimanche pendant l'atelier de dessin dans l'école, les échanges s'amorcent forts avec les Nunavummiuts, prometteurs... Mais dès le surlendemain, les nouvelles règles sanitaires tombent : ils sont interdits de contacts avec les habitants d'Arctic Bay et de plus, l'ambassade de France presse ses ressortissants de regagner le pays.

Seules à bord, par Aurore

De retour, Maude et Mathurin partagent leur journal de bord "Jours trop courts au Nunavut". Mais l'esprit fertile de Mathurin trouve bien vite un rebond à cette aventure : NuNaVut! devient Passage du Nord-Ouest ! Le confinement est mis à profit pour travailler à ce spectacle sur les explorations passées et futures du grand Nord, qui aborde aussi les changements climatiques. Sous la forme savoureuse d'un théâtre d'aventure pour places publiques, menant à pied leurs ânes en pays de Quimperlé, ils expérimentent et peaufinent leur création. Le Fourneau filme cette expérimentation publique.

Vive la création !

Pour en savoir plus :

Les artistes du Groupe ToNNe racontent leur spectacle "Passage du Nord-Ouest" (film de 26 minutes).

Le Passage du Nord-Ouest par le Groupe Tonne

Reportage : le Groupe ToNNe avance au pas des ânes

Journal de voyage : Jours trop courts au Nunavut

Premières impressions d'Arctic Bay

Tous les reportages du Fourneau sur le Groupe Tonne


Grise Fiord

  • Vagabond sur la plage de Grise Fiord pour l hiver ©EB
  • Sortie de Vagabond à Grise Fiord ©EB
  • Mouillage au bout du fjord Starnes ©EB
  • Festin pour phoques et oiseaux fjord Starnes ©EB

Nous voilà seuls à nouveau, en famille, pour la dernière semaine de mission. La saison avance et la météo nous encourage à explorer les fjords abrités. Le premier à l'est de Grise Fiord, le plus long de la région (50km), c'est le fjord Starnes que je n'ai parcouru qu'au printemps, pour mesurer l'épaisseur de la banquise. Cette fois, nous découvrons ses eaux profondes et ses hauts fonds.

Nous cohabitons avec des centaines de phoques du Groenland, de pétrels fulmars, de mouettes tridactyles, de goélands argentés... tous se gavent de petites morues polaires avant de migrer vers le sud lorsque la banquise se formera début octobre. Des renards profitent furtivement des restes du festin dénichés sur la berge.

Les fonds marins sont riches, l'eau devient plus claire en cette saison, plus froide aussi ! Mais surtout, loin des sites suggérés initialement, nous dégottons les meilleurs échantillons de coralline de tout l'été. A la clé, des siècles de données sur les eaux et la banquise de ce fjord. Lors des dernières plongées, j'effectue quelques quadrats également, pour le programme Arctic Kelp.

Le 19 septembre, la météo est belle, la houle faible, la marée très haute à 13h, tout est en ordre pour sortir Vagabond sur la plage de Grise Fiord. Au même endroit qu'il y a 8 ans, Raymond a préparé un vrai port sur mesure, l'opération est simple et rapide.

Dans dix jours, nous laisserons là notre navire pour l'hiver et partirons pour la France que nous ne connaissons pas encore à l'époque du covid. Le Nunavut, que nous n'avons pas quitté depuis avant la pandémie, a été épargné jusqu'à présent. Si les conditions le permettent, nous retrouverons Vagabond au printemps 2021, pour la prochaine mission scientifique.


Dernière mission de l'été

  • Morse Harbour Fiord ©EB
  • Depart Gabriel Grise Fiord ©EB
  • Baie bien protegee Harbour Fiord ©EB
  • Installation sonar pres de Grise Fiord ©EB

Nous sommes en stand by proche de Grise Fiord depuis maintenant 8 jours. Stand by météo d'abord. Cela fait 9 jours qu'aucun avion n'a atterri et Gabriel arrive finalement avec ses 8 caisses de matériel et 3 jours de retard. Ensuite, flottement dû à un souci médical pour notre nouvel arrivant. Nous mettons néanmoins le sonar en place puis, malgré le flux continu de vent du nord dans le détroit de Narès, Eric et moi sommes prêts à tenter de progresser au moins jusqu'au Cap Norton Shaw. Même si nous nous doutons que ce ne sera pas facile.

Il est finalement décidé de ne pas quitter le détroit de Jones. Mais nous n'avons pas encore les autorisations pour cartographier les fjords abrités du sud de l'île d'Ellesmere, les longues démarches administratives ne sont pas achevées. Alors où aller et que faire ?

Après notre courte tentative vers le nord, nous trouvons refuge dans le fjord Harbour que nous n'avions jamais pris le temps d'explorer, pour découvrir un formidable site d'hivernage qui nous fait rêver ! Largement ouvert sur plusieurs vallées, le havre de paix abrite alors nos diverses réflexions sur la tournure que prend cette fin de mission et c'est ici que Gabriel décide d'avancer son retour, faute de pouvoir travailler. Un épais manteau de neige est tombé sur le paysage, "winter is coming" sourient les grisefiordmiuts (habitants de Grise Fiord) le jour de son départ !


Retrouvailles en douceur

  • Imooshee Terry et famille a bord de Vagabond ©Aurore Brossier
  • Chez Liza et Aksajuk a Grise Fiord ©EB
  • Festin de morues pour mouettes devant Grise Fiord ©EB
  • Lemming fjord Grise ©EB

Passant au large de Grise Fiord, nous échangeons quelques joyeuses salutations par radio, puis le président de l’association des chasseurs, comprenant que nous nous dirigeons vers le glacier Jakeman, nous fait part des craintes quand à nos activités scientifiques dans ce secteur, fréquenté actuellement par les narvals. Pourtant, nous observons fréquemment toute sorte de mammifères marins autour de la coque de Vagabond, sans paraître les déranger... Il y a d'autre part une famille de chasseurs dans le petit fjord voisin, le fjord Fram, dont ils sont sans nouvelles depuis plusieurs jours. Nous leur promettons de les tenir au courant dès notre arrivée sur place, d'autant que ce sont des amis et qu'un transect nous attend également là bas.

Cependant, nous vivons les plus mauvaises conditions de navigations de l'été pour nous y rendre...

Quel plaisir de retrouver Imooshee et son fils Terry, accompagné de femme et enfants dont nous faisons la connaissance ! Terry a monté sa propre entreprise de pourvoyeur, afin d'accompagner sur le terrain chasseurs, photographes ou scientifiques venus du sud. Depuis une semaine sous leurs tentes, ils n'ont pas pu chasser sur l'eau à cause du mauvais temps. Mais ils ont eu un boeuf musqué. Balade ensemble jusqu'à la rivière, puis repas au chaud sur Vagabond où les histoires vont bon train. Cet hiver, dans la nuit, alors qu'ils dépeçaient un phoque sur la banquise, Terry et Imooshee sont surpris par un ours tout proche, qui marche droit sur Terry. Celui-ci lui envoie un coup de son couteau, sans effet. D'un bon ils tentent de se protéger derrière leur motoneige, mais l'ours se dresse, les pattes de devant appuyées dessus. Imooshee frappe violemment son poing sur la truffe de l'ours, lassant à peine le temps à Terry d'attraper le fusil qui était entre l'ours et la motoneige, d'en appuyer le canon contre l'ours et de tirer !

Le lendemain dans la brume, la mer s'est calmée et nous effectuons notre transect de prélèvements et de CTD avant de retourner vers Grise Fiord puisque le Jakeman nous est interdit.

Lorsque nous accostons en annexe, fidèle, Jimmy nous accueille sur la plage, puis Imooshee de retour de Fram Fiord et surtout, Liza et Aksajuk venus en voiture. Toujours aussi généreuse Liza nous invite pour douches et lessive. Dans la chaleur de sa maison, nous avons le sentiment de retrouver nos grands-parents du Nunavut.

Le lendemain matin pas mal d'habitants armés d'outils de jardiniers se promènent entre les roches par très basse mer à la recherche de clams ! Des groupes de phoques du Groenland croisent tranquillement devant le village survolés de nuées d'oiseaux attirés par les bancs de morues arctiques dont ils dévorent le foie, laissant leurs dépouilles s'échouer par centaines sur le rivage.

Le village n'a pas changé. Nous bavardons ici et là comme si nous étions partis la veille. Et de ces conversations avenantes naît l'idée que Vagabond pourrait bien rester sur la plage de Grise Fiord l'hiver prochain ! En effet nous venons d'être informés que Vagabond n'est plus autorisé à hiverner à Thulé au Groenland.


Fjord du Cap Sud

  • Rencontre du Pierre Radisson dans Fram Sound ©EB
  • France et Leonie cherchent de la coralline pres du cap Morse ©EB
  • Rencontre avec Raymond et Tivai dans le fjord du Cap Sud ©EB
  • France laborantine ©EB

Vagabond est au mouillage à l'entrée du fjord du Cap Sud de l'île Ellesmere, exactement là où nous avons vécu d'octobre 2011 à juillet 2012. Nos filles étaient alors bien petites, l'hivernage fût intense. Les souvenirs se bousculent agréablement tout en rangeant les derniers échantillons de coralline prélevés lors d'une belle plongée au cap Storm le 13 août...

10 août : un ours détale sur la plage près de l'ancienne base scientifique de Truelove. J'ai plongé la veille au soir sans savoir qu'il était dans les parages ! Jolis fonds marins, beaucoup de kelp (nous consignons nos observations pour l'équipe Arctic Kelp), belle collecte. La mer est belle, la recherche de coralline se poursuit, ainsi que les stations océanographiques. Pendant la traversée du détroit de Jones, de l'île Devon à l'île Ellesmere, nous réussissons même à envoyer la bathysonde et à prélever de l'eau à 630m de profondeur.

Le 11 août, un beau groupe de morses me dissuade de plonger près de l'île Olsen, dans le fjord Goose. Pas vraiment envie de batifoler sous l'eau avec ces gros costauds... Nous cherchons de la coralline du côté de Fram Sound et de Hell Gate (la porte de l'enfer !). Il faut jouer avec les glaces dérivantes et les très forts courants qui nous contraignent à faire demi tour, près du cap Turnback justement ! Au milieu du détroit, alors que nous nous apprêtons à plonger la bathysonde au cœur d'un pack dérivant à 2 noeuds vers l'est, un navire est soudainement détecté par notre AIS. C'est le Pierre Radisson, brise-glace de la garde côtière canadienne avec qui nous échangeons en français ! Il veille sur nous tant et si bien qu'il se met bientôt en route vers notre position, pensant probablement que nous sommes prisonniers des glaces dérivantes... Une fois la station achevée, Vagabond pousse, se faufile et rejoint fièrement l'eau libre. Nous saluons le brise-glace qui nous suit à distance jusqu'à notre entrée dans la baie Hourglass (sablier). Là, il faut franchir une zone non cartographiée très peu profonde, 2 à 3m d'eau, avant d'atteindre un bon abri et de retrouver la petite cabane rouge installée il y a 20 ans pour commémorer le centenaire de l'expédition de Sverdrup et du Fram (1898-1902).

Nous entrons dans le grand fjord glaciaire du Cap Sud le 14 août, nous avons 21 relevés hydrographiques à faire avec la bathysonde (CTD), ainsi que 27 prélèvements d'eau (avec bouteille Niskin) et séries de filtrations (nutriments, isotopes oxygène, chlorophylle A, CHN). Les conditions sont parfaitement calme, quelle chance ! Beaucoup d'icebergs, des glaciers qui vêlent grandement, de nombreux oiseaux, encore un ours (déjà 9 observations en 3 semaines), des phoques barbus ou annelés... les eaux sont riches et convoitées lorsque la banquise se retire pour à peine trois mois. Raymond et Tivaï y viennent chasser, ils ont attrapé un phoque et un canard, meilleur butin que nos données océanographiques et nos flacons d'eau de mer filtrée ! Ce sont les premières personnes que nous rencontrons depuis notre départ d'Arctic Bay, et c'est un grand plaisir de revoir et de discuter un moment avec nos amis de Grise Fiord (le village se trouve à 70km à l'est).

Carte Vagabond Cruise 2020.


Glacier Sverdrup

  • Bonne ambiance sur le pont pendant les manips ©EB

Le flux d'ouest incessant complique notre mission sur la côte nord de l'île Devon. Profitant d'une accalmie, après trois jours d'attente, notre équipage familial s'est lancé hier dès 4h du matin dans les mesures et prélèvements devant le glacier Sverdrup. Le transect fût achevé peu après 13h, alors que vent et houle reprenaient de plus belle ! Nous voilà à nouveau à l'abri, au mouillage au pied du cap Hardy, pour le moment incapables de poursuivre vers l'ouest pour la suite du programme.

Pourtant nous sommes déterminés ! Que ce soit pour la recherche de coralline, de kelp ou pour l'étude de l'impact des eaux de fonte des glaciers sur la vie marine. Les protocoles scientifiques sont assimilés, les rôles se précisent, les routines s'installent, les manips se déroulent plus sereinement et deviennent plus efficaces, plus ludiques. Plaisir du travail d'équipe tout en étant en famille dans un décor incroyable !

La faune du Jones Sound est au rendez-vous. Outre les ours blancs, nous avons observé des bœufs musqués, des morses, et même des bélugas. Vagabond continue fidèlement de nous offrir une expérience intense, bravant le vent, la houle, la neige (déjà le 3 août !), les hauts fonds non cartographiés (fréquents passages dans moins de 3 mètres d'eau ces derniers jours) et les glaces dérivantes.

Vagabond partage sa position toutes les deux heures, à suivre sur la carte Vagabond Cruise 2020.


Un ours sur la plage

  • Leonie Aurore et ours Pointe Raper ©France Pinczon du Sel

Avant-hier soir, nous sommes partis nous balader pour voir s'il y aurait moins de houle dans la baie d'en face. Je marchais un peu en arrière pour regarder tout le bois flotté qui jonchait la plage, ainsi que les labbes qui virevoltaient au dessus de nous, quand je stoppai net. Je venais de poser les yeux sur une forme blanche, qui tournait doucement les siens vers moi. Ma première pensée fût : "Un ours ! Comment ne l'ai-je pas vu plus tôt !?!". Ma deuxième : "Purée, papa, maman et Aurore ne l'ont pas vu, ils marchent droit sur lui !". Alors j'ai crié, pas trop fort tout de même : "Il y a un ours !". Je m'inquiétai en voyant papa continuer à marcher vers lui à bonne allure, quand maman l'arrêta : elle venait, elle aussi, de voir l'ours qui commençait à descendre vers nous. Je n'osai pas les rattraper, mais eux le firent en sens inverse : on retournait, sans courir (surtout !), vers l'annexe. Maman sortit son pistolet d'alarme, et papa le fusil de sa housse. L'ours nous suivait. Il marchait même plus vite que nous, tout en paraissant prendre son temps. On arrivait à l'annexe. Une fois embarqués, on s'approcha de la plage, là où se tenait l'ours, pour pouvoir prendre des photos tout en étant en sécurité. Puis, une fois rentrés et attablés, nous avons pu observer la progression de l'ours avant qu'il ne disparaisse à la pointe.